La prière de Jésus
La prière de Jésus est devenue très à la mode. Je peux seulement imaginer que c'est à la suite d'un gigantesque malentendu. En effet, que sommes-nous censés dire :"Seigneur jésus Christ, aie pitié de moi, pauvre pécheur".
Il y a trois niveaux : la prière vocale, la prière mentale, et la prière du coeur. Les Pères de l'Athos préfèrent généralement parler de prière mentale, et pour cause. Dans la prière mentale, on est censé être conscient mentalement du sens de ce que l'on dit, ce qui est encore possible à la rigueur. Mais qu'en est-il de la vraie prière du coeur, celle que le Père Callinique (un ermite) n'enseignait qu'aux moines obéissants, refusant de l'enseigner à tout autre ?
Ressentir en son coeur "aie pitié de moi pauvre pécheur", c'est ressentir profondément en soi sa misère. Ressentir, au même moment "Seigneur Jésus Christ", c'est y ressentir également la gloire de Dieu. Les deux ensemble. La misère qui se transmute en gloire de Dieu. On n'y parvient que 1) en souffrant véritablement 2) en transmutant cette souffrance.
Il y a des stages de "prière du coeur" pour bobos, où vous êtes confortablement assis dans une pièce bien chauffée, avec tout le confort. Franchement, quel non sens. Comment souffrir dans un tel environnement ? A moins de se désoler profondément sur l'inanité de la démarche. Ces stages devraient être faits pieds nus dans la neige, à jeûn pendant trois jours, et à dormir sur une planche (ce qui était finalement la condition du Pèlerin Russe, ce que tout le monde semble avoir oublié). Là, il y aurait une petite chance de ressentir une réelle misère, et d'en pleurer suffisamment pour avoir une idée du degré de désolation qu'il faut atteindre. Et cela ne serait que la moitié du travail, parce qu'il y a fort à parier que bien peu de gens verraient la gloire de Dieu dans une telle situation. En toute autre circonstance, nous invoquerions en vain le nom de Dieu, ce que les anciens Pères ne voulaient pas pour nous.
Alors maintenant, je voudrais qu'on me dise combien de personnes souhaitent vivre quotidiennement dans ce niveau de désolation, et de souffrance spirituelle ? Se voir misérable au point d'en pleurer ? Si nous regardons autour de nous, dès qu'une personne commence à ne pas se sentir très bien, elle tente de s'échapper d'une manière au d'une autre. Dans le meilleur des cas, les gens vont faire vipassana, pour regarder les choses en face, ce qui aura pour résultat de les faire disparaître. Mais cultiver le sentiment de misère jusqu'à ce qu'il devienne permanent ? Quel fou va faire une chose pareille ? C'est pourtant bien cette conscience que je vois sur le visage de ceux qui sont connus comme des maîtres de l'hésychasme.
Vous l'aurez compris, cet article n'a même pas l'ambition d'expliquer comment s'y prendre, on peut d'ailleurs le savoir avec ma série d'articles sur le salut, cette prière n'étant pas essentiellement différente des autres. Je voulais plutôt m'interroger sur les motivations de ceux qui pensent vouloir la pratiquer. Qu'est-ce qu'on veut faire avec ça ? Où s'imagine-t-on aller ? A-t-on vraiment le désir de souffrir ? En somme, est-ce que ceux qui se sentent attirés par cette prière ont réfléchi sur son sens réel ?