Qu'est-ce que le salut et comment y travailler ? (3- aspects pratiques)
Ce que nous devons faire a été défini dans le précédent article. Cela paraît bien simple, mais comme je l'ai dit, c'est en fait très difficile, parce que le monde entier est contre nous. Au départ, nous ne pouvons pas nous en douter, à moins d'être né avec une solide vocation à la sainteté, parce que vous avons toujours vécu dans le monde, et que ses valeurs sont devenues la norme.
Par exemple, de nombreuses personnes sous-estiment la pollution physique parce qu'elles n'en ressentent pas "encore" les effets. Mais si l'on regarde les analyses de tout ce qui nous entoure, l'eau, l'air, la terre, c'est absolument effrayant, les cheveux de nos enfants contiennent 25 ou 30 pesticides différents, nos habits sont bourrés de colorants cancérigènes, notre nourriture ne nous nourrit plus, tout en étant de plus en plus mauvaise pour la santé, l'eau en bouteille contient 24 000 produits chimiques... Tout cela, nous ne le voyons pas, et nous n'y pensons pas. L'environnement spirituel est pollué exactement de la même manière, et semblablement nous ne voyons rien, parce que nous ne nous sentons pas si mal.
Mais finalement, sur quelle base pouvons nous dire que nous allons bien spirituellement ? S'il n'y a plus d'exemple de sainteté autour de nous, et si nous n'avons auncun point de comparaison, qu'en savons-nous ? S'il n'y a que de la prairie à perte de vue, n'importe quel buisson minuscule se sent un géant. Il n'y a que la comparaison avec un séquoia qui lui remettra les idées en place. Seulement voilà, les séquoias ont disparu de notre vue. Ils en ont si bien disparu que nous n'avons plus la moindre idée de ce que c'est. Si un jour les océans disparaissent, quelle flaque d'eau pourra les imaginer ?
Il est affreusement compliqué de concevoir autre chose que ce que nous voyons tous les jours, en toutes circonstances. Nous pensons malgré nous que tout a toujours été pareil, et même si nous lisons le contraire, notre cerveau ne l'enregistre pas. Nous sommes comme ces "sauvages" qui ne voyaient pas la télévision, et même si on nous mettait un saint sous le nez, il est très probable que nous ne le verrions pas. En parlant de notre époque, St Ignace Briantchaninov a écrit :"Le plus tragique est que le mal se présentera aux yeux des hommes comme un bien". Ne nous y trompons pas, nous y sommes. La "Laïcité" est vue comme le summum du progrès moral et intellectuel, croire en dieu c'est devenu de l'obscurantisme et de la bêtise, et c'est toléré uniquement au nom de la tolérance qui tolère les pires déviations et iniquités. Des millions de gens dont le métier consiste à empoisonner et à polluer finissent leur journée avec la satisfaction du travail bien fait, un peu comme Adolf Eichmann lorsque ses trains arrivaient à l'heure. Les gens donnent des bonbons aux enfants croyant faire leur bien alors que le sucre est un poison, et malheur à vous si vous le faites remarquer.
Bref, ce que je veux dire, c'est que l'atmosphère qui nous entoure est totalement hostile à Dieu, en toutes choses, et que, malheureusement, nous ne pouvons tirer que les énergies qui se trouvent dans l'atmosphère. De la même façons que nous respirons de l'air pollué, nous respirons l'athéisme, et trouver là au milieu des énergies divines sur lesquelles fonder notre vie spirituelle relève de l'impossible. Comme le disait le Père Paissios il y a 25 ans, il n'y a plus de levain spirituel, en sorte que les bonnes pâtes ne lèvent plus.
Je dis tout cela afin que l'on prenne bien conscience que notre travail n'est pas le même qu'autrefois. Autrefois il s'agissait de se soumettre à Dieu et de le laisser agir. Aujourd'hui, il s'agit de trouver Dieu, en tant que ses énergies, qui au lieu d'êtres présentes partout, sont présentes à dose homéopathique, au millième de ce qu'elles étaient autrefois. C'est pour cette raison que les clercs répètent aujourd'hui que le progrès en Dieu n'est pas forcément sensible et qu'il n'y a pas à s'inquiéter. C'est un mensonge, en premier lieu destiné à eux-mêmes, et ensuite aux autres, afin que personne ne s'inquiète de la situation présente.
Le malheur, c'est que nous sommes extrêmement dépendants de ce qui nous est transmis, qu'il nous faut pour progresser de grandes quantités d'énergie spirituelle parce que nous en perdons la plus grand partie par négligence, et que nous sommes bien incapables de raffiner l'or lorsqu'il se présente à 1 gramme par tonne de terre. C'est pourtant ce que nous devons apprendre. Cesser de perdre le peu qui nous est donné, et le multiplier par notre industrie.
1.
Pour commencer, il nous faut trouver des aspects de Dieu que nous aimons suffisamment. C'est très difficile, parce que, "aimer suffisamment", c'est aimer plus que tout ce que nous aimons habituellement. Et il n'est pas certain que Dieu nous inspire autant que nous le croyons. Combien de bons chrétiens sont tièdes ou même froids dans la prière en trouvant cela normal ? Nous pouvons aller par exemple aller à une adoration du Saint Sacrement, avec des moines, et regarder combien d'entre eux ont l'air de s'ennuyer, et combien pleurent. Parce que, au fond, c'est là qu'il faut en arriver, nous devons pleurer d'amour. Ceci n'est pas une critique du moine, le laïc a tendance à sous-estimer l'acédie qui peut envahir une vie de moine, surtout avec le confort qu'ils ont aujourd'hui. Pourquoi autrefois se faisaient-ils une vie si rude au Mont Athos ? Certainement pas pour le plaisir. Mais parce que ça leur donnait toute la journée des occasions de pleurer. Si l'on ne peut pleurer pour l'amour de Dieu, la seconde meilleure option, presque aussi bonne, consiste à pleurer sur sa misère. C'est également valable pour nous.
Seulement voilà. De la même façon que nous n'aimons pas Dieu d'un amour brûlant, on ne peut pas dire non plus que nous soyons dévastés par notre misère. Et comment le serions-nous ? Nous sommes toute la journée au chaud, bien nourris, pas encore trop malades pour la plupart. C'est seulement lorsque nous avons une rage de dents ou une crise d'appendicite que tout à coup nous nous souvenons que les choses peuvent mal tourner. Le reste du temps, la vie suit son cours, et nous ne pensons plus tellement à notre salut. Nous y pensons d'autant moins que, comme je le disais plus haut, nous n'avons plus personne à qui nous comparer.
Nous devons donc travailler dans deux directions.
2.
Nous remarquerons que ce qui est digne d'être aimé se présente à raison de quelques secondes ici et là, au cours de la journée. Par exemple nous assistons à un office, et une parole résonne en nous. Pour 5 ou 10 secondes, rarement plus, parce que notre esprit est immédiatement happé par ce qui suit. Ou alors nous nous promenons dans la rue et nous voyons un enfant, ou un arbre, avec une lumière particulière, et nous avons un sentiment de Beauté qui là encore va durer quelques secondes, parce que tout à coup il nous faut traverser la rue et faire attention aux voitures. Ou alors nous sommes dans le métro et nous voyons une affiche qui nous touche. Mais pas pour longtemps, car nous avons d'autres préoccupations. Nous détruisons systématiquement toutes ces petites émergences de Beau, de Bon ou de Vrai, parce que notre esprit a l'habitude de la dispersion. Tout est calculé pour cela, et c'est en ce sens que le mal est devenu la norme.
Un être humain, pour être humain, doit avoir un esprit capable de se concentrer sur ce qui est bon. Comment se concentrer alors que lors de chaque trajet de métro nous croisons 100 ou 200 publicités, toutes faites pour attirer le regard ? Il faut regarder soigneusement le bout de ses chaussures, et encore, il y a des gens qui trouvent moyen de mettre des autocollants par terre. Mais dès que nous levons la tête, nous sommes morts, par qu'il est impossible d'empêcher l'esprit de lire ce qu'il voit, et de voir les images qu'on lui présente. Il est fabriqué ainsi, tous les publicitaires le savent. On nous vole notre âme à tous les coins de rue et nous ne le savons même pas.
Nous devons donc apprendre à repérer, dans notre corps, les rares occurrences du Beau du Bon et du Vrai, parce que seul le corps est assez stable pour nous permettre de nous concentrer, l'esprit étant par nature totalement instable. Et là, nous ne devons plus les lâcher, quitte à nous asseoir quelque part et à prendre deux minutes pour nous concentrer sur ce rayon de lumière. De la même façon, à la messe, nous voyons tout le monde sortir dès que c'est fini et aller discuter dehors. C'est une grave erreur, compte tenu de la rareté de l'expérience. Nous venons de communier, peut-être que par chance nous sentons quelque chose dans notre coeur, et immédiatement nous allons discuter pour être bien sûr de le perdre ? Alors que déjà ça n'est presque rien ? Décidément, nous faisons tout pour assurer notre malheur. Nous devrions au contraire rester assis là et nous concentrer sur notre coeur, jusqu'à ce que le sentiment ait disparu. Nous allons être effrayés de voir à quel point nous le perdons vite quoi qu'il en soit.
3. Nous devons faire de même avec notre misère, sauf si nous sommes capable de mener une véritable ascèse où nous souffrons beaucoup. De la même façon que nous nous concentrons sur le Beau le Bon et le Vrai, nous devons apprendre à nous concentrer sur notre misère et celle du monde, qui se présente régulièrement par petites touches. On remarquera d'ailleurs que toute notre société est construite pour nous éviter cela. Parce que se souvenir de notre misère c'est finalement se souvenir de Dieu. Il est devenu très difficile de réaliser quelle est notre condition véritable, parce que l'atmosphère ne s'y prête pas. Dès que nous ouvrons la télé, la radio, internet, dès que nous croisons quelqu'un, ce qui s'impose c'est "nous sommes tous heureux et dans le bien-être, et celui qui ne l'est pas est un anormal". Allez parler de votre misère au gens de votre famille, vous allez voir la réaction, on va vous considérer comme un malade mental, parce que dans ce monde, nous DEVONS être heureux. Ne pas l'être, c'est être fou, ou pire, rebelle à l'ordre établi.
Cette situation est proprement démoniaque (et tant pis si je passe pour aussi fanatique que les Patriarches roumains) car le souvenir de notre condition est la condition du souvenir de Dieu. L'archimandrite Sophrony parle de la mémoire de la mort. C'est une expression que nous pouvons prendre au sens large, et d'ailleurs cela ne concerne pas tant la mort physique que spirituelle. Mais comment nous rendre compte que nous sommes spirituellement morts ? En réalité, c'est déjà une grâce, qui parfois ne peut nous venir qu'après des années et des années de prière. Car c'est surnaturel. Pour sentir que nous sommes mort, il faut déjà qu'une partie de nous-même soit réveillée. Un vrai mort se sent bien. Celui qui se sent mal et plongé dans l'angoisse, c'est le tétraplégique qui ne peut bouger que la tête. Et ce réveil, quand nous l'avons, c'est quelque chose que nous devons cultiver, et maintenir. Ce n'est pas facile, parce que nous avons été éduqués pour fuir cette sorte de souffrance et nous avons tout ce qu'il faut pour ça. Avoir l'impression d'être damné, fichu, c'est très pénible. Mais c'est une grande grâce. Comme le disait Saint Silouane "Tiens ton âme en enfer et ne désespère pas". Mais comme pour le reste, nous ne pouvons même plus attendre de Dieu qu'il le fasse pour nous, non seulement nous devons nous tenir en enfer, mais nous devons nous y mettre volontairement.
4.
Pour engendrer réellement le feu intérieur qui permettra aux énergies incréées de s'incorporer en nous, nous allons constater qu'il faut une grande concentration. Pleurer, c'est bien, mais vous avez souvent pleuré et cela n'a jamais engendré le moindre feu intérieur, parce que votre esprit était dispersé. Le feu intérieur ne naît et ne s'amplifie qu'avec 1) une certaine énergie 2) une intense concentration. Notre esprit doit devenir tel un rayon laser, plus c'est petit mieux c'est. Idéalement, nous devons parvenir à quelque chose d'aussi fin qu'une aiguille. Bien que l'espace du coeur soit immense, la porte du coeur est minuscule, pas plus grosse qu'un grain de sésame. Et d'un point de vue physiologique, plus nous sommes vieux, plus c'est difficile, car les gouttes dégénèrent avec l'âge. Ne serait-ce que pour les conserver en l'état, nous devons faire un effort quotidien. Encore plus pour progresser. Mais ce progrès-là, nous l'emporterons dans notre tombe, contrairement à tout le reste.