Nécessité du langage spirituel
Suite au post précédent, on voit que ce qui manque aux occidentaux, ainsi qu'aux (pseudo)advaitistes, c'est un pont entre le monde et "Cela". En effet, sous prétexte que le pont serait une fabrication de l'esprit, on en déduit qu'il ne sert à rien, et on professe qu'il suffirait d'être dans "l'instant présent" et dans "ce qui est". Mais qu'est-ce que l'instant présent d'une terre où on n'a rien semé ? C'est l'observation de bouts de feuilles, de branches mortes et de minéraux. On pourrait s'interroger longtemps sur l'utilité et la nécessité du stade de génération, à mon avis il sert de base pour que l'on puisse réunir les vents dans le canal central. De même que si on sème des plantes dans une terre vierge, les éléments nutritifs vont se rassembler pour donner des fruits, alors que sinon ils resteront sous forme de NPK, qui ne peuvent nourrir personne.
C'est pour cette raison que toutes les traditions insistent sur le mantra, qui proviennent de lettres-germes. Les lettres en question sont des germes d'univers, qui permettent de donner une représentation aux vents et d'avoir une prise sur eux, alors que s'ils restent sous forme brute, on n'a aucun moyen de les connaître, et donc d'avoir une action dessus. D'où l'importance donnée au fait de "nommer" les choses. Il ne s'agit pas de les nommer pour les fixer mais pour avoir une prise sur elles. Si on ne peut se représenter ses vents, sous forme de champs purs, d'êtres et de relations, on ne peut rien en faire.
Du fait que les lettres-germes soient différentes d'une tradition à l'autre, ou que les chakras soient d'une couleur différente, l'esprit rationnel en déduit que ça n'a pas de valeur objective, mais pourtant tout le monde se sert du langage et on sait aujourd'hui que sans langage il n'y a pas d'intelligence possible, alors que les mots sont arbitraires, puisqu'ils diffèrent complètement d'un bout du monde à l'autre. Dire que les systèmes de représentation spirituels n'ont pas d'utilité en termes de réalisation, c'est dire que le langage n'a pas d'utilité et que des enfants-loups pourraient être de grands réalisés, or tous ceux qu'on a trouvés ne valaient pas mieux que des animaux.
On peut donc dire que les système de représentation spirituels ont la même importance dans le développement de l'intelligence éveillée (la sagesse) que le langage a d'importance dans le développement de l'intelligence naturelle. Sans eux, on obtient une réalisation vide, en attente d'elle-même, c'est-à-dire qu'on n'a rien accompli.Toutes les traditions s'accordent à dire chacune à leur manière que Dieu a voulu se connaitre lui-même, à travers sa création, et que sans elle il reste à l'état virtuel. Le pratiquant qui ne crée rien et retourne à l'indétermination originelle reste virtuel à lui-même. Il n'est pas dans le nirvana, qui est un processus de création substantielle. Il est nulle part.
C'est pour cette raison qu'une démarche comme celle de Ptitom par exemple, qui s'apparente à celle du pèlerin incroyant, qui cherche à accomplir l'ascension de manière scientifique, sans relation avec d'autres esprits, ne peut aboutir à rien. Selon Ibn Arabi, les "esprits des planètes" (je pense qu'on peut dire les lois naturelles) obéissent à des "prophètes", c'est-à-dire à des êtres qui ont créé des terres pures. Autrement dit les lois naturelles sont assujetties aux créations imaginales, et quelqu'un qui n'explorerait que ces lois n'obtiendra la connaissance d'aucune science divines (qui sont susceptibles de transmission). Les sciences divines, en nombre infini, sont révélées à ceux qui créent de la substance nirvanique (de l'Etre), non à ceux qui observent le chaos ambiant du samsara dans l'idée d'en tirer une quelconque vérité puisqu'il n'y a aucune vérité dans le samsara.
Dans le même ordre d'idées, tout le monde pense que les autres, leur personnalité, existe en soi. Que les événements vont révéler cette personnalité. Alors que les événements ne révèlent que le karma. Le véritable "soi", le bouddha qui agit pour le bien des êtres, reste à créer en intégralité. Ce n'est pas une construction, mais une création (ou peut-être un engendrement au sens chrétien). Les évenements devraient donc servir à générer la terre pure du pratiquant, à savoir que leur signification reste à inventer, et n'est jamais fermée.
Le nihilisme en ce sens consiste à dire que rien n'a de signification spirituelle, et c'est vrai d'ailleurs que rien n'en a tant que personne ne fait usage de son imagination créatrice pour créer du sens. A l'inverse, l'éternalisme revient à figer la signification de manière définitive en prétendant qu'ell est objective. C'est le dogmatisme qui a jeté l'esprit rationnel du côté nihiliste, et ce n'était pas difficile. Si chacun prétend détenir la vérité et que toutes ces vérités sont différentes comme il est très facile de le constater, le meilleur moyen de trancher consiste à dire que tout le monde délire. Ou à changer la définition de vérité, comme l'a fait Aurobindo. Ce qui est vrai, c'est ce qui permet à l'intelligence éveillée de se développer. En ce sens, tous les langages spirituels sont vrais, et ils n'ont aucun besoin d'être cohérent entre eux. De même que toutes les langues permettent aux êtres humains de devenir intelligents, sans pour autant avoir des rapports définis entre elles ou des structures semblables.
Pour celui qui veut progresser en sagesse, il est donc nécessaire d'apprendre, ou de créer un langage spirituel à partir de ce qui existe.