La pratique en l'absence de Père Spirituel
Je suis en plein dans la lecture de la vie de Joseph l'hésychaste, un véritable athlète de la prière sur le mont Athos. Cette lecture m'interroge sur la possibilité d'être sauvé vu la vie que l'homme moyen mène en comparaison de celle de ce saint, et je ne vois pas qui pourrait répondre vraiment à cette question à part un homme de cette trempe.
La vie du Père Joseph, quoique passionnante, est assez compliquée à lire, car il faut en tirer ce qui nous est utile sans se tirer une balle dans le pied. J'ai un ami orthodoxe qui ne lit pas ce genre de littérature de peur de tomber dans le désespoir.
Il faut comprendre (et c'est dit dans ce livre), qu'il y a plusieurs sortes de salut, ou encore plusieurs degrés de paradis. Il semble évident que partis comme nous sommes, nous ne parviendrons pas jusqu'au paradis du Père Joseph. J'ai la ferme conviction qu'il a emmené avec lui tous ses disciples les plus sérieux – car un saint a ce pouvoir – dont nous ne faisons pas partie. Cependant, on peut quand même s'en sortir à moins, le Christ n'est pas venu sauver uniquement les futurs saints (futurs par rapport à lui).
Ce qui nous est demandé est à la fois facile et difficile. Facile en termes d'ascèse, car vu l'époque et notre éducation, le Christ n'attend pas de nous des hauts faits ascétiques. Par contre il attend de nous que nous croyions en lui (d'une manière simple, comme des enfants), et cela c'est extrêmement difficile, cela fait 24 ans que j'essaie... Car imagine-toi que j'ai été chrismé (orthodoxe) en 1999. Je comptais en quelque sorte sur ma marraine, sur la paroisse, sur l'évêque, bref, un peu sur tout le monde, pour m'aider à croire un peu plus. Mais tout s'est débiné sous mes pieds, l'évêque s'est avéré marié, ma marraine disparue, et ma chrismation pas valable, car un évêque marié redevient un laïc, il n'a aucune droit à baptiser ou à chrismer, ni à dire la Liturgie (la messe). Du coup je me suis plutôt confié au bouddhisme, mais ça n'a pas marché, les maîtres ne veulent pas de nous (tu trouveras dans la vie du Père Joseph qu'un maître véritable prend sur lui tous les péchés du disciple, en échange de son obéissance absolue. C'est très clair dans la vidéo du karmapa où tous ses disciples sont aux anges, tandis que lui semble vivre un enfer très particulier, celui d'être responsable de tous ses enfants spirituels). Après ça je me suis confié à Amma qui s'était fait fort de recueillir tous les boat-people spirituels, mais la pauvre, elle avait trop d'enfants, son navire a chaviré. Quand je suis retourné à l'Orthodoxie, j'ai appris que ma chrismation n'était pas valable, et c'était clair qu'ils allaient m'emmerder pour la refaire. En plus, j'étais allé avec un ami voir le Père Séraphim de Porquerolles mais il était aux abonnés absents, je crois qu'il y a toute l'histoire, et les lettres échangées, dans les archives du blog. Après nous sommes passés au monastère du père Placide qui se trouvait dans les Alpes, franchement ça faisait peur. A posteriori je dirais que la grâce n'habitait pas l'église, ou qu'elle n'arrivait pas jusqu'au fond où je me trouvais. J'ai navigué à vue jusqu'en 2018 où j'ai finalement trouvé un bon prêtre pour me chrismer en échange d'une semaine de retraite dans son monastère. C'est là que je suis tombé malade. Depuis, il est devenu clair pour moi que le bon prêtre n'avait pas les épaules d'un Père spirituel.
Il y a 2 ans, j'ai cru comprendre qu'il était finalement plus facile d'être chrétien que bouddhiste, donc je suis retourné à l'Eglise (il n'y a que des cathos dans le coin) mais en fait ce fut la cata, y compris les monastères du coin. Là encore je montrerais du doigt l'absence de grâce dans les bâtiments. Il y a un endroit où j'en ai perçu, c'est chez les Orthodoxes roumains de Bordeaux, mais pas les autres. C'est assez facile à percevoir je pense, sans parler de voir la lumière incréée. Quand la grâce a déserté un bâtiment, il est froid et vide, comme la plupart des églises. Quand elle est là, il paraît chaleureux et habité. Il y a la même différence entre une maison vide et une maison habitée. Il y a quelque temps j'ai réalisé que le lieu le plus « habité » que j'aie jamais vu, c'était la salle d'enseignement du Lopön. On s'y sentait en sécurité, comme en-dehors du samsara. Sur le moment je ne le voyais pas, mais rétrospectivement c'est clair qu'il a fait descendre toute sa lignée sur les bâtiments de Shenten. Mais quoi qu'il en soit, Shenten c'est loin d'ici et en plus il n'y enseigne plus. Il reste ses disciples, qui sont d'un haut niveau, mais je ne suis pas sûr qu'aucun d'entre eux veuille s'encombrer de disciples, et encore moins Occidentaux. J'ai dans l'idée qu'ils ont eu des instructions à ce sujet – de ne pas y toucher. Bref.
D'une manière ou d'une autre, le christianisme semble aussi difficile que le bouddhisme, au sens où dans le bouddhisme nous avons des maîtres réalisés qui ne veulent pas de nous, dans le christianisme nous avons le Christ qui est un sambogakaya, en vertu de quoi il nous est impossible de le percevoir. Il a des représentants sur terre qui sont les saints, je voudrais bien qu'on me dise où en trouver un en France, et sinon il reste la maigre possibilité que la prière d'un saint tombe sur toi.
J'ai cependant l'expérience qu'il est possible de contacter des saints du Ciel, et de leur demander de nous aider. Le truc c'est de trouver celui qui te convient. Pour ça, il faut lire un certain nombre de biographies, et à un moment tu trouveras qu'il y en a un à qui tu ressembles plus que les autres, et donc que tu aimeras plus que les autres. Avec celui-là, tu auras une chance. Cela dit, ça demande d'avoir une faculté imaginative assez développée. Même si tu n'as qu'une marche de l'escalier à monter avant que Dieu descende vers toi (soi-disant), je peux te dire qu'elle est haute. Non par nature, mais parce que personne ne croit sérieusement, et qu'il est extrêmement difficile de se séparer en esprit de ceux qui nous entourent. Croire ça ne veut pas dire confesser sa foi, crier par les rues « je crois en Christ », ça plein de gens le font. A part le Père Antonio, je n'ai rencontré qu'une seule personne qui me semblait véritablement chrétienne, une musulmane qui avait eu une vision du Christ dans une église (elle y était entré par on ne sait quel miracle vu qu'elle détestait ces lieux), elle était tombée raide sur le dallage et s'était réveillée quelque temps après. Dans gens étaient arrivés pour dire la messe, elle s'était cachée dans un confessionnal pour ne pas être vue, et elle avait assisté comme ça. Elle a ensuite entamé une démarche pour être baptisée, et l'a finalement été, mais elle a découvert que les gens de sa paroisse ne voulaient pas d'elle. Sans parler de sa famille qui l'avaient tous reniée. Bref, elle a atterri dans la paroisse d'ici, sauf qu'ici, il n 'y a pas plus de croyants qu'ailleurs. Du coup, malgré le fait qu'elle essaie de bien paraître, elle souffre beaucoup, et ça pour moi c'est un signe réel qu'elle est chrétienne. Sinon je suis allé voir des Carmes du coin, des Pères qui sont dans un monastère assez réputé et dont certains ont reçu la permission de faire de l'accompagnement spirituel. J'ai rencontré je pense le plus vieux et le plus sérieux d'entre eux, mais ça n'était pas ça. En parlant, il est devenu clair qu'il se pensait impuissant, sa prière m'a aidé une journée, pas davantage. Le cause, c'est le dogme dominant : on a le droit de profiter de la vie, il n'est pas nécessaire de souffrir plus que de raison, Dieu nous a créés pour être heureux. Si tu souffres trop, c'est de ta faute, t'as qu'à faire de la relaxation, contempler la nature et les petits oiseaux. Enfin, moi, quand je vois les petits oiseaux, je vois de pauvres créatures qui habitent dans des nids où il pleut, se gèlent et crèvent la faim en hiver, et quand ils meurent ils ont de la chance s'ils ne se font pas bouffer par un chat (comme le nôtre, qui se fait fort de dégommer tout ce qui vole).
Sauf si tu trouve un Père Joseph pour te prendre sur ses épaules, devenir chrétien signifie souffrir beaucoup. Mais bouddhiste aussi. Je pense que c'est par refus de souffrir que les Matthieu Ricard et compagnie ont loupé la marche. D'une manière ou d'une autre, la mission de l'être humain est de « sauver » la portion de samsara qui l'entoure. On ne parle que des gens, mais ça veut dire aussi les animaux, les chemins, les arbres... tout ce qui est dans ton champ de conscience. Comme tu la sais, la Création a dégénéré avec la chute d'Adam, les tigres ont cessé de manger de l'herbe etc... Après on sauve ce qu'on peut, et ce qu'on sent qu'on ne va pas pouvoir sauver (comme Macr0n et ses sbires, par exemple), il faut l'évacuer de son champ de conscience pour que ça ne soit pas un boulet à notre mort. C'est pour ça que le Père Joseph disait à ses disciples de ne parler à personne. Parler à quelqu'un c'est commencer à le voir, et le voir, c'est prendre sur soi ses péchés. Ou alors il faut être dans un mode de perception où on ne perçoit aucune de ses fautes – ce qui est mon cas depuis assez longtemps (de loin je critique un tas de gens, mais tous ceux que je vois en vrai sont merveilleux, après je suis toujours très étonné d'apprendre qu'ils m'en veulent pour une raison X ou Y). Après, il restera peut-être les parents, quelques animaux, un petit jardin... Et ensuite il faut savoir vers qui le faire remonter. Pour moi j'ai résolu la question en essayant de ne pas trop me représenter le Christ. Je me représente les saints et leur environnement, par exemple, mais le Christ, c'est l'Habitant du canal central par excellence, on peut le sentir sans en avoir l'image, il suffit d'avoir l'expérience du canal central et des vents de sagesse (il est la Sagesse). Donc, le problème de la croyance est résolu par l'expérience. Le Christ peut d'ailleurs être considéré comme un Lieu, le Ciel. Il est en fait le Ciel dans lequel sont allés tous ceux qui ont pu « croire » en lui, mais un Ciel qui est aussi une personne. Dans le bouddhisme, le corps des bouddhas, c'est leur terre pure.