Transmissions
Il paraît qu’il y a des yogis qui sont capables de rencontrer tous les bouddhas qu’ils veulent (c’était le cas de Chöza Bönmo notamment). Je me demande si à notre petit niveau, nous ne pourrions pas avoir tous les maîtres que nous voulons, à supposer qu’on trouve une connexion suffisante. Je ne devrais sans doute pas dire des choses pareilles, parce que pour le moment je n’ai croisé personne qui ne fasse des erreurs vraiment grossières sur le sens de la pratique. En même temps si personne ne parle de ce qui est possible, c’est idiot.
Depuis un certain temps déjà, quand je lis des écrits de certains maîtres ou quand je vois des vidéos, il peut m’arriver d’avoir un sens très fort de leur présence (quelque chose qui ne m’est jamais arrivé en leur présence physique). Non seulement fort, mais complexe, vaste, et dévoilant des objets intelligibles tout à fait inattendus. Le truc dont on pourrait rêver quand on est assis en face d’un vrai maître mais qui n’arrive à peu près jamais à ce moment là. C’est assez curieux parce qu’on ne connaît pas ces personnes, elles ne nous connaissent pas, et pourtant méditer sur elles produit des dévoilements qui n’ont rien à envier par nature à ce qu’on lit sur les relations maître-disciple. Je veux dire par là que cela semble uniquement dépendre de la concentration qu’on y met, et donc qu’il n’y a en principe pas de limite.
J’ai une hypothèse : les maîtres sont des sources de lumières spirituelles. Ils réservent ces lumières à leurs disciples chéris qui repeignent leurs volets, balaient leur cuisine et ainsi de suite. En même temps, ces lumières sont là, dans leur corps. Les maîtres ne sont pas juste des channels, ce sont des corps de gloire – plus ou moins -. A savoir que, moyennant un certain discernement, on peut les voir. C’est un peu comme les prestidigitateurs. Un oeil ordinaire ne voit rien. Au disciple, le magicien va montrer ses trucs, et faire croire aux autres qu’ils ne verront jamais rien sans devenir ses disciples. Mais les trucs n’en sont pas moins là, sous nos yeux, et un oeil exercé sera capable de les voir. Il faut par contre avoir une sympathie particulière pour le maître en question. Il y a des tas de maîtres dont je peux reconnaître les qualités, mais je ne suis pas capable de voir leurs trésors parce que je ne les aime pas tellement. Mais avec ceux que j’aime, par contre, cela devient vraiment très étrange. C’était un exercice que j’avais commencé avec C* Rinpoche, que j’aimais bien, en sa présence physique, mais ce qui me vient maintenant avec des maîtres que je n’ai jamais rencontrés n’a rien à voir avec le peu que je captais à l’époque. C’est dire que toutes ces histoires de présence physique, c’est vraiment très relatif, et c’est fait pour les esprits grossiers qui sont incapables de voir au-delà.
Maintenant cela pose une question. Si j’avais eu cela en face d’un maître, j’aurais juré qu’il avait effectué sur moi une opération mystique et il s’en serait suivi le cortège habituel des perturbations émotionnelles (le désir de plaire au maître et la crainte de lui déplaire). Alors que là, je suis bien certain que personne n’a rien fait, à part moi. Je me suis invité quelque part où il y avait quelque chose à voir, un peu comme on s’inviterait dans la maison du voisin. Peut-être que j’ai pu à l’occasion évoquer les mânes d’untel, ou des coquilles que tel autre aurait laissées sur le plan terrestre (une intéressante théorie kabbalistique…), au fond je n’en sais rien, mais d’une manière ou d’une autre, je ne me sens pas l’obligation de leur plaire ou la crainte de leur déplaire. Même avec le Père Paisios. Quand je ne suis pas branché sur eux, il me paraît évident qu’ils ne sont pas dans mon salon en train de me surveiller, et quand je suis branché, je ne sais pas ce que c’est, et je n’ai pas non plus cette crainte.
Au final, il y a beaucoup de disciples qui sont convaincus que leur maître leur a transmis ceci ou cela, mais au fond ils n’en savent rien – comme mon ex-ami artiste, qui était persuadé que les maîtres lui transmettaient des tas de choses, ce qui révélait la croyance sous-jacente qu’il était le centre du monde. Mais après tout, il n’avait pas essayé avec des maîtres inconnus, et encore moins avec des maîtres inexistants, ce qui marche aussi.
Ce sont des expériences de ce style qui me font dire que les gens sont d’une ignorance/bêtise crasse parce qu’il ne font jamais de contre-expertise, et que l’idée ne leur en vient jamais. Ce qui leur apparaît c’est forcément Jésus, et quand ils ont un maître, forcément il s’occupe d’eux. Comment voulez-vous expliquer à ces sortes de fanatiques que les choses sont beaucoup plus compliquées que ce qu’ils croient ? Et en plus, ils se limitent énormément, puisqu’ils ignorent leur propre pouvoir.
Pendant longtemps j’ai cru que ne pas avoir de maître était une malédiction, mais si j’en avais eu un, jamais je n’aurais découvert les possibilités de mon esprit. Je me serais limité à quelque chose de minuscule, auto-persuadé d’un tas de choses complètement fausses… Peut-être qu’on peut en avoir un une fois qu’on a découvert tout ça, ça ne fera pas de mal. Mais en avoir un avant d’avoir réalisé qu’il est possible par soi-même de rencontrer tous les bouddhas…
Je commence vraiment à croire qu’on peut tout avoir, qu’il suffit d’avoir la concentration nécessaire, et bien sûr un moyen de se connecter.