Omote-Ura (par Léo)
Hier incroyable mon prof d’aïkido (http://www.leotamaki.com/article-interview-philippe-grange-a-la-recherche-de-l-aiki-125370907.html) a dévoilé le pot aux roses que j’avais déduit logiquement de mes observations. Je l’avais entrepris avant le cours en exposant mes questions sur les rapports entre les déplacements du corps sur le banc d’un orgue et la science des mouvements harmonieux coordonnés que procure l’aïkido (et le fait que beaucoup d’experts instrumentaux ne disposaient pas en réalité de l’outil adéquat permettant de modéliser certains aspects du jeu et de faire progresser correctement les élèves).
Pour la première fois le maître a donné des explications complètes sur « l’aïki » (à la fois verbales et corporelles) et fait une auto-démonstration saisissante sur la façon dont le mouvement réel est sciemment et volontairement caché (en raccourcissant la phase de rotation de la hanche de telle sorte que les « non initiés » ne peuvent rien voir). Et du coup j’ai “vu” par simple comparaison qu’habituellement il ne transmettait pas grand chose alors qu’il avait une formidable capacité de le faire.
Rompant les règles de l’étiquette, je me suis même exclamé en le félicitant publiquement car je n’avais jamais vu cette façon de bouger nulle part, ajoutant même que le principe montré était “évident” ! Il m’a regardé amusé en disant qu’il y avait juste “un peu de travail” et “quelques recettes personnelles” (en fait il a montré aussi comment avait évolué toute sa conception du mouvement au cours de se longue pratique).
Donc là c’était vraiment extraordinaire, même si je ne suis qu’un pauvre nul et que juste après cela, une “ancienne” qui n’y pigeait pas grand chose non plus m’a embrouillé un peu la tête.
Après le prof a expliqué que le sens des « omote-ura » avait modifié par l’un des fils du fondateur, ce qui a fait perdre le sens de la notion initiale au profit de quelques chose de plus accessible, moins “ésotérique” mais quelque part trompeur.
Les anciens du temps du fondateur savaient qu’un mouvement pouvait être montré (omote) ou caché (ura), ce qui n’a rien a voir avec le fait d’entrer de façon directe (ligne droite) ou en rotation (sens dérivé complètement différent). Du coup j’ai pu constater l’abîme qui existait entre lui et les autres profs, même bien gradés.
L’échelle de progression ici comme en spiritualité et en art n’est pas du tout linéaire. Il y a des abîmes entre chaque palier. On peut même dire qu’un infini et même plusieurs infinis séparent chaque palier du suivant (dans le bouddhisme les capacités de concentration/méditation se multiplient par milliers/millions entre chaque terre pure).
Mais les autres élèvent semblent surtout assez fascinés et ne réclament aucune explication supplémentaire, se satisfaisant de réponses floues et évasives car ils pensent sans doute avoir la science infuse ou en tous cas ne pas être si loin du prof. J’en au interrogé quelques uns et c’est ce qui ressort assez vite. Inutile de chercher à comprendre des principes précis, car la sensation subjective est auto-suffisante.
Moi je sais que je suis pas bien fortiche mais j’ai décidé de « harceler » tous ces gens quoi qu’il arrive, les profs avec mes questions-observations et les élèves qui me prodiguent généreusement leurs « conseils » sans rien voir eux-mêmes en leur donnant sacrément de fil à retordre sur le tatami sans hésiter à les faire tourner en bourrique !
Du coup je crois que la baisse du niveau d’enseignement tient souvent plus aux élèves qu’à d’excellents professeurs réduits dans leur science et leur savoir et contraints de donner le minimum alors qu’ils ont des trésors dans leur besace.
Ce qui est terrifiant et source de stupéfaction, c’est que dans la vie tout est un peu comme cela. Sans doute on a déjà croisé des personnes dont on n’a rien su tirer de vraiment bon, ni laisser fleurir et s’épanouir leurs qualités. Après c’est sûr qu’on devient malheureux à cause de ça alors que l’amour ça serait justement de parvenir à « voir » les qualités de l’autre qui peuvent lui être cachées et de les lui montrer sans ostentation “à la japonaise”.
Note de Daniel : en peut remarquer qu’en spiritualité, la meilleure façon de dissimuler l’enseignement, c’est d’enseigner le Ura sans le Omote. Par exemple on enseigne le dzogchen. Mais comme les gens n’ont aucune idée des principes de base (Omote), ils ne risquent pas de percevoir ce qui est plus subtil. C’est vraiment intelligent, comme arnaque : au lieu de faire comme autrefois, où les gens avaient accès à une partie de la chose (ce qui faisait finalement courir le risque qu’ils deviennent capables de voir autre chose), on divulgue aujourd’hui « le plus caché », et cela dissimule efficacement la totalité de l’enseignement. En ce qui me concerne, j’ai l’impression que j’en suis toujours à découvrir l’eau chaude = les principes de base, et que ça n’est pas demain la veille que je verrai les choses cachées.