Zazen
Le vrai zazen est une pratique du stade d’accomplissement, voire une pratique dzogchen. Qu’est-ce que cela signifie ? Que pour être qualifié, il faut avoir pratiqué le stade de génération (engendré un yidam), et y être bien avancé.
Quel est l’effet du stade de génération ? Il modifie le corps en y introduisant du sens, des lumières spirituelles si l’on préfère. Par l’effet d’une savante alchimie, l’esprit se mêle à la matière, et la matière devient spirituelle, c’est-à-dire signifiante. Elle se met à posséder par elle-même des qualités. Cette nouvelle matière constitue l’embryon du corps de gloire, mais elle demande à être purifiée, ce qui est l’objet du stade d’accomplissement. En terre chrétienne, on appelle cela l’hésychia ou la prière pure. En terre japonaise, on appelle cela zazen. N’importe qui peut s’asseoir pour écouter la pluie tomber, mais ce ne sera pas zazen. Dans zazen, ce sont simplement les sensations qui déplacent les vents vers le canal central, alors que dans le stade de génération, ce sont des visualisations de divinités. Dans le stade d’accomplissement, ce sont des visualisations de canaux, ce n’est plus très conceptuel, voire plus du tout, et les vents sont mis en mouvement de plus en plus naturellement par tout ce qui advient, une goutte de pluie, une feuille qui tombe…
Cela donne aussi une idée de ce qu’avait compris Deshimaru : rien du tout. Pour lui, le pratiquant de zazen est sans émotion, comme un mort dans un cercueil, le chien aboie, la pluie tombe, circulez… alors que le pratiquant du zen est émotion pure, il est la pluie qui tombe et le chien qui aboie. Comme le disent les tibétains, chaque bruit est le son du mantra, chaque vision est le palais de la divinité. Je n’invente rien. Il faut se cultiver un petit peu. Bien entendu, le pratiquant a le droit d’avoir l’air impassible s’il en a envie. C’est comme les maîtres d’aikido qui trompent le chaland en cachant tous leurs mouvements. Mais tout de même, il faut être un peu sérieux. Quelque chose d’aussi sublime que le zen, avec des maîtres aussi extraordinaires que Dogen, ça n’est pas juste écouter la pluie qui tombe. Mais les orientaux sont des gens discrets et secrets, ils ne montrent rien. Et alors ce pauvre Deshimaru, il a regardé et il n’a rien compris. Il en a fait une pratique vitale, et pour sûr, c’est un bloc, de ce point de vue. En même temps il a l'air d'un brave gars, mais rien à voir avec l'énergie qui émane de Shunryu Suzuki.
Cela doit être désespérant le zen quand on n’y comprend rien, un pur nihilisme. En tous cas c’est l’atmosphère qu’on sent dans les dojos, une espèce de calme mortifère où plus rien ne se passe. L’humain est réduit à un minéral, une sorte de pierre posée sur un coussin. Alors que ça devrait être une centrale atomique dans un corps de moineau. Encore une magnifique tradition que les Occidentaux ont réduite à une pratique ectoplasmique. Je crois cependant qu’il existe un maître qui enseigne en Occident et qui sait ce qu’il fait, Harada Roshi. Le discours est convenu, mais il a l’allure d’un vrai pratiquant.