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L'entraînement de l'esprit
A lire...
22 mars 2020

04 - Soirée à l'auberge

Jamais Yaël n'aurait accepté de se mettre au "service" du Chevalier Undalyn, lui, ex Prince-Gouverneur d'Almora, s'il n'avait perçu d'emblée la parenté qu'il entretenait avec les deux hommes qu'il avait le plus aimés : Simon et Daniel. Il était de la même race d'hommes grands et forts, fidèles à leurs principes, qui comprennent d'instinct les situations, et qui préfèrent les actes aux paroles.

La première fois qu'il l'avait remarqué, c'était dans ce bar à filles.
Marina, une fille splendide, lui avait proposé gratuitement ses services, ce qui n'était pas banal. Elle était la plus belle du lot, c'est à dire la plus chère, et même si elle n'était pas chienne, elle ne bradait pas la marchandise. A Yaël également elle avait fait cette faveur, suspectant qu'il serait plus rentable de l'avoir pour ami que pour client. Elle ne s'était pas trompée. Non seulement il avait lâché trois mille florins à son patron pour tout le temps qu'ils passaient ensemble, mais il lui avait fait une "donation" personnelle de dix mille florins pour sa future maison, tout en lui précisant bien qu'il ne serait pas le mari qu'elle attendait. Par chance, l'argent était facile à gagner. C'était la meilleure table de poker de la région, où les pigeons venaient se faire plumer avec joie - car le pigeon aime ça -, et avec quelques habitués, ils s'étaient partagés le travail. Plus exactement, Yaël avait commencé par plumer les habitués grâce à ses talents télépathiques, en sorte que ces derniers lui avaient envoyé le meilleur assassin de la région, Andreas Némès -. Mais l'homme, séduit par ses talents d'épéiste, avait jugé plus intéressant de le laisser vivre, et il avait rendu leur argent à ces rascals. Yaël, bon prince, leur avait proposé un marché qui lui laissait la meilleure part, tout en leur garantissant toujours leurs fins de mois - après tout, ils avaient le droit de gagner leur vie, comme tout le monde, et qui était-il pour juger de leurs méthodes ? Ce qui leur inspirait plus de respect encore que le fait qu'il fût encore en vie après avoir rencontré Andreas (qui était devenu un ami), c'était qu'il ne leur en voulût pas, et même que tout cela l'eût fort amusé.
Bref, Marina était redescendue ravie de son petit voyage, ce qui lui avait fait plaisir pour elle. Il redoutait quand les filles s'attachaient trop à lui, cela se finissait toujours en drame.

Il faut dire que le Chevalier Undalyn méritait l'attention qu'on lui portait, et d'ailleurs, Marina n'avait pas été la seule à le trouver digne d'intérêt malgré son évidente pauvreté - il était propre, mais sa veste en cuir montrait quelques signes de fatigue -. Toutes les autres filles également le regardaient d'un air énamouré, pressentant qu'avec un tel mari, l'existence leur sourierait enfin.

C'était un guerrier magnifique. Environ deux mètres dix avec une carrure impressionnante, une beauté virile et imposante, des cheveux bouclés, courts, qui formaient une couronne dorée autour de son visage, il avait le teint hâlé de ceux qui passent leur vie au grand air, des yeux d'un bleu océanique, intenses comme un jour d'orage. Vêtu tout en cuir noir, avec un écusson de chevalier sur sa manche droite, il portait deux épées longues croisées dans le dos, des armes empreintes d'une puissante magie, et l'on pouvait supposer qu'il savait s'en servir car il portait l'insigne distinctif des Rangers. Des Eldars génétiquement augmentés, chargés de nettoyer les campagnes des monstres qui les infestaient. Mais le plus remarquable chez lui, c'était son aura. Une aura incroyablement brillante, comme s'il aimantait naturellement l'éther. Même si Yaël n'était sur Eldara que depuis six mois, il n'avait jusque-là rien vu qui pût s'en approcher. Il trouvait d'ailleurs étrange qu'un tel homme eût choisi le métier des armes, ingrat et risqué, alors qu'il aurait pu être un puissant sorcier, une carrière bien plus valorisante. En même temps, on voyait que c'était un homme libre, qui ne devait rien à personne. Fier, mais sans arrogance, il connaissait sa place. Il respectait l'ordre établi mais ne s'y soumettait pas.
Yaël aurait bien aimé lui parler, mais il se doutait qu'il allait se faire recevoir. Undalyn faisait partie de cette catégorie d'hétérosexuels sans faille qui considéraient les androgynes de son genre comme une bizarre déclinaison de l'espèce mâle - un solitaire qui n'acceptait de se faire aborder que par les belles femmes -. Ni sa beauté ni ses talents divers ne l'auraient séduit, alors il s'était contenté de l'admirer de loin.

Lorsqu'il s'aperçut qu'Undalyn lui suivait à la trace, cela ne laissa pas de l'inquiéter, car il ne voyait pas ce qu'il pouvait lui vouloir. Quand il fut incapable de le semer malgré les qualités de Biscotte - fille d'un champion de steeple et jument de trois ans très prometteuse, durement gagnée au poker - il se sentit encore bien moins rassuré. L'après-midi où il se retrouva sur cet arbre, il n'en menait pas large.
Une fois convaincu de ses bonnes intentions, il comprit que leur rencontre ne devait rien au hasard - malgré quoi il aurait décliné son offre généreuse, n'eût été sa parenté avec le genre d'homme qui l'avait toujours attiré. Se retrouver avec aux trousses tous les chasseurs de primes du pays ne l'impressionnait pas plus que ça. Il y avait d'autres pays, pour commencer, et puis il aurait bien fini par savoir utiliser la magie. Il avait déjà appris l'Eldarin, et commencé à faire le tour de bibliothèques les plus réputées.
Immédiatement après leur accord, Undalyn lui avait remis un bracelet :"Même l'Inquisiteur Ming ne te cherchera plus d'ennuis.
- Comment m'a-t-il détecté ?
- Il a un sort de détection. Note bien, il pourra supposer que je t'ai fourni le matériel adéquat, mais s'il met ma parole en doute, je le défie en duel. Je suis Chevalier, il sera contraint d'accepter, ou de me présenter des excuses.
- Ça peut avoir ses avantages, cette façon de régler les litiges.
- Ça dépend pour qui. Tu es ménestrel ?" fit-il en désignant du menton son étui à cithare.
- C'est une façon de dire les choses.
- Quelle est l'autre façon ?
- Je suis compositeur. Au fait, je m'appelle Yaël Helias.
- Undalyn.
- Je vois que vous êtes Chevalier. Vous avez des terres ?
Il haussa les épaules.
- Je les ai laissées à un métayer pas très doué apparemment... et puis comme il a huit gosses, bref. Je préfère ne plus y penser.
Comme le chemin devenait plus étroit, il passa devant, Yaël en profita pour admirer le paysage. Pour la première fois depuis son arrivée, il n'avait plus à être sur ses gardes. Il avait découvert au fil des jours qu'il aimait bien voyager à cheval, surtout depuis qu'il avait cette jument blanche, à la fois docile et rapide.

La nature était splendide en ce début d'automne, et lui faisait presque oublier son triste séjour sur Unasin. Les arbres étaient plus grands, avec un caractère plus défini, et semblaient comme enracinés dans une vitalité surnaturelle, avec un feuillage éclatant, vibrant de magie. Parfois il lui semblait qu'ils auraient pu lui parler. Des espèces de buissons qui sur Unasin étaient rachitiques étaient ici plus grandes que lui, avec d'énormes baies qui faisaient le bonheur des hommes et des oiseaux. Undalyn d'ailleurs s'arrêtait régulièrement pour cueillir des pommes et des myrtilles qu'on aurait pu dire grosses comme des noisettes, si les noisettes n'avaient été grosses comme des noix et ainsi de suite. Se nourrissant lui-même d'éther, il n'aurait su dire si tout cela était bon, mais Undalyn l'assura qu'en été et en automne, il pouvait passer des jours sur les routes sans avoir vraiment faim, car les gens non seulement plantaient dans leurs jardins et leur champs, mais aussi sur les bords des chemins et dans les endroits plus sauvages pour améliorer l'ordinaire des voyageurs. C'était une vieille tradition.
Après l'avoir suivi un bon moment au milieu d'une forêt de chênes nimbée de mystère, où les feuilles, le vent et les ruisseaux murmuraient des histoires très anciennes, il se porta à sa hauteur.
Il souhaitait observer sa monture, qui ne semblait pas tout à fait ordinaire, et dont il émanait une aura de dangerosité assez peu commune chez ces paisibles herbivores que sont les chevaux. Même ceux qui sont entraînés au combat.
- C'est un cheval mutant ?
- En effet.
- C'est la première fois que j'en vois un.
- Ils sont peu nombreux. Il faut une connexion psychique particulière avec eux, sans quoi ils n'obéissent pas. Tu connais les chevaux ?
- Je sais que s'ils ne se soumettaient pas volontairement, on ne pourrait rien en faire.
- Les chevaux mutants sont plus forts, plus rapides, et particulièrement sauvages.
- On dirait que vous savez de quoi vous parlez" remarqua Yaël.
- Il m'a donné du fil à retordre. Le bon côté des choses, c'est qu'il n'a peur de rien.
- Etrange, pour un cheval.
- Où as-tu trouvé cette jument ? J'ai mis un bout de temps à t'attraper.
- Je l'ai gagnée au jeu.
Undalyn sembla surpris.
- Qu'est-ce que tu as bien pu parier, en échange d'une telle bête ?
- Un an d'esclavage.
- Qui était le précédent propriétaire ?
- Le Duc Waldemar Von Sternhauser.
- On dirait que tu aimes prendre des risques" fit Undalyn avec un sourire en coin.
- Bah, je me serais enfui.
- On voit que tu n'es pas d'ici. D'où sors-tu donc ? Tu n'as pourtant aucun accent.
- Avant d'atterrir ici, j'ai passé une dizaine d'années sur Unasin, auprès d'un saint ermite. Mais j'ai l'oreille assez fine pour perdre très vite tout accent, où que j'aille.
- Si je n'avais pas passé ma jeunesse là-bas, je dirais que c'est impossible... Et d'où venais-tu avant cela ? Je suppose que tu n'es pas né il y a dix ans.
- C'est une question qui nous emmènerait très très loin, c'est le cas de le dire. Mais vous, comment avez-vous pu passer votre jeunesse là-bas ? Je pensais qu'il n'y avait pas vraiment d'échange entre Eldara et Unasin.
- Cela également nous emmènerait loin. Cependant nous sommes assez au fait de ce qui se passe là-bas, même si l'inverse n'est pas vrai.
Yaël hocha la tête.
- Quelle que soit la confiance que tu peux avoir en tes propres capacités" reprit Undalyn :"... sache qu'elle est mal fondée. Tu n'échapperais probablement pas à un Mage, et certainement pas à un Archimage. Ces gens sont vraiment puissants.
- S'il y en avait un dans l'entourage du Duc, je ne l'ai pas repéré, bien que j'aie effectivement senti ses protections magiques.
- Il y en a un, et il s'appelle Emery, c'est une véritable crapule. Il masque son aura, comme la plupart des Archimages. Cela dit, le fait qu'il ne t'ait pas dénoncé est intéressant en soi. Le Duc aurait pu garder son cheval et toi finir en prison très simplement. Pourtant, il n'a rien dit... Sais-tu qu'on peut démolir une muraille, ou la construire, avec un seul sorcier ? Et pourtant, ils sont bien moins puissants que par le passé.
- Mais alors, pourquoi utilisez-vous des épées ? Vous avez une aura magique extraordinaire.
- Les monstres ne sont pas sensibles à la magie. C'est ce qui les rend si dangereux, d'ailleurs, on ne peut les tuer qu'avec du bon acier, du vrai feu ou des vrais rochers.
- En même temps, on peut faire voler des épées ou des rochers avec de la magie.
- Très difficile. Les monstres génèrent des champs de disruption. C'est comme si ta magie partait en lambeaux, il faut une concentration phénoménale pour éviter que tes sorts t'explosent à la figure. Il n'y a que quelques Archimages qui en sont capables, à ma connaissance.
- Pas vous ?
- Je n'utilise pas la magie. C'est un choix.
Yaël soupçonna qu'il y avait là-dessous de puissantes raisons.
- Pourquoi avez-vous choisi ce métier si difficile ? Vous risquez votre vie, vous êtes payé une misère, les gens ne vous respectent même pas...
- Je dois être masochiste.
- Non mais sérieusement.
- Sérieusement, il faut bien que quelqu'un le fasse. Et puis... j'aime ça, en un sens. C'est une vie qui me convient. Je ne supporte pas de rester au même endroit, j'aime voir du pays. Et j'aime être seul.
Yaël se tut.
Lui, il était heureux d'avoir trouvé, ou plutôt d'avoir été trouvé par un tel compagnon de route. Un bien bel homme. Il lui plaisait de plus en plus, et il avait manifestement besoin d'une petite femme d'intérieur, car, comme tous les mâles de son genre, il éprouvait quelque difficulté à prendre soin de lui-même. Il ne s'était pas lavé depuis le jour où Yaël l'avait vu dans ce bar, et il était sûr qu'il mangeait par terre et dormait n'importe où. Il ne voyais dans son barda ni tente ni couverture, ni linge de rechange, à peine une toile imperméable et une casserole toute bosselée. Le pauvre homme semblait vivre dans une terrible indigence et n'en être nullement incommodé.

Non que Yaël se sentît l'âme d'une petite femme d'intérieur, mais enfin, il se disait qu'il pouvait découvrir dans quelque recoin secret et encore non exploré de sa nature des ressources étonnantes, si l'homme en valait la peine. Tout ce qui l'inquiétait, c'était son métier. Il n'avait jamais été très courageux, et l'idée d'aller débusquer des monstres dans des cavernes obscures et autre crevasses humides ne lui disait rien qui vaille. Il n'avait certes jamais vu de monstre, mais les histoires qu'on racontait étaient à faire dresser les cheveux sur la tête.

Le soir, ils firent halte dans une auberge, aux portes d'une charmante petite bourgade. Undalyn prit une chambre, au tarif de deux pièces d'argent, plus deux repas pour une pièce d'argent supplémentaire. Il avait évidemment l'intention de tout engloutir, ce qui ne serait pas de trop vu le gabarit.
- Vous nous apporterez les repas dans notre chambre.
Yaël en fut soulagé, parce que si les gens le voyaient jeûner, ça éveillerait fatalement des soupçons.
- Comme vous voudrez. Chambre 24, deuxième étage" fit l'aubergiste, un humain, en leur remettant les clés.

Un bon nombre de professions commerciales étaient exercées par des humains, tandis que les Eldars préféraient les professions artistiques et intellectuelles. Les humains, bien entendu, n'avaient pas accès aux postes élevés, officiers, sénateurs, ministres... Etrangement, le clergé était humain et d'ailleurs la religion en général ne concernait que les humains, qui composaient la moitié de la population d'Eldara. On retrouvait toutes sortes de polythéismes qui ressemblaient fort aux anciennes religions d'Unasin, ce qui laissait supposer que des humains avaient été importés en masse à une époque assez ancienne, sans aucun doute pour servir de main-d'oeuvre.
Les Eldars eux-mêmes n'avaient qu'un seul dieu, ou qu'une seule déesse : Una. Elle était d'ailleurs bien plus active que les dieux des hommes ne l'avaient jamais été.

Quoi qu'il en fut, Yaël dût filer à l'écurie pour s'occuper des chevaux. Comme il n'y tenait pas plus que ça, il paya l'un des palefreniers pour qu'il fît le travail à sa place. Il lui restait encore cinq mille florins, de ses précédentes parties. Après avoir vérifié que le bonhomme était consciencieux - un jeune gars avec trois poils au menton qui débutait dans le métier - il rejoignit Undalyn dans leur chambre.
- Et les chevaux ?" demanda ce dernier, surpris de le voir revenu si vite.
- Quelqu'un s'en occupe. Où est mon lit ?
- Il n'y en a qu'un. Deux, c'est plus cher.
- Vous voulez dire que nous allons dormir ensemble ?
Il dit cela pour plaisanter, mais Undalyn le gratifia d'un tel regard qu'il comprit que c'était un sujet sensible.
- Vous pourriez me consulter avant de décider que je vais dormir par terre. Au fait, vous ne sauriez pas où sont passés mes gains de l'autre soir ? Il y en avait pour deux mille sept cents florins.
A sa façon de le regarder fixement, il comprit qu'Undalyn les avait empochés. Finalement, ce dernier sortit lentement une bourse de sa poche et la lui tendit. Un homme honnête, si on savait l'y encourager. Mais pauvre. Il eut pitié.
- C'est bon, gardez-les.
Sans attendre sa réponse, il alla se dénicher un lit supplémentaire pour une pièce d'argent, qu'il fut contraint de déplacer lui-même faute de personnel.
La chambre était assez miteuse même si elle était propre, on voyait la trame des couvertures à force de lavages, la peinture s'écaillait, le sol en plancher semblait dater du siècle dernier, et Yaël n'aurait pas été étonné d'y trouver des termites, une pensée trop effrayante pour qu'on s'y attardât.
- L'autre auberge, au centre, semblait plus confortable.
- Elle est plus chère. Tu devrais t'estimer heureux d'avoir un toit, d'habitude je dors dehors.
- C'est bien pour cette raison que dorénavant, c'est moi qui paierai pour nos accommodations, et donc qui choisirai les auberges. Quant à ce que je vous ai laissé, vous feriez bien de vous payer une veste neuve, un pantalon et des bottes. Vous devez savoir que les filles préfèrent les hommes bien habillés. Et propres.
- Tu as raison. Prépare-moi un bain, princesse" fit Undalyn avec un sourire en coin.
Yaël se leva d'un air placide.
Après avoir vérifié les installations de la salle de bains, il retourna dans la chambre d'un air désolé. "Je ne vais pas pouvoir vous préparer un bain, il n'y a pas d'hypocauste. Du coup, je vais peut-être essayer de me trouver une autre chambre, parce que, bon...
- Parce que quoi ?
- Il y a comment dire une petite odeur de cheval par ici...
- Moi ça ne me dérange pas.
- Moi si.
Undalyn tendit la main.
- Mon bracelet.
Yaël lui rendit son bracelet, récupéra ses affaires, et sortit.


Dix minutes plus tard, il était de retour, un peu fébrile.
- Un souci ?" demanda Undalyn. Le bougre était en train de s'enfiler leur deux repas avec un appétit qui faisait plaisir à voir.
- Vous saviez qu'il nous suivait.
Undalyn hocha la tête. Ming l'avait en effet suivi depuis qu'il avait quitté Sevilia. Il ne s'était pas vraiment donné la peine de le semer, sachant que sa présence limiterait les chances de défection de son nouveau serviteur.
- En tous cas tu tombes bien, ils font chauffer des seaux d'eau au rez-de-chaussée.
- Je ne sors plus d'ici.
Undalyn lui lança le bracelet.
- Il ne prendra pas le risque de te kidnapper avec ça.
- En vertu de quoi ?
- Ce bracelet te signale comme étant ma propriété inaliénable. Il sait en outre que j'ai la faveur du Roi.
- Votre propriété. Vous m'en direz tant.
Undalyn s'impatienta.
- Bon, écoute, est-ce que tu n'as pas du boulot, au lieu de discuter ?
Yaël s'assit sur le bord de son lit.
- Il faut que je réfléchisse.
- Réfléchir ? A quoi ?
- A ce que je veux dans la vie.
Undalyn leva les yeux au ciel. Quel genre d'énergumène Samaël lui avait-il jeté dans les bras ?
- Vous ne pouvez pas comprendre. Avant d'arriver ici, j'étais prêtre.
- Prêtre de quoi ?
- Vous connaissez Unasin ?
- J'y ai passé mes vingt premières années.
- J'étais prêtre au Mont Athos.
Undalyn manqua de s'étrangler avec une patate. Toutes sortes de répliques sarcastiques lui vinrent à l'esprit, en même temps il y avait trois faits à considérer : 1) une histoire pareille, ça ne s'inventait pas 2) cela cadrait assez bien avec ce qu'il percevait de lui, si l'on faisait abstraction des apparences superficielles 3) c'était peut-être un début d'explication à l'étrange injonction de Samaël.
Il jugea préférable d'user sa salive à démêler cette énigme.
- Pourquoi es-tu parti ?
- Une fois que mon Ancien est mort, les choses ont changé, j'ai été obligé de partir. Je n'avais pas de barbe, et là-bas... ça passe très mal. Les gens sentaient que j'étais différent.
- Il y a une différence entre retourner dans le monde et changer complètement de vie.
- J'ai essayé de trouver une paroisse... mais je me suis aperçu que ce que j'avais à dire, personne ne voulait l'entendre. J'étais fait pour m'adresser à des moines et des ermites. La vie est difficile, la religion encore plus. Rassurer les gens en leur mentant, ça n'était pas ma vocation. Je pouvais voir que Dieu avait déserté les églises, je n'avais pas le charisme de l'y faire revenir. Je ne suis pas un saint. Sur la Sainte Montagne, il y avait une présence effective, ce que je faisais avait un sens. Une fois sorti de là, plus de présence. Une bien triste nouvelle. Les prêtres continuent à faire comme si de rien n'était. De mon point de vue, il aurait fallu s'interroger sérieusement, cesser de se voiler la face, pour trouver des solutions... Mais les hommes... sont ce qu'ils sont. J'ai quitté.
- Tu ne crois plus en Dieu ?
- J'ai toujours su que le dieu des chrétiens était un Dieu relatif, une certaine face de l'Absolu, et cela ne me dérangeait pas. Lorsqu'il s'est avéré que je ne pouvais plus le servir, j'en suis revenu à des considérations plus simples. Peu importe la religion en fin de compte, la nature ultime ne change pas. Seul l'habit change.
- Ici aussi nous avons notre dieu relatif : Una.
- Et son grand-prêtre est Samaël, si j'ai bien compris. Existe-t-il vraiment ?
- Bien sûr. Mais ce n'est pas un grand-prêtre. Una est une déesse, non pas un être réalisé. Les Gardiens, en revanche, sont des êtres réalisés.
- Vous voulez dire que Una n'est pas un être absolument bon.
- C'est un être immensément puissant, et qui aime la compagnie. Les Gardiens sont là pour que la cohabitation ne tourne pas à la catastrophe.
Il se tut.
Soudain, Yaël se leva d'un bond.
- Qu'est-ce que tu fais ?
- Je vais chercher de l'eau chaude, j'ai envie de prendre un bain.
Il fila au rez-de-chaussée où il commença à chercher quelqu'un qui pourrait faire le travail à sa place moyennant finances. Malheureusement tous les domestiques étaient occupés, c'était l'heure de pointe. Le grand défaut de l'or, c'est qu'il ne peut acheter que ce qui existe. Il remonta finalement deux cents litres d'eau, qu'il vida dans une grande baignoire.
- Ça te fait de l'exercice" commenta Undalyn qui avait profité de son absence pour s'y installer. "Cela dit, cette eau est un peu tiède.
- Son Excellence me signifie-t-elle qu'elle souhaiterait que j'aille lui chercher un autre seau d'eau bouillante ?
- Plusieurs, même.
Yaël repartit en soupirant.

- Père Yaël !
Yaël, qui s'était assoupi sur son lit, se leva péniblement. La journée avait été épuisante.
- Mon nom Orthodoxe, c'était Evangelos.
- Joue-moi quelque chose avec ta guitare, Père Evangelos.
- C'est une cithare.
- Joue-moi quelque chose.
- Ma cithare n'aime pas l'humidité.
- Alors chante.
Yaël lui chanta quelques ballades de sa composition, quelque chose qui ne réveillerait pas tout le quartier. Il avait une belle voix, et même sans accompagnement, Undalyn s'en trouva si ému qu'il jugea préférable d'interrompre cette "séquence émotion". Il lui tendit un rasoir.
- Tu saurais me raser ?
- Je crois.
Bien que n'ayant jamais eu de barbe, Yaël s'en tira fort bien.
- Veux-tu me savonner le dos ?" fit ensuite Undalyn en lui désignant l'éponge.
Yaël soupçonna qu'il le testait. Il soupçonna également qu'il n'allait pas passer son test, et Dieu savait comment ça allait se terminer. S'il en jugeait par ce qui dépassait de la mousse, il avait un corps splendide, qui eût fait le bonheur d'un sculpteur de nus... Et sans une cicatrice, ce qui était plus étrange. Il savonna son dos et ses larges épaules bronzées, et puis sa poitrine... Vaincu par les fatigues de la journée, Undalyn finit par s'assoupir. Yaël, au contraire, avait repris du poil, et se sentait bien mieux que lorsqu'il l'avait tiré de ma sieste, le savonnant amoureusement de ses mains expertes. De toutes façons, il avait perdu son éponge et ne se risquerait pas sous l'eau pour la récupérer. Il n'avait pas envie de finir avec le nez cassé, ou pire.
Il était tout absorbé dans sa contemplation lorsque la main d'Undalyn jaillit telle un serpent et lui saisit le poignet. il poussa un cri. De surprise et de douleur.
- Qu'est-ce que tu fais ?
- Je vous savonne, comme vous me l'avez demandé.
- Tu n'étais pas plutôt en train de me caresser ?
- Absolument pas. J'ai juste perdu l'éponge, au milieu de toute cette mousse, mais je peux essayer de la récupérer, si vous voulez...
Au lieu de le lâcher, il le serra plus fort, Yaël gémit de douleur. Même si ses os étaient à toute épreuve, la chair qui les recouvrait était sensible.
- Tu es homosexuel ?
- Non... je suis androgyne. Aïe aïe... vous allez me casser un os.
- On ne peut pas casser un os à un Asûrim. Par contre on peut leur casser le nez" fit-il en lui donnant un coup dans le nez bien calculé.
Yaël tomba à la renverse, le nez en sang.
- Haaa.. mais vous êtes un malade...
- Androgyne comme dans Asûrim androgyne ?" fit-il en se penchant par dessus le rebord de la baignoire pour l'observer. Couché par terre, Yaël souffrait en gémissant pendant que son nez, qui heureusement n'était pas cassé, se régénérait.
- Tu es long à te régénérer, dis-moi.
- C'est parce que je me nourris d'éther et pas de gens. Mais si vous voulez vous proposer...
- Sans façons.
Yaël finit par se redresser.
- Il n'y a pas d'Eldars androgynes ?
- Non. Je veux dire, ils ne sont jamais complets, ni hommes ni femmes en général, et pas particulièrement brillants intellectuellement. J'en ai connu trois, des pauvres types ou des pauvres filles, comme on voudra. Mais toi, tu es complet ?
- Homme et femme.
- Tu m'as bien l'air d'un homme, pourtant.
- J'ai tout ce qu'il faut pour satisfaire les messieurs aussi bien que les dames.
Undalyn semblait presque amusé, maintenant.
- Il paraît que vous êtes des génies, et des dieux du sexe. Les androgynes, je veux dire.
- Pour le génie, il serait prétentieux de l'affirmer. Pour le reste, je confirme.
- Tu préfères les hommes ou les femmes ?
- Qu'est-ce que vous en dites ?
Undalyn le considéra attentivement.
- Lorsque je t'ai rencontré, j'aurais juré que tu étais un coureur de jupons invétéré. Mais on peut se tromper, sur ces choses.
- Si je vous contais mes aventures avec les femmes, vous ne me croiriez pas.
- Et pour les hommes ?
- J'en ai aimé deux.
- Est-ce qu'ils me ressemblaient ?
Yaël ne répondit rien.
- Tu peux me le dire.
Devant son silence obstiné, il sourit.
- Tu as le droit de me regarder, si je te plais. Peut-être même que je te montrerai ce que tu veux voir. Mais je te dis une chose : si je te retrouve dans mon lit, je te passe mon épée en travers du corps.
- C'est ce qu'on fait quand on ne s'autorise pas à y passer ce qu'on voudrait.
- Repète un peu ça ?
Le défiant du regard, Yaël vit ses pupilles s'agrandir jusqu'à occuper la presque totalité de l'iris.
- Méfie-toi, mon Père" fit-il d'une voix douce : "Les mutants sont des gens bizarres.
Puis il se leva - il était en caleçon - et s'enveloppa dans la serviette fournie par l'auberge, avant de disparaître dans la chambre.
Quant à Yaël, il se plongea dans le bain, qui était encore un peu chaud, et s'y assoupit à mon tour.


Lorsqu'il sortit de la salle de bains, il faisait nuit, et silencieux. Il entendit soudain un bruit furtif sur sa gauche, perçut une ombre, et plongea sur la droite. Depuis qu'il avait aperçu la silhouette de Ming, qui le guettait à la sortie de l'auberge, il n'était plus trop confiant. Un corps pesant s'abattit sur lui, ils luttèrent sur le tapis. Yaël n'était malheureusement pas un expert en arts martiaux, même s'il avait un peu pratiqué le combat au sol, et il se fit rapidement immobiliser par des muscles d'acier, d'une force aussi surnaturelle que la sienne. Le coeur battant, il pesta contre son manque de vigilance.
La lumière s'alluma, et l'étreinte se défit brusquement. C'était Undalyn, comme il aurait dû s'en douter. Ce dernier se releva tranquillement.
- Je voulais voir ce que tu valais" fit-il avec un sourire en biais.
- Pas grand chose, comme vous vous en doutiez. Mais vous pourriez m'apprendre" l'incita Yaël en clignant des yeux.
- On verra. J'ai surtout besoin de savoir ce que tu vaux à l'épée. Pour ce qui me concerne, ça me sera plus utile que tu sois bon dans ce domaine.

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Fear
We have the capacity in our minds to create that which we are most afraid of; in the same way that we bury some ignorance like a grain of sand inside the shell of an oyster and build around it until we come up with the end product, which in this case is not a pearl.

God
It is finally this consciousness that allows a human being to feel God as the constant energy that is absorbed by all of the chakras, filling him with sweetness and joy. Not feeling happy is only the result of not being in tune with this force and not having the consciousness to contain it. For whatever reason we fail in holding onto energy, we must look to ourselves. We cannot blame anybody or anything. It is only our lack of capacity to hold that which is given.

Revelations

In all teachings, the temptations that appear during the revelation period are those things we identify with, that take away the energy or content from the experience. It is the courage to put the bottom on the void, so that the incoming energy is not lost during any experience, that is required. This enables a person to grow endlessly, by surrendering content as fast as it manifests itself.

Seekers
It is a remarkable event when somebody presents a situation that exposes their real need. It is rare when even half the truth is given. Usually a situation is distorted beyond recognition. It is as if somebody is saying to me that if I can dig out the real situation, maybe they will allow me to help them. When a situation occasionally is presented in all its nakedness, it is only because the person is defenseless at a particular moment. As soon as they have one stitch to put on their back, they again retreat into themselves, distorting what they said and what they think you said. The ability to hear and see is rare in this world. It only exists in somebody who truly wishes to grow. This has not, unfortunately, been the attitude of most seekers. So few succeed in reaching their goal that it is safe to assume that there are few who honestly pursue a spiritual life, and even then, very few teachers who cater to anything that brings the realism that allows for enlightenment.

Spirituality

Spirituality is not about being where you think you should be. It is not about being where you want to be. Spirituality is about being on the highest point of an ascending energy that keeps growing and growing.
As this energy grows, it completely destroys every level of truth as you live it. This does not mean the truth that has been destroyed was not real. It was real for the level on which you existed before. With students, I am not interested in how long they are with me; I am just interested in one thing: whether or not they are strong enough to break up the horizontal level and continue growing. For myself, I do not want to limit myself by what I was. I do not think, "I did all this work to get to here." That is baloney. That is making a drama of your life and trying to build an image for yourself. The point is to keep growing. It is to have the courage to keep growing, even if it pulls apart the structure of your life. Then it is freeing you. There is nothing wrong with pulling apart the structure. What is wrong is to build yourself into a coffin and then stay there and try to justify it. Either you are working to live on a higher level all the time and to have a rebirth all the time, or you are trying to find justification for staying the way you are.
The whole point of what we do is to destroy matter, which is this horizontal plane we sit on: the earth. It is to translate this physical and material matter into spiritual force. This is our work.

Surrender
You sit down. Inside you, what is going on? You want to be right. "I'm a nice guy, how could this person do this to do me? How could someone take advantage of me in the business world," or "How can somebody not love me? Don't they understand what I did?" Inside you, these muscles close up; they are protecting you. They are protecting your ego, protecting the image you have of yourself. You sit down to take your breath, and you find that something has robbed you of your heart. What robbed you of your heart ? The need to be right. These muscles do not want to open. They would rather you were safe and secure behind the wall than outside the wall.
Surrendering is opening all the muscles. This is the real test of your surrender in a situation. Can you breathe ? Does the throat open to receive the energy ? Are you free to receive this energy and open and see what your condition really is ? If you find out you are constricted in your heart, you have a pain in your back, or you can't get the air down, what does it mean? It means you are closed. What closed you? It does not matter what closed you, you do not have to find the rational reason, you just have to open. You sit and work, and you breathe. I do not have that problem anymore, but I used to sit and take that breath six hundred times in one day, sometimes, to begin to feel a little crevice start to open. If you are closed, you are dead. You can't be right if you are closed. Can a closed person know what he or she did or did not do ? So, if you find that you are closed, you have to drop the whole issue of whether the other person is or is not right.


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