Chute et rédemption
Gloire à Dieu, j'ai enfin compris la raison d'une injustice apparente de Dieu envers moi. Je dis apparente car rien n'est jamais injuste, mais il n'est pas correct non plus de se débarrasser d'un sentiment d'injustice car alors on s'interdit d'en trouver la cause. Il faut au contraire creuser le sentiment, sans le justifier, mais à seule fin d'en trouver la racine.
Depuis ma naissance, j'ai été placé dans un lieu ne correspondant pas à ma nature, ce qui n'aurait pas été gênant sans doute sur une autre planète, mais qui dans notre société, et tels que sont les humains sur cette planète, est très gênant. J'en ai conçu une forte révolte contre l'autorité dès l'âge de 4 ans, qui s'est vite transformée en révolte contre Dieu (même s'il n'était pas nommé), ce qui a été l'occasion d'une chute vertigineuse et m'a durablement obscurci l'esprit. Mon héros de roman a déchu pour d'autres raisons, mais si je m'étais retrouvé dans la même situation que lui, j'aurais probablement fait autant de mal que lui, car à l'époque mes icônes n'étaient certainement pas des figures du Bien (à 7 ans j'ai volontairement commis un acte dont je savais qu'il ferait pleurer ma mère, à 10 ans je voulais ressembler à Dark Vador et ça ne s'est pas arrangé avec l'adolescence), même si j'éprouvais déjà une fascination pour le soufisme. Et finalement, à chaque fois que j'essaie de remonter à la cause de ce mal, je trouve toujours ce "misplacement" dans la création, qui m'a rapidement fait détester mes parents et le monde entier autour de moi, à l'exception des Sages. Mais comme on s'en doute, les Sages ne voulaient certainement pas de moi dans leur entourage, ils se sont donc employés à me rendre leur compagnie si ennuyeuse que je supportais difficilement leur présence (ce qui montre quand même le degré de leur "compassion"). C'était vraiment une situation impossible, car j'étais né, je crois, avec une certaine capacité spirituelle (dans la mesure où j'avais une conscience très supérieure aux gens de mon âge), mais l'injustice apparente de Dieu à mon égard m'avait rendu hermétique à toute influence spirituelle. Il m'a fallu des milliers d'heures de méditation et d'autres milliers d'heures de pranayamas (sans l'aide de personne on s'en doute) qui m'ont à moitié ruiné la santé pour défaire le noeud-là.
Pour autant, "l'injustice" initiale n'a pas disparu, et même si j'en ai pris mon parti, ne pas comprendre le dessein de Dieu n'était pas une option. D'autant que si je vais dans une tariqa, le problème va se représenter plus aigu que jamais, car je serai séparé de mes frères spirituels, et placé dans un lieu qu'il m'est difficile de supporter sachant que j'y serai totalement étranger. Exilé sans espoir, en quelque sorte. Pour moi, c'est l'équivalent de la prison, d'un point de vue spirituel, et il n'y a aucune chance que j'y échappe et que je puisse bénéficier de la compagnie qui devrait être mon "droit".
Au final, j'ai compris que c'est la façon dont Dieu a voulu me faire souffrir pour me rapprocher de Lui, et que je ne me confie qu'à Lui. Pour d'autres, c'est une grave maladie, une bombe sur leur maison, la perte de leur famille, pour moi c'est l'impossibilité de trouver mon lieu juste dans les relations aux autres, et d'obtenir ce qui devrait me revenir dans le domaine de la religion (la compagnie et les enseignements qui me conviennent), ce qui me pousse évidemment vers la condition d'ermite, ou d'ailleurs se sont retirées d'autres personnes dans une situation semblables (car je ne suis pas le seul, il y en a eu d'autres). Bref, intégrer une tariqa dans de telles conditions sera une mortification sans égale, et si j'y vais, c'est pour avoir l'occasion de pleurer, pas pour trouver la joie. Ce n'est pas le martyre, mais l'un dans l'autre, ce n'est pas sans rapport, de mon point de vue.
La morale de cette histoire, c'est que l'instrument de notre chute et de notre salut sont une seule et même chose, mais que si on n'a pas l'occasion de s'en apercevoir (car il ne faut pas compter sur les autres pour nous expliquer cela), ou pas assez de force, on se retrouve en enfer par le procédé même qui aurait dû nous sauver.