Les terres pures, pont entre le monde matériel et l'essence divine
Il y a un sujet qui apparemment n'a été abordé par personne, qui est celui des terres imaginales et des "êtres" qui président à chaque tradition. Dès qu'on entre dans une tradition quelconque, leur modèle est le meilleur, leur fondateur est le meilleur, et le reste a peu de valeur.
Pourtant il apparaît que tout le contenu est une construction, présenté comme une vérité universelle. Récemment j'ai un peu relu de soufisme, on y trouve par exemple la tradition du Miraj, dont le modèle est l'ascension du Prophète jusqu'à la proximité de Dieu. Il semble qu'il existe toute une littérature où de nombreux mystiques rapportent leur propre Miraj.
Il n'est pas difficile d'y lire une ascension de la kundalini le long des 7 chakras avec des siddhis associés à chacun. Mais les différents prophètes, les différents siddhis, les anges, tout cela n'est qu'une interprétation.
Maintenant, peut-on dire qu'il existe un fait brut en dehors de toute interprétation ? Je ne crois pas non plus. Ibn Arabi explique njustement dans son ouvrage sur l'alchimie que celui qui n'est pas guidé de manière adéquate ne trouvera rien de bien intéressant dans son voyage. Chaque degré est associé à une planète, et tandis que le véritable pèlerin se verra expliqué la science divine, l'incroyant ne trouvera que des sciences mondaines. Il est intéressant de noter que les planètes et leurs qualités n'ont rien à voir avec ce qu'on connaît en astrologie.
Ceci me fait dire qu'avec des données de base indéchiffrables, des planètes, des métaux, des généalogies, on peut inventer ce qu'on veut, mais qu'étrangement, ces inventions donnent un pouvoir sur le monde spirituel et matériel. Par exemple, Ibn Arabi associe la 1ere planère (le 1er chakra) à la science des Noms divins, le second à la connaissance de la Vie (et donc au siddhi qui permet de faire revenir les morts), pour la suite j'ai égaré le bouquin. Mais en tous cas, on chercherait vainement un rapport avec l'hindouisme et ses chakras.
La conclusion de tout cela, qui laisse songeur, c'est qu'à travers l'établissement d'un sens imaginal qui fonde une terre imaginale, les mystiques atteignent à une certaine compréhension de l'univers matériel et spirituel qui est opérative. Le souci, c'est qu'ils semblent en déduire que, puisque ça fonctionne, alors c'est une science objective, comme le scientifique qui déclare que la gravitation est une loi objective du fait qu'il arrive à faire voler des avions. Mais on constate que dans les autres traditions, le modèle est tout autre, et fonctionne aussi, quoique différemment. De là on peut déduire que chaque voie va donner des expériences et des siddhis différents, puisque tout est finalement construit, au même titre que l'univers qu'on voit. Et en fonction de l'univers ipmaginal qu'on aura placé entre l'absolu et le monde physique, les effets sur le monde physique seront différents. Il n'est pas dit que Jésus ressuscite les morts de la même façon qu'un boddhisattva ou qu'un mystique soufi.
La question se pose aussi par rapport aux êtres. Qui sont les êtres qui se font appeler Jésus, Krishna, Mahomet ? Je ne parle pas de leur vivant, mais une fois "morts". A mon sens, il y a sans nul doute des entités puissantes là-derrière, mais quelle est leur nature réelle ? Quand Gérard de Majella voit Jésus sortir du tabernacle, est-ce que c'est le même Jésus qui parle à Sainte Thérèse, ou encore est-ce le Jésus que Mahomet a vu dans ses visions ? J'aurais tendance à penser qu'il y a autant de Jésus que de mystiques, ce qui n'exclut pas qu'il y ait une ou plusieurs entités derrière, car il me semble que pour qu'une religion se fonde, il faut le soutien d'êtres invisibles assez puissants.
Ce qui est amusant, c'est que chacun se déclare seul maître de l'univers. Il faut donc en déduire une pluralité d'univers, car il est évident que Jésus n'est pas le maître du même univers que la Mère Divine ou que Gabriel. Cela fait penser à la parole du lopön comme quoi les corps d'arc-en-ciel vont chacun fonder un nouvel univers. Il est bien possible que l'univers matériel qui nous apparaît ne soit que la croûte d'une multitude d'univers qui seraient spatialement dans le même lieu, mais spirituellement dans des lieux différents, chacun avec son Régent arc-en-ciel. Et chacun donnant une forme de pouvoir sur l'univers matériel.
Quoi qu'il en soit cela pose question pour le pratiquant. A quel univers se rattacher ? Les différentes traditions donnent accès à des charismes divers et variés qui permettent d'aider les êtres, d'un autre côté on a l'impression qu'elles restent un peu coincées dans leurs modèles prétendument objectifs, le dzogchen se propose apparemment de donner la méthode pour réaliser le corps d'arc en ciel, mais est-il réalisable sans passer par l'univers associé (dont les clés sont détenues par les Rinpochés) ? Considérant sa formulation, c'est peut-être possible, mais la question est finalement complexe. Car il semble qu'il faille un modèle de représentation imaginale pour résorber la matière, qui ne va pas simplement se résorber dans une lumière abstraite. C'est à mon avis ce problème qu'ont eu Robert et Rachel Olds, qui d'après le Lopön n'ont pas réalisé le fruit, bien que leurs visions soient correctes. Mais il leur aurait manqué "quelque chose". Je me fais l'hypothèse que ce qui leur a manqué, c'est le connection à un univers imaginal vivant et véridique (doté d'une force de vérité), car à aucun moment cela n'apparaît dans leurs écrits, dont la perspective semble purement "naturaliste". A les lire, les "bouddhas" de leurs visions ne sont que des combinaisons de formes géométriques, ne supposant pas la présence de bouddhas véritables avec lesquels il y aurait une transmission ou une communication. Or selon Ibn Arabi, c'est bien cela qui est nécessaire, un "guide", qu'il soit dans la sphère physique ou imaginale, sans lequel le Miraj sera vide et sans substance. En tous cas il est évident que le Lopön vit dans la terre pure du Bön sur lequel il a rédigé 13 volumes, et non dans le vide d'une création en attente d'elle-même..
Mère est un exemple intéressant pour la réflexion, car elle a inventé sa propre voie en prenant pour "convention" de créer son imaginal "dans" la matière. Ses expériences ne ressemblent à rien de connu, son univers de référence semble avoir été créé par Sri Aurobindo sur une base vaguement hindouiste, et c'est apparemment à travers ce réseau de représentations qu'elle a tenté de se supramentaliser, sans trop de succès finalement, mais avec des effets intéressants quand même.
Donc la question se pose de savoir si le corps d'arc-en-ciel n'est pas le résultat d'un certain réseau de représentations, bien qu'il semble sortir de la vacuité. Mais tout et n'importe quoi peut sortir de la vacuité, si on veut un résultat précis, il faut une intention précise, et une intention passe certainement par la création d'un univers, qui fera le pont entre l'absolu et le monde matériel, et qui déterminera un mode de transformation.
En somme, les différentes spiritualités ne seraient pas comme on a tendance à le croire des modélisations diverses d'un donné de base qui serait "l'univers" ou "la création" ou "l'ensemble des phénomènes", mais feraient elles-mêmes partie de la création. Le donné de base s'il existe serait extrêmement restreint (on trouve quand même quelques points communs entre les traditions), et tout le reste ferait partie d'une forme d'évolution. Cela a déjà été postulé, mais pas avec des univers différents je pense. Aurobindo par exemple a dit que la création était en évolution, mais il a supposé qu'il n'y en avait qu'un univers, le sien, alors qu'à l'évidence il y en a plusieurs, pour ne pas dire une infinité. Point de vue Aurobindocentriste qui revenait à lui subordonner toutes les religions, lui seul connaissant le fin mot de l'histoire, ce qui ne tient pas debout. ceci expliquerait aussi que les maîtres des différentes traditions ne puissent pas se reconnaître, car ils vivent réellement dans des univers différents, et sont mutuellement indéchiffrables. L'autre apparaît comme un "incroyant" à "juste titre" car il est absent de ce qui définit le croyant, un mode d'appréhension du divin et une création spécifique.