Petit dialogue de sourds avec Raymond Oillet
http://marianus.blog.lemonde.fr/2015/12/21/mystique-de-noel-2/
D : Mais que répondez-vous à la question du comment ? Car ce n’est pas de savoir cela intellectuellement qui nous permet d’avoir la vision béatifique. Comment passez-vous de la théorie à l’expérience ?
RO : L’expérience dicte la théorie ou la confirme, à tout le moins. La théorie dictant l’expérience, souvent appelée foi pour surmonter l’aporie gnoséologique, est la perte de l’esprit. La co-naissance ici est épreuve personnelle comme l’avait vécue Maître Eckhart et comme il a eu la témérité de la confier.
D : Dire cela c’est rendre la recherche impossible à ceux qui voudraient avoir l’expérience mais ne l’ont pas. C’est ce qui est arrivé avec Steve Jourdain, qui n’a jamais su établir de pont entre lui et l’humanité ordinaire. Puisque vous lisez beaucoup, vous pourriez jeter un coup d’oeil à Comprendre l’esprit de Kelsang Gyatso. Il y explique la méthode bouddhiste (la vraie, je ne parle pas du bouddhisme frelaté enseigné partout à l’heure actuelle) selon laquelle le « connaisseur valide » s’engendre à partir du « connaisseur issu d’inférences », ce qui va permettre de découvrir ce nouveaux connaisseurs issus d’inférences et ainsi de suite, en un cercle vertueux. La conception modifie la perception, et vice-versa. On ne parvient certes pas en une nuit à la vision béatifique. Exposer la « vraie » philosophie me semble louable, mais les gens n’y ont finalement aucun accès, ce que vous dites c’est du chinois pour celui qui ne le vit pas, et celui qui le vit en a-t-il besoin ? Steve Jourdain aurait-il besoin de vous lire ? (En même temps il aurait eu bien besoin de lire un peu de bouddhisme car sa réalisation n’était pas complète. Maharshi qui s’est enfermé pendant 3 ans a été plus intelligent). Remarquez, bien que je m’emploie moi-même à en donner l’accès par des méthodes qui fonctionnent véritablement puisque je les ai testées sur moi et un ami, je me rends compte que cela n’intéresse personne parce que les gens croient tous posséder la science infuse. Il semble que l’aspiration, on naît avec, ou pas. Soit on se contente de lire le menu, soit on veut voir la vraie chose.
RO : C’est bien vrai et vous l’écrivez justement : « Il semble que l’aspiration, on naît avec, ou pas. Soit on se contente de lire le menu, soit on veut voir la vraie chose. » Les articles de mon blog incitent plutôt, je crois, à aller voir la ‘chose’ directement par soi-même. Il n’y a pas de méthode – ou plutôt toutes se valent. Oui, l’aspiration : « cela » en soi comme il est dit dans l’Evangile de Thomas sinon peine perdue… Sans curiosité sincère, qui se transformera vite en passion, mais au sens noble d’un entraînement d’esprit cette fois, tous les pas conduisant plus loin excitant aussi le désir de comprendre, de connaître, de réaliser. Je crois que c’est progressif, par engendrement successifs de paliers de sagesse si l’impulsion originelle a été authentique et dénuée d’égoïme. Mais je n’en dis rien là que de très banal que les ‘chercheurs’ savent tous aujourd’hui. Mais il fait passer maître dans l’intellectuel pour délivrer le spirituel et le faire briller avec plus d’éclat. Vous êtes d’inspiration bouddhiste : vous savez donc que la ‘grande affaire’ exige cet engagement personnel, cette force, cette opiniâtreté, cette persévérance et clairement, une très grande moralité. Mais je le souligne à nouveau : c’est affaire personnelle et le geste ultime de la confirmation, qui est réalisation, vous revient.
D : Pour avoir essayé vraiment toutes les méthodes, puisque je ne fais que cela depuis 20 ans (j’ai été bouddhiste, chrétien, musulman, hindou, j’ai testé tout ce qui était possible), je peux dire aujourd’hui que la diversité apparente recouverte une structure d’itinéraire qui est strictement la même d’une tradition à l’autre. Il n’y a que les noms et les Attributs qui changent. Si on ne reconnaît pas cette structure, il est bien difficile d’avancer. Une autre raison de la diversité apparente, c’est qu’elle s’explique par l’avancement plus ou moins grand du pratiquant. Ce qui fait la différence entre les pratiquants c’est le degré d’intégration des lumières intelligibles dans le corps physique. La prière pure, l’hésychia, n’est pas accessible au débutant, c’est une pratique du stade d’accomplissement (si vous connaissez un peu le bouddhisme). Le néo-advaita propose en réalité une pratique du type dzogchen, qui est un degré encore plus avancé. C’est pour cela que c’est vide pour les Occidentaux. Il faut avoir un corps spécial pour cela. Il se trouve que Steve Jourdain est né avec ce corps spécial, pour ne citer que lui. Mais la plupart d’entre nous devons commencer par le stade de génération, l’intégration initiale d’un certain nombre de lumières, car à la base, l’être humain est un « récipient malkut » (si vous connaissez la kabbale), il est vide de Dieu. J’imagine que vous faites allusion à ce que Steve Jourdain appelle le « geste de l’éveil ». Ce n’est pas un geste ultime, c’est un geste à reproduire encore et encore jusqu’à ce qu’il soit total. C’est en réalité le geste qui consiste à faire entrer les souffles vitaux dans le canal central et à les dissoudre. Lorsqu’il est total, ce qui n’était pas le cas chez Steve, le pratiquant réalise le « corps illusoire », qui vient avec un certain nombre de charismes spécifiques (voir les grands saints chrétiens). C’est pour arriver à cela que Ramana est resté enfermé 3 ans, contrairement à Steve il a compris qu’il lui en manquait un bout. Ensuite les bouddhistes vous diraient qu’il y a encore d’autres degrés… Bref. Ce « geste » n’est en réalité que le début d’un très long voyage, et d’ailleurs on peut apprendre à le faire, la méthode est très précise et peut être décrite, c’est la clé de voûte du « vrai » bouddhisme tibétain, mais aussi bien sûr de la pratique de l’oraison ou du dhikr, sauf que les chrétiens et musulmans ne le décrivent pas, se réfugiant derrière un « mystère » et une « grâce divine » qui ont bon dos. Bon, je ne vous ennuie pas davantage.