Dîner de cons
Ce soir j’ai revu « Dîner de cons ». C’est marrant, parce que c’était arrivé à un ami, il y a une quinzaine d’années. Un type qui présentait plutôt bien et qui se croyait très malin. D’ailleurs il était loin d’être bête, par contre il était un peu jeune, donc un peu naïf. Bref, lors d’un séjour à Paris, il croise une superbe fille dans un bar à huîtres qui l’invite à dîner le lendemain soir. Le lendemain, il se présente à l’adresse indiquée, super appart’, il me décrit le maître des lieux (le mari de la fille rencontrée la veille) comme le nec plus ultra du top des tops, le gars richissime, supérieurement intelligent, beau comme un dieu, d’ascendance noble, la grande classe, et bien sûr haut placé. Mon ami, fils d’officier de marine, est bien entendu particulièrement sensible à ce genre de choses. Il y a d’autres invités, tous des esprits brillants. Tout ce beau monde passe à table pour un excellent repas. On s’intéresse de près au jeune homme, on l’interroge sur lui, on le fait parler… Bref, il passe une soirée parfaite, où il a tenu le beau rôle qui plus est. Quelques temps plus tard, je fais la connaissance d’une dominatrice (en fait un polytechnicien transexuel…), on sympathise, de manière purement amicale, je le précise, et au détour d’une conversation, elle mentionne le nom du type chez qui mon ami avait dîné. « Ah bon tu le connais ? Mais c’est qui ? ». Elle me confirme tout ce que j’avais entendu, le gars est en effet dans les affaires, marié à une superbe femme, tout correspond, à ceci près que c’est un habitué des milieux SM, et qu’avec sa femme, ma foi, il leur arrive de ramasser des petits jeunes qui présentent bien et de les ramener à la maison. Je commence à comprendre. Je ne sais plus si je lui demande de se renseigner sur la soirée en question, ou si son ami lui en avait spontanément fait le récit, mais toujours est-il que la femme du gars avait en effet invité un jeunot dans un bar, avec projets éventuels, mais le gars n’avait rien capté à rien, toute la soirée s’était passée en allusions tournant autour de lui, à la fin de quoi tout le monde avait conclu avoir affaire à un crétin fini, et surtout le maître de maison qu’il avait tant admiré…
Mais ça n’est pas fini ! Cinq ans plus tard (environ), alors que je fréquentais une espèce de négociant de vin (amicalement toujours), le gars me parle d’un de ses amis… qui porte le même nom que le riche presque-aristocrate. Là je tombe de ma chaise, et en plus, il est tout à fait possible de le rencontrer. Je ne peux pas louper ça, il faut que je voie le phénomène. Donc, soirée restau.
Et là, disons-le, la personne que je rencontre n’a rien à voir avec ce qu’on m’avait décrit. Il faut dire que tu temps avait passé. C’est un ptit gars épais comme un haricot vert, d’une cinquantaine d’années, plutôt mignon en effet, le regard très intelligent, plutôt classe sauf qu’il porte un pantalon troué et que sa veste semble sortir de chez Tati plutôt que de chez Kenzo. En fait, sa femme l’a ruiné, c’est une folle furieuse, elle l’a fait virer de tous ses boulots successifs, et de directeur général de j’ai oublié quelle grosse boîte française, il est devenu comptable au black dans une PME. Il ne peut pas payer la pension alimentaire faramineuse que la justice a accordé à son ex, et donc il se cache dans un appartement plein de gravats. Authentique. A part ça, il est charmant, rien à voir avec le tordu qu’on m’avait décrit. Certes me dira-t-on, sa situation était du genre à détordre n’importe qui. Cependant, son amie dominatrice a quand même fini par me dire que s’il avait été viré de son poste de DG, en réalité, c’est parce qu’il était trop honnête. Bref, un type bien, et je regrette qu’un connard que je fréquentais à l’époque m’en ait séparée – même si notre relation n’était qu’amicale, elle aussi.