Conscience et ouverture / la vacuité
Tout à l'heure je réalisais que la "pleine conscience" tant à la mode n'est nullement synonyme d'ouverture, et que ce serait même plutôt le contraire. "Etre dans l'instant présent" c'est une chose, "être ouvert à l'instant présent" c'en est une autre. On peut être conscient de choses qu'on déteste après tout, et on peut détester la totalité de son environnement sans s'en rendre compte, auquel cas la "pleine conscience" est une façon de le rejeter en se focalisant sur ce qui est le moins signifiant. "J'ai conscience de la table" ou "de la plante" peut être une façon de se focaliser sur son habit matériel et d'en ignorer l'essence. Puisqu'après tout personne n'a jamais précisé que la conscience devait atteindre l'essence des choses.
C'est ainsi qu'un jour j'ai vu une nonne bouddhiste qui était tellement consciente de la pomme qu'elle pelait qu'elle était dans une bulle de 3m d'épaisseur, car en plus du reste, notre conscience à nous êtres ordinaires, est plutôt unidirectionnelle, tant elle est faible. Comme une minuscule ampoule de 1,5W qui ne peut éclairer qu'un seul objet dans notre cave. En d'autres termes, cultiver une conscience omnidirectionnelle, c'est le meilleur moyen d'être endormi à tout, car le seul objet dont on pourra être conscient, c'est l'omnidirectionnalité. Conscient de la nécessité d'avoir une conscience omnidirectionnelle... et rien d'autre, tout notre crédit est dépensé dans cet effort. En un sens la nonne bouddhiste n'avait pas tort, de se focaliser de la sorte. Le problème, c'est qu'elle n'aimait pas sa pomme. Elle aurait dû être en extase devant.
Aimer la pomme va créer un nouveau canal qui contient la qualité de la pomme. Ce canal, c'est de la conscience. On ne peut évidemment pas commencer avec des pommes, car pour créer un canal stable, il faut faire fondre des gouttes, ressentir un amour brûlant en somme. C'est toute la raison de choisir des êtres spécifiques. On constitue des canaux capables de reconnaître des qualités. Et ensuite, un certain bombre d'années plus loin, quand on s'allonge sur son canapé, et qu'on laisse tous ses canaux traîner dans l'atmosphère comme des cannes à pêche, on attrape des qualités. On commence à avoir une petite conscience de son environnement. Pas une pleine consience, faut pas rêver. Mais un début. Ce que Shunryu Suzuki décrit comme étant la bonne façon de pratiquer le zen.
Tout à l'heure j'étais au fitness club en train de faire de l'elliptique, il y avait toutes les machines devant moi, la télé, un magnifique environnement naturel en somme, mais en fait ça n'était pas mal, parce qu'évidemment les canaux vont sous les apparences matérielles. Heureusement... Et bien sûr si on regarde les gens, on ne voit pas le début du premier canal qui pourrait les connecter à l'instant présent (sauf si une jolie fille passait par là, mais ça ne serait pas encore de l'ouverture, juste une demi-ouverture). Et pratiquer la pleine conscience n'y changera absolument rien, puisque pour être ouvert, il faut aimer. Et pour aimer un environnement artificiel et laid (il faut le dire), eh ben c'est pas gagné. Si on ne peut pas le faire, autant se réfugier dans sa Ford intérieur et penser à quelqu'un qu'on aime, c'est le plus utile qu'on pourra faire.
Etre sur mon canapé ce soir et laisser flotter mes cannes à pêche m'a fait comprendre ce que Gueshé Guelek appelle "être libre". C'est flotter dans le ciel en volant sur ses cannes à pêche. J'en ai fort peu, comparé à lui, mais je commence à voir l'idée. On ne s'inquiète pas de ce qui va arriver ensuite, parce qu'on n'est plus dans les apparences de toutes façons. Plus exactement on est dans les apparences manifestant l'essence. Définition de la vacuité : le vide est la forme, la forme est le vide. Il aurait été plus clair de dire la forme est l'essence, l'essence est la forme.