Piano et mystique (lettre)
Imagine-toi que je (re)découvre le piano… Après avoir lu un traité du 19è siècle exhumé par Alix qui explique les véritables principes du piano (valables pour tout instrument je pense), j’ai réalisé qu’ils n’étaient enseignés nulle part. Mais que c’était ce qui faisait la différence entre les bons et les mauvais, car comme dit Alix, le niveau intermédiaire n’existe pas vraiment.
En fait c’est un truc que les bons font spontanément et que les mauvais ne font que très peu : il faut pouvoir se représenter mentalement très précisément tout ce qu’on fait dans le plus petit détail. Si on trouve exactement ce qu’il faut se représenter, on peut même arriver à progresser sans jouer, aussi curieux que ça puisse paraître. Du coup, plus besoin d’exercices sans fin qui de toutes façons ne corrigent jamais les vraies faiblesses, qui sont d’abord dans la représentation : on se rend compte qu’on ne peut pas se représenter le geste qu’on n’arrive pas à faire. Et quand on arrive finalement à se le représenter (ce qui est un exercice bien difficile), alors on peut le faire. De la sorte on peut corriger les sempiternelles erreurs qui se sont engrammées avec l’habitude (et qui résultent dans de mauvais chemins neuronaux, cela revient donc à un problème de plasticité cérébrale). Bref, on se rend compte que toute erreur revient à un défaut de conscience.
Tu seras surpris d’apprendre que la religion travaille sur la même matière interne, sauf que dans ce cas, il n’y a pas de preuve physique (le mystique ou le saint ne joue pas un concerto pour prouver qu’il a effectué correctement son travail de représentation), d’où le foisonnement des escrocs et l’ignorance généralisée des méthodes. De même que pour un concertiste le mouvement physique n’est que l’ombre de la représentation qu’il en a, le mystique engendre des représentations aussi réelles (et même davantage) que des morceaux de musique. Sauf qu’il n’y a pas d’ombre projetée qui permettrait de voir ces choses. Pourtant elles existent, dans le même genre d’univers qu’un concerto existe pour un pianiste – et pour le pianiste, on conviendra volontiers qu’il y a là un objet très réel, qu’il peut voir, entendre, sentir etc. en l’absence de piano. Ses mains et son cerveau sont très différents des nôtres. Il en va de même pour le saint. C’est quelqu’un qui a réussi à se transformer (physiquement) par le biais de représentations substantielles. Les naïfs diront que c’est l’oeuvre de Dieu.
Il y a aussi des naïfs en musique qui disent qu’on naît doué ou pas. Sauf que quand on fait commencer la musique à un enfant très jeune, il devient forcément « doué ». De même que l’enfant de moins de 6 ans apprend une langue étrangère sans accent, il a aussi la capacité de savoir spontanément comment employer son cerveau pour jouer de la musique. Plus âgé, on ne sait plus, mais si on nous le dit, on peut faire un effort dans ce sens et ça facilite singulièrement les choses. Sauf que presque personne ne sait ce qui manque.
Effectivement.
Dans un autre domaine d’autres l’ont constaté d’expérience et l’on formalisé depuis longtemps, il me semble me souvenir…
Les sportifs des disciplines individuelles (ski, gymnastique, danse,…) savent depuis longtemps qu’il est important de voir, d’analyser, puis de se représenter les bons gestes et bonnes attitudes. Même en tant qu’amateur de faible niveau on peut constater qu’en remontant sur les skis à a+1 on a fait des progrès par rapport à a. Et portant on n’est pas monté sur les planches entre les deux. De même en natation ou en planche à voile ou en tennis. Cela j’ai pu le constater ayant pratiqué à mon petit niveau ces disciplines. Je pense que l’explication est la même que celle que tu développes pour la musique.
C’est quelqu’un qui a réussi à se transformer (physiquement) par le biais de représentations substantielles
Les psy. diront que c’est de l’hystérie de conversion. Sans doute l’un et/ou l’autre.
Bref. Le mystique fait la même chose, à ceci près qu’il ne décrit pas ses opérations. Il donne seulement quelques vagues indices par ci par là. Dans son cas, on connaît le thème de base de ses représentations (les Evangiles par exemple), mais on n’a pas la moindre idée de ce qu’il en fait (et ils en font tous qqch de différent semble-t-il). A partir de là il se construit un univers de sensation/sentiment (il appelle ça le paradis) qui semble susceptible de développements infinis. Et comme pour la musique, il semble qu’il existe là aussi des lois de développement. Par contre, la matière est plus vaste (le corps dans sa totalité), et les zones principales différentes – le mystique va parler du « coeur » là où le pianiste va plutôt parler des doigts. Etc… Certaines religions vont en outre s’aider de disciplines plus physiques, justement pour « vérifier » la justesse de tout cela, le yoga, les arts martiaux, le tir à l’arc… et il existe fort heureusement certains auteurs qui ont « un peu » détaillé le niveau interne (les tibétains l’ont fait bcp plus que les autres). Bref, pour qu’un psy puisse parler d’un yogi, il y a la même condition que pour Rubinstein, sinon ça aura exactement la même pertinence.