Les petits chaperons rouges
Je lisais sur un blog les récits d’un gars qui expliquait comment, en un seul regard, il avait des échanges extraordinaires avec les femmes, et qui concluait doctement que la réalité, c’est mieux que le virtuel. Ce qui m’a fait penser à mon ami peintre. Ce dernier, par exemple, croisait une nouvelle venue très jolie à la sangha, échangeait deux mots avec elle… et ensuite je n’entendais parler que de ça pendant un mois. C’était la fille que les voyantes lui avaient prédit depuis toujours (35 ans de moins que lui quand même), du coup il appelait son ami voyante pour se faire confirmer la chose, repassait en long en large et en travers toutes les prédictions reçues et qui prouvaient que c’était bien la bonne, appelait son ami astrologue pour faire faire une synastrie après avoir obtenu la date de naissance de la fille, la synastrie concluait invariablement que c’était la bonne… et puis au bout de deux mois que rien ne s’était passé, il m’expliquait qu’en fait la fille était super amoureuse de lui, mais trop, justement, et que ça lui faisait peur, et puis bon avoir un gosse avec un gars de 35 ans de plus, il reconnaissait que ça pouvait faire peur (car il y avait aussi un gosse de prédit).
Une fois je me souviens, nous avions mangé au restau avec l’une des ces filles jeunes et jolies, et quelques autres personnes, et franchement, elle n’avait pas l’air amoureuse. C’était une pouf comme il y en a tant, piquée de spiritualité avec rien dans le ciboulot. Il n’est évidemment jamais sorti avec, il faut dire qu’ils étaient quand même assez mal assortis. Et quand nous nous promenions dans la rue, à chaque fois que nous croisions une jolie fille, il était effectivement courant que la jolie fille croisât les bras en passant, sa conclusion c’était « Elle éprouve du désir pour moi, c’est sa façon de s’en défendre ». Personnellement j’avais une autre interprétation. Il ressemblait au loup de Tex Avery, et certes ces pauvres filles n’avaient pas très envie de se faire déshabiller du regard. Mais d’après lui, c’était toujours partagé.
Alors certes, je ne vais rien conclure quant à cet autre aventurier qui m’a fait penser à lui, en revanche, ce que je peux dire, c’est que ce qu’il appelle « réel », c’est du pur virtuel. Il ne faut rien connaître aux femmes pour s’imaginer vivre avec elles des choses partagées sur un simple regard. J’ai remarqué qu’il peut être dans la nature féminine d’être expansive et de sourire à tous les inconnus, certains jours. Ce n’est pas pour autant qu’il y a quoi que ce soit d’autre derrière, et c’est même en général assez superficiel. La plupart des filles seraient horrifiées de savoir le flanby que les gars font avec leur beau sourire innocent.
J’ajoute que le « monde réel » tel que ce brave aventurier (pourtant bouddhiste) nous le décrit, n’existe pas. Selon le bouddhisme, c’est une pure illusion, nous ne contemplons que les interprétations de notre esprit dans ce que nous croyons être de purs inputs sensoriels. Si je prends l’exemple de ma relation avec ma copine, j’ai « décidé » à la base qu’elle avait un certain nombre de qualités, mais si j’en discute avec elle, elle ne se reconnaît pas ces qualités. Ce sont des qualités du monde imaginal, c’est-à-dire de mon univers intérieur, que je projette sur elle. Le truc avec cela, c’est que cela peut effectivement l’influencer – dans le soufisme, c’est en projetant sa « himma » (faculté imaginative) sur les gens que le saint les transforme -, il n’empêche que je laisse à ma copine la latitude de se sentir autrement que ce que je vois, en plus de n’être pas un saint. Et si je la regarde et que je sens que quelque chose se passe, avant de supposer que je sais ce qu’elle a ressenti, je lui pose la question. En général, nos perceptions sont très différentes. Alors que nous sommes très proches et nous connaissons très bien, il y a souvent de la télépathie entre nous. Malgré cela nos univers sont très différents. Alors concernant une inconnue croisée dans la rue ? Il est impossible de savoir sans lui poser la question.
Un jour, Mère raconte qu’elle a fait descendre l’amour divin sur une disciple. Qu’a senti la disciple ? Que mère la détestait. On peut sentir certaines choses dans le corps des gens, mais il ne faut pas oublier qu’il y a quatre parties dans un être : physique, vital, mental, psychique. Ces quatre parties ont chacune leur vie propre chez l’être ordinaire, et le mental est généralement le dernier au courant de ce qui se passe. Pourtant c’est bien à celui-là que la personne s’identifie. Alors quand un homme déclare « Telle femme me désire » de quoi parle-t-il au juste ? Et quelle place fait-il à ses propres projections là-dedans ?
J’oublie souvent que les gens ont tendance à se faire des flanbys monstrueux simplement en se croisant du regard. Pourtant ma copine me raconte souvent les films qu’elle a pu se faire à la Fac ou dans les choeurs où elle a chanté, en s’imaginant que tel ou tel type était amoureux d’elle. Quand elle a déclaré sa flamme à celui qui est devenu son premier compagnon, elle était d’ailleurs persuadée qu’il était très amoureux d’elle. Ce qui n’était pas le cas. J’ai connu une période de ce genre, où je guettais dans les yeux des personnes croisées l’intérêt qu’elles pourraient avoir pour moi. Cela m’a totalement passé, grâce au roman dharmique, et je crois que cela laisse un grand vide dans mon aura, car les gens ne se sentent pas forcément à l’aise en ma présence. De fait, j’ignore complètement leurs projections, et je n’ai aucun désir d’en faire sur eux. Quand ma copine est tombée amoureuse, je n’ai rien vu, il a fallu qu’elle le fasse savoir clairement, ensuite c’était ma décision de projeter ou non sur elle mon univers imaginal. J’ai décidé que oui, puisque le rôle que je lui donnais lui plaisait, mais c’était une décision consciente. Mes objets d’amour sont clairement identifiés, et je ne laisse cela déborder que d’une façon consciente, c’est-à-dire en sachant que la source est imaginale. Mais j’ai malheureusement découvert que les gens ont une certaine tendance à se prendre les pieds dans le tapis, c’est-à-dire à tout faire tomber dans le monde réel. Par exemple, je peux décider d’entretenir une certaine relation avec l’âme d’une personne (l’être psychique), dont j’informe la personne (au niveau de son mental). Mais ensuite j’ai des réactions de jalousie, ou d’autres choses encore plus bizarres, parce que pour la personne, tout cela est vécu dans ce qu’elle croit être « le monde réel » qui est en réalité le monde de ses projections mentales. Donc elle commence à vouloir me rencontrer « pour de vrai », s’assurer de mes intentions à son égard, et puis si je ne réagis pas de la façon attendue elle me suppose des mobiles troubles etc… Suite dans un prochain post.