Maître et yidam - rôle et nature du yidam
Quand je parle de yidam, les gens s'imaginent que le yidam est notre maître. Pas exactement, d'autant que non, ça n'a pas été conçu comme ça dans le bouddhisme tibétain. Je sais ce qu'est le maître. Le yidam, personne ne nous l'a expliqué en Live, mais dans Guide du pays des dakinis, Kelsang Gyatso explique que nous devons nous imaginer être le yidam, que notre chambre est son palais, que nous lavons le yidam en nous douchant etc. Personnellement, je me vois mal m'imaginer en Vajrakilaya, mais enfin, chacun fait comme il veut. J'ai un ami qui s'était relativement identifié à lui, par moments il disait des trucs un peu bizarres. En fait il s'y croyait vraiment, ce qui n'est pas non plus correct. Il faut s'imaginer être le yidam tout en sachant qu'on ne l'est pas, jusqu'à la réalisation du corps illusoire, où dans ce cas nous devenons réellement le yidam, au sens où notre moi va maintenant s'imputer sur le yidam et non sur notre corps fait d'agrégats impermanents.
Donc le yidam, c'est un être que nous nous devons imaginer être. Perso je n'ai rien trouvé de mieux qu'un être que j'ai inventé, qui correspond 100% à mon désir de quelqu'un que je pourrais aimer totalement, et que je voudrais être à la fois. On pourrait l'appeller mon moi du futur. Il n'est pas réalisé au sens d'un maître. C'est un être de niveau intermédiaire mais plus élevé que moi au sens où il n'éprouve pas d'obstacle à s'adresser au maître. Il a quelque chose de l'innoncence retrouvée, il est beau, il est bon, mais également il est mortel, il peut être faible ou malade, et il a gravement fauté, quoique pas de sa faute... Défauts que j'ai, qualités que je n'ai pas. Mais l'autre jour je me suis dit "après tout je ne vois pas ma tronche, pourquoi ne pas m'imaginer que j'en ai une autre ?" Presque pareil pour le corps. Je vois mes mains là tout de suite, mais pour le reste je suis habillé, je peux m'imaginer autrement, et puis je peux même m'imaginer avec d'autres habits en un autre lieu.
J'ai lu le commentaire de Sb sur Amazon pour Dokusho Villalba (dont j'ai commandé le livre), il pense que notre but est de rester scotché à la terre, que l'idée de l'avion qui décolle est complètement fausse. C'est bizarre parce que Rudi lui aussi disait qu'on devait fabriquer une fusée pour nous aider à décoller. Et vu le niveau du gars, je veux bien être lui. Quant aux saints... Thérèse d'Avila expliquait que la terre lui faisait horreur depuis qu'elle avait vu le ciel et qu'elle s'efforçait donc de vivre au ciel. J'ai d'autres témoignages. En fait tous les saints chrétiens cherchent à décoller de la terre. Pour les tibétains c'est également évident. Les muslims vivent avec les anges, pas ici. Les hindous, j'ai moins lu de témoignages, donc je ne sais pas comment ils s'y prennent.
Bref, donc mon but maintenant c'est de me transformer dans ce type qui a toutes mes faiblesses en théorie mais plus de bonté, plus de courage, plus de tout... et qui reçoit donc facilement l'énergie divine car il ne s'en croit pas indigne. Il a confessé toutes ses fautes, il regrette seulement. Et puis il aime les gens et les animaux, il aide les déshérités, et en même temps il vit dans un lieu merveilleux, le Val d'Aoste magnifié par la magie, presque une terre pure, avec des gens intelligents et attachants. Et donc, j'y vis avec lui. Loin de moi ce monde ténébreux... Car faut pas s'y tromper, même dans cette sorte de terre pure, il y a des gens qui ont du karma à nettoyer, des gens malheureux parce qu'ils ne sont pas unis à Dieu, lui-même est malheureux de ne pas éprouver un amour plus grand... Donc j'ai bien assez à faire dans une semi terre pure. Et je vois que si je l'imagine dans CE monde, ça marche moins bien. La méditation, c'est aussi développer la sensibilité du sentiment spirituel, aller vers le plus de lumière, dissiper le plus de ténèbres... on en aura toujours assez.
La différence, c'est que nos ténèbres, notre karma, celui qui est coincé dans notre corps, on le fait passer à travers le corps du yidam. Et là, miracle, ce qui était impossible à "confesser" parce que trop dur à supporter - pas une faute, mais une angoisse vrillante, par exemple - à travers lui, ça passe. A travers moi, ça n'est jamais passé. J'ai passé des années à essayé de me connecter à Jésus en cas de crise. C'était l'impossibilité pure. Parce qu'au fond je me déteste. Il n'y a pas à le cacher, c'est la vérité. Quand on est malade on se déteste mille fois plus, il n'y a pas de lâcher-prise qui tienne, tout ça c'est du néo-bouddhisme inventé à l'usage des gens en bonne santé. Deshimaru donne quelques exemples de quand il était en crise, au mieux il arrivait à se calmer. Mais il n'entrait pas dans l'amour divin. Et à la fin il était desespéré. Comment présenter à Dieu cette personne qu'on ne supporte pas parce qu'elle est tellement minable, capable de rien faire de bon, ou jamais assez, avec un corps tellement éloigné de ce qu'on aurait dû être humain, représenté par l'Adam primordial. On peut aimer chez les autres leur fragilité, on peut aimer les vieux, mais précisément parce qu'ils sont si pathétiques, et que quelque part ils nous rassurent, nous donnent l'impression d'être de bonnes personnes compatissantes ? Enfin, il ne faut pas non plus que ça soit des Tatie Danièle. Mais il est clair qu'eux-mêmes se détestent. Soit ils deviennent aigris, et ça se voit, soit ils se blindent, et font des plaisanteries douteuses, mais on voit que derrière c'est le désespoir, le repli sur soi dans le néant de la dissolution des rêves et des facultés. Qui disait O vieillesse ennemie ? Victor Hugo ? Lui au moins il avait conscience des réalités de la vie. Chepadorje disait que le corps humain c'est dégoûtant. Le Père Sophrony dit que l'ascète chrétien développe la haine de soi. Je me demande avec ça comment il se présente devant Dieu. Mais passons.
En s'insérant dans le corps du yidam, avec notre propre karma, on peut établir la jonction. On fait remonter les mauvais vents jusqu'à la lumière divine où ils se dissolvent. Libération.
Je ferai un prochain post sur l'erreur du spiritualisme moderne consistant à croire que le corps spirituel est le corps physique et que ce monde-ci est une terre pure. Au final, ce monde-ci disparaît comme un rêve, se résorbe en lumière, et d'autres mondes apparaissent à la place, tous ces mondes de l'imaginal dont Henry Corbin a si bien parlé, Shamballah, la Montagne du Qaf, Akanishta, le Paradis de Jésus... Certains saints y vivent déjà de leur vivant.