Extraits
Toutes nos conceptions sur Dieu sont fausses
Toutes nos conceptions sur Dieu sont fausses, précisément parce que ce sont des représentations : l'image que je me fais d'une orange n'est pas une orange, un enfant de cinq ans en conviendra, et c'est encore plus vrai pour tous les objets spirituels, que nous n'avons jamais pu voir de notre propre yeux. Ce sont des "objets cachés", (contrairement aux tables et aux oranges, qui sont manifestes), et parvenir à les connaître véritablement est la chose la plus difficile qui soit.
Si nous prenons n'importe quel article de foi, nous pouvons constater qu'il évoque dans notre esprit un certain nombre d'images. Par exemple si nous prenons le début du credo catholique :" Je crois en Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre". Cette affirmation, au moment où nous nous la répétons, fait naître en nous des images. Pour certains le Père sera un barbu, pour d'autres une nuée, pour d'autres un feu, pour d'autres un esprit immatériel... Il n'y a pas deux personnes qui s'en feront la même représentation. Et si une même personne examine sa représentation au cours du temps, elle verra que l'image évoquée n'est pas la même d'un jour sur l'autre, ou d'une année sur l'autre. Bref, il est facile de déduire que ces images et les sensations limitées qui les accompagnent ne sont pas Dieu, en raison de leur finitude et de leur variabilité. Comme le dit Saint Anselme, Dieu existe dans l'esprit de l'idiot qui le conçoit, mais il existe aussi en dehors de lui, et dans la connaissance de Dieu, nous sommes tous idiots.
De fait, la seule perception adéquate de Dieu que l'on peut avoir, c'est ce que les théologiens appellent la vision béatifique, ou vision face-à-face, et encore est-elle limitée puisqu'il n'y a que Dieu qui puisse se connaître entièrement lui-même.
Nous désirons Dieu comme un objet
Notre nature, étant ce qu'elle est, nous fait désirer Dieu de la même manière qu'une belle femme, ou une nouvelle voiture. C'est "l'objet qui nous rendra infiniment heureux", et une fois que nous le posséderons, alors nous serons heureux pour l'éternité, pensons-nous. C'est ainsi que nous nous appliquons à toutes sortes de pratiques pour l'obtenir. Nous devrions pourtant y songer à deux fois : qui a vu qu'une belle femme, ou qu'un prince charmant, pouvait combler totalement une personne ? Et pourtant, nous imaginons Dieu sur le même mode, comme un être qui va venir nous combler de sa présence, comme un papa ou une maman merveilleux.
Il n'est pas étonnant qu'il se dérobe, parce qu'il veut notre bonheur, et notre bonheur ne consiste pas à obtenir un objet. Comme vous l'avez peut-être remarqué, un désir satisfait disparaît, et laisse un grand calme plat. Quand nous avons faim, nous désirons manger, quand nous avons fini de manger, nous ne voulons plus rien. Quand un homme couche avec la femme qu'il désirait si intensément depuis des mois, tout à coup il ne la désire plus.
Or, nous l'ignorons, parce que nous ne regardons toujours l'objet et jamais l'acte en lui-même à cause de la perversion fondamentale de notre nature qui s'est tournée vers les sensations grossières, mais le désir est précisément ce qui pourra nous rendre heureux. C'est ce que nous apprend la prière. Au début nous sommes tièdes, et nous nous sentons tristes de ne pouvoir obtenir l'objet de notre désir, en rêvant du jour où nous l'aurons obtenu. Mais nous réalisons peu à peu que plus notre désir de Dieu s'intensifie, c'est-à-dire plus nous aimons Dieu, plus nous sommes heureux1. Jusqu'au jour où nous réalisons que nous n'avons besoin de rien d'autre, parce que cet amour, c'est Dieu lui-même qui se donne à nous. Dans "le désir de Dieu", nous passons de Dieu objet à Dieu sujet. Le jour où nous comprenons cela, nous nous autorisons à amplifier ce désir à l'infini, au lieu d'en avoir peur et de le limiter pour ne pas souffrir de ne pas obtenir ce que nous croyons devoir obtenir2.
1 « Si les êtres qui connaissent le Beau en soi aspirent à y participer, dès lors que celui-ci est infini, nécessairement le désir de celui qui cherche à y participer sera coextensif à l’infini et ne connaîtra pas de repos. Et donc il est tout à fait impossible d’atteindre la perfection. » (Saint GREGOIRE DE NYSSE, Vie de Moïse, Ed du Cerf, coll. « Sources chrétiennes », n° 1 ter, 1968, I, 7-8, 301 a-b).
« La voix divine accorde ce qui est demandé par le fait même qu’elle le refuse, offrant en peu de mots un abîme immense de pensée. En effet, la munificence de Dieu lui accorde l’accomplissement de son désir ; mais en même temps elle ne lui promet pas le repos ou la satiété. Et en effet il ne se serait pas montré à son serviteur si cette vue avait été telle qu’elle eût arrêté le désir du voyant. Car c’est en cela que consiste la véritable vision de Dieu : dans le fait que celui qui lève les yeux vers Lui ne cesse jamais de le désirer. C’est pourquoi il dit : tu ne pourras jamais voir mon visage » (II, 232-234, 404 a)
2 "Soyez sans crainte aucune : le Seigneur qui a mis dans votre cœur le désir infini dont vous me parlez ne vous abandonnera jamais. Il désire lui-même infiniment le satisfaire. Votre désir n'est qu'une étincelle du sien : c'est le don essentiel de Dieu à nos âmes. Plus une âme en souffre, plus elle a reçu ce don, plus elle est grande et aimée. Nos désirs nous mesurent, et nous sommes à peu près ce que nous désirons (...) Désirer aimer, c'est déjà aimer : Concupivit anima mea desiderare justificationes tuas. II faut aimer même ce désir. Vous souffrez de ce désir ; vous avez bien tort. C'est le meilleur de votre âme. Il sort des extrêmes profondeurs, de ces profondeurs que rien de créé ne peut combler, qui appellent Dieu. Chez vous, il y est. Mais vous ne le savez pas assez, et vous voulez trop le savoir... ou mieux le sentir. Vous voudriez le percevoir comme vous percevez une fleur, ou comme vous saisissez une grande vérité. Dieu est tout autre que cela ; et nos rapports avec Lui ont un tout autre caractère. Que de fois vous avez dû pleurer sur les belles pages des Confessions où saint Augustin passe en revue toute la création et demande à tous les êtres de lui dire où est Dieu, et ce qu'il est. Et tous lui répondent : « Cherche plus haut. » En définitive, tout ce que nous savons de Dieu se ramène à peu près à cela : nous savons qu'il est plus grand que tout ce qu'il a fait, et que pour prendre possession de Lui il faut dépasser toute son œuvre. Ne vous étonnez donc pas quand sa présence au fond de votre âme ne se traduit pas comme celle des êtres qu'il a créés. C'est précisément le signe caractéristique de son action. Il se donne à nous sous une forme essentiellement cachée et incompréhensible. Il se donne à percevoir à un organe supérieur que vous savez bien. C'est « l'œil de la lumière intérieure »". Dom Augustin Guillerand Silence Cartusien.
Contempler les Attributs divins nous transforme
Nous devons donc construire des récipients pour recevoir la lumière divine. Et qu'est-ce qu'un récipient ? C'est une partie de nous qui est semblable à Dieu. Comment donc construire cela ? Par identification. En effet, on devient ce qu'on contemple. En contemplant la vie de Jésus, ou de Marie, cette contemplation engendre en nous les attributs que nous sommes capables de contempler. Si nous contemplons la générosité, nous engendrons en nous la générosité, si nous contemplons le sacrifice, nous engendrons le sacrifice, et ainsi de suite.
C'est pour cette raison qu'il nous est nécessaire de contempler les Attributs de Dieu, et de ne pas nous contenter d'une vague abstraction. Plus notre contemplation sera précise, plus nous allons nous transformer en l'objet de notre contemplation. Ce n'est qu'après avoir engendré en nous un certain nombre d'attributs, qui vont transformer notre corps, que nous pourrons accéder à l'Essence divine, le fonds indicible, infini et sans forme.
Beaucoup de gens prétendent aujourd'hui accéder au sans forme, mais il s'agit uniquement du sans forme de leur confusion et de leur ignorance, qui est effectivement sans forme, comme du brouillard. L'essence divine est sans forme mais ce n'est pas réciproque : tout ce qui est sans forme n'est pas l'essence divine !
Rigidité de nos canaux
Chez les êtres ordinaires les canaux sont grossiers et rigides, ce qui signifie que leurs perceptions/conceptions manquent de finesse et parcourent toujours les mêmes trajets. Cela se traduit par le fait que nous choisissons toujours la même place au même restaurant, que nous allons toujours à notre travail par le même trajet, que nous faisons toujours la même promenade à la même heure, que nous allons en vacances au même endroit etc... et que les petits vieux répètent sempiternellement les mêmes histoires de la même façon. En conséquence de quoi notre vie devient très ennuyeuse parce que nous voyons toujours la même chose.
Le fait d'être entouré d'objets artificiels et non par la nature n'aide pas. En effet, les plantes changent tout le temps et se développent d'une façon cohérente, ce qui se reflète dans une certaine harmonie et souplesse de notre corps subtil. En revanche, le fait d'habiter en ville est la pire chose qui puisse nous arriver, car c'est un environnement rigidifié, cristallisé, qui ne reflète en rien les lois de la création, mais seulement l'organisation du mental. Les cycles naturels s'y manifestent très peu, ainsi que ces deux grandes lois naturelles qui sont la croissance et la décroissance. C'est ainsi que notre corps subtil devient mécanique et perd ses qualités d'être vivant en changement perpétuel. Il en résulte la rigidification du corps physique, mais aussi de l'âme, qui voit tout en lignes droites. Il en résulte une impossibilité réelle de connaître Dieu.
Qu'est-ce que le corps de gloire ?
Dans notre constitution actuelle, le corps et la pensée sont séparées. Nous avons d'un côté un corps considéré plus ou moins comme une mécanique, et d'un autre côté, le mental qui génère des pensées. Les deux sont opposés et complémentaires. Le vrai corps vivant est un ensemble de conceptions incarnées, c'est-à-dire qu'il est aussi un univers. Et comme il n'y a dans ce cas plus de dualité entre ce qui perçoit et ce qui est perçu, le corps de gloire est donc nécessairement ce qui est perçu, autant que ce qui perçoit. Ce que les saints perçoivent en tant que monde intelligible et imaginal, c'est leur propre corps de gloire, c'est-à-dire eux-mêmes, reflétant une part de la divinité. Tant que nous ne possédons pas un embryon de ce corps, faire taire le mental et l'imagination revient simplement à s'effondrer dans la sensation du corps mécanique, qui est assez proche du néant, car elle n'a aucun sens en elle-même. Aussi étrange que celui puisse paraître à l'esprit ordinaire, l'être totalement spirituel est celui qui est totalement immergé dans la Sensation, une sensation qui est alors entièrement synonyme de Sens (signification).
Pourquoi beaucoup d'expériences spirituelles ne nous transforment pas
Ce nouveau corps ne se crée pas d'un coup, comme sorti du néant - même si, semble-t-il, il se finalise d'un coup -. Il est comme un monument dont nous devons engendrer chaque brique, très patiemment, et d'une manière très simple : en informant notre âme par les attributs divins que nous pouvons percevoir par notre esprit, et en faisant pénétrer cela dans notre corps. On lit souvent : corporifier l'esprit et spiritualiser la matière.
Comment peut-on transformer le corps ? Pas directement, et c'est l'erreur de beaucoup de gens. Les attributs divins ne peuvent pas se mêler directement à notre corps physique, c'est la raison pour laquelle les "expériences spirituelles" sont inutiles. Tous les monde veut et cherche des expériences, mais dans le cas ordinaire, c'est comme faire glisser du sirop de framboise sur un bloc de glace en espérant qu'il en sortira de la glace à la framboise. Telle personne, a senti la grâce de Dieu descendre sur lui, vu une lumière blanche extraordinaire, vu le monde transfiguré par la lumière incréée etc... C'est terrible à dire, mais cela ne change rien en nous. Ces expériences ne peuvent être réellement utiles que si nous savons comment nous en servir.
La pensée magique ne fonctionne pas
La pensée magique, c'est celle qui nous fait penser que les pratiques ont une vertu par elle-mêmes, même si nous n'en sentons pas l'effet. J'ai rencontré un grand nombre de gens qui pensaient ainsi, certainement à cause de ce schéma engrammé dans l'enfance : "si tu es sage, tu auras du gâteau". Cela se décline de nombreuses manières :"Si je récite un million de mantras, la divinité viendra en moi" "Si je vais aider les pauvres, Dieu me sauvera" "Si je fais du yoga, mon corps va se purifier et je vais réaliser le soi". C'est une pensée qui est au fond mécaniste :"Si je mets de l'essence dans ma voiture, elle va avancer". Sauf que nous ne sommes pas des voitures, mais des êtes vivants.
La Prière du Coeur ne peut pas être dite mécaniquement, ce n'est pas parce qu'on va à la messe qu'on sera sauvé, ni parce qu'on est gentil avec tout le monde.
Dans ce qui suit, je vais donc décrire comment il faut procéder pour obtenir des résultats, et la mauvaise nouvelle, c'est qu'il faut y mettre du sien, s'impliquer totalement. Il n'y a pas "moi et ma volonté" "moi et ma prière" "moi et mon service aux pauvre". La pratique consiste, en essence, à devenir un avec mes opérations, comme Dieu est un avec les siennes.
"La loi de l'oraison c'est l'unité. Il exige la totalité de l'homme, et non une partie de lui. L'oraison demande le coeur tout entier ; et si on lui donne une partie du coeur, on n'obtient rien de lui. Le contraire arrive dans les actes de la vie humaine; s'il s'agit de boire ou de manger, ou d'accomplir quoi que ce soit, il faut réserver son intérieur. Mais, dans l'oraison, il faut donner tout son coeur, si l'on veut goûter le fruit de cet arbre; car la tentation vient d'une division du coeur" (Sainte Angèle de Foligno, (Sainte Angèle de Foligno, Le livre des Visions).
En tant que commençant, nous ne sentons ni les vents, ni les canaux, ni les gouttes. Nous devons donc commencer par un travail de dégrossissement de l'ensemble, et ce travail va commencer par le coeur. Nous devons apprendre à aimer de manière vraiment intense. C'est le fondement de tout, ce sans quoi rien ne sera possible.
Comparaison et identification
Il y a deux façons de lire un livre : en nous comparant, et en nous identifiant. En général, nous nous comparons pour être rassurés : "je suis aussi bien que cette personne là". Le problème, c'est qu'avec les saints, si nous voulons nous rassurer, nous allons devenir de très très mauvaise foi, comme ces psychanalystes qui ont déclaré que Sainte Thérèse d'Avila était certainement une hystérique. Il est facile de savoir ce qu'ils ont fait : ils ont été tellement effrayés par les implications de son discours pour le cas où elle dirait la vérité ("si elle dit vrai, je ne vaux rien") qu'ils ont été contraints de décider qu'elle était folle. Nous devons être plus courageux que cela, et ce n'est pas difficile : il nous suffit de cesser de nous comparer, pour nous identifier. Autrement dit, nous devons lire les aventures des saints comme si c'était le nôtres. Et pourquoi pas ? Lorsque nous lisions les aventures de nos héros de BD préférés, ce n'était pas si difficile, alors que, honnêtement, Superman, Astérix ou Donald, ne sont ni plus ni moins réalistes que des saints, si on y réfléchit.
Il nous faut donc lire les livres des saints comme s'ils étaient nos héros préférés, et l'on découvre que ce n'est pas si difficile, car ils ont toutes les qualités des bons héros. Ils sont courageux, bons, intelligents, un peu fous parfois, mais est-ce un problème ? Si nous regardons de près nos objections, nous voyons qu'il s'agit surtout de mauvaise foi. "Oui mais moi Dieu ne me parle pas, je suis loin de tout ça" m'a dit un jour une amie. Mais n'est-elle pas aussi loin de la belle princesse dont elle lisait les aventures étant petite ? A une époque j'avais un ami ingénieur qui portait tout le temps un tee-shirt Superman. Pourquoi pas un tee-shirt Saint François d'Assise ? Est-il donc plus proche de l'un que de l'autre ? Et finalement, les pouvoirs de Superman ne sont-ils pas la traduction, en termes matériels, des pouvoirs spirituels de Saint François d'Assise ? Simplement, nous avons de la difficulté à percevoir ce qui est dans l'ordre spirituel. Mais la fréquentation des Saints est une aide immense. Leur pouvoir spirituel transcende l'espace et le temps.
Des deux sortes d'attributs divins : noms de Beauté, noms de Majesté
En général, on ne considère qu'une sorte d'attributs divins, ceux qui sont liés à la croissance et à l'enrichissement (ce qui correspondrait au printemps et à l'été). Nous méditons rarement sur la décrépitude ou la destruction (qui correspondraient à l'automne et à l'hiver). Pourtant, si les phénomènes créés n'étaient pas détruits, il n'y aurait rapidement plus de place sur terre. Les plantes doivent laisser la place à d'autres, les animaux et les gens aussi. L'engendrement et la destruction sont donc les deux types d'attributs principaux du Réel. Et ils vont se traduire de deux façons différentes dans notre sentiment : attraction/répulsion, positif/négatif etc... Au niveau des souffles, nous avons deux canaux latéraux, où circulent deux grands types de souffles, solaire-lunaire, masculin-féminin, fort-faible, grossier-subtil. L'union de deux souffles contraires donne un souffle de sagesse, qui unit les deux qualités de force et de subtilité, ce qui lui permet de percer les centres subtils, et donc d'entrer dans le canal central.
Quand les vents circulent dans le canal central de manière non-obstruée, on expérimentera les attributs de beauté, ce qu'on entend généralement par "consolations", quand ils circuleront en dénouant des obstructions avec force, on expérimentera les attributs de majesté. Le mystique chrétien dira qu'il est abandonné de Dieu, qu'il expérimente la destruction de son être et la désolation. Mère Teresa disait :"Il détruit tout à l'intérieur de moi".