Commentaire sur le roman d'un ami (une histoire de télépathie, de rêves et de chats)
Je l'ai fini hier soir et j'y ai réfléchi ce matin. Il y a des bonnes et des mauvaises choses. Au plan des bonnes choses, je trouve l'idée excellente (les 2 sortes de télépathies), et avec un peu de persévérance, on finit par être pris par l'action. C'est assez dynamique. Et c'est aussi assez didactique et bien expliqué (pour la télépathie), tu me diras si tes autres lecteurs ont capté quelque chose.
Au plan des mauvaises choses, il y a le style. Là je trouve qu'on est quand même en-dessous de la ligne de flottaison. On sent que t'en as vraiment rien eu à foutre mais ça se sent un peu trop. Les descriptions sont tellement indigentes qu'on arrive difficilement à imaginer les lieux et les gens, et c'est un problème, parce qu'ils restent dans une sorte de brouillard, qui est le garant que la mémoire va partir très vite. Si ça se grave d'une manière floue, ça ne va pas rester longtemps. Le problème c'est que tu as décrit des lieux que tu connais, pour toi ils sont tellement évidents que tu n'as pas besoin de te les décrire, mais ton lecteur, lui, il n'habite pas à Puteaux.Le second problème c'est que tu as une conception des descriptions qui est fonctionnaliste, en gros ça sert juste à planter le décor. Mais en fait non. Une description fonctionnaliste on peut effectivement la jeter à la poubelle. La vraie description te révèle le fond des choses.
Un petit extrait d'Anatole France (description d'une salle de tribunal) "Jérôme Crainquebille, marchand ambulant, connut combien la loi est auguste, quand il fut traduit en police correctionnelle pour outrage à un agent de la force publique. Ayant pris place, dans la salle magnifique et sombre, sur le banc des accusés, il vit les juges, les greffiers, les avocats en robe, l’huissier portant la chaîne, les gendarmes et, derrière une cloison, les têtes nues des spectateurs silencieux. Et il se vit lui-même assis sur un siège élevé, comme si de paraître devant des magistrats l’accusé lui-même en recevait un funeste honneur. Au fond de la salle, entre les deux assesseurs, M. le président Bourriche siégeait. Les palmes d’officier d’académie étaient attachées sur sa poitrine. Un buste de la République et un Christ en croix surmontaient le prétoire, en sorte que toutes les lois divines et humaines étaient suspendues sur la tête de Crainquebille. Il en conçut une juste terreur. N’ayant point l’esprit philosophique, il ne se demanda pas ce que voulaient dire ce buste et ce crucifix et il ne rechercha pas si Jésus et Marianne, au Palais, s’accordaient ensemble(...) Mais Crainquebille ne se livrait à aucune considération historique, politique ou sociale. Il demeurait dans l’étonnement. L’appareil dont il était environné lui faisait concevoir une haute idée de la justice. Pénétré de respect, submergé d’épouvante, il était prêt à s’en rapporter aux juges sur sa propre culpabilité. Dans sa conscience, il ne se croyait pas criminel ; mais il sentait combien c’est peu que la conscience d’un marchand de légumes devant les symboles de la loi et les ministres de la vindicte sociale. Déjà son avocat l’avait à demi persuadé qu’il n’était pas innocent". Description d'une rue :"Or, en ce moment précis, l’embarras des voitures était extrême dans la rue Montmartre. Les fiacres, les haquets, les tapissières, les omnibus, les camions, pressés les uns contre les autres, semblaient indissolublement joints et assemblés. Et sur leur immobilité frémissante s’élevaient des jurons et des cris. Les cochers de fiacre échangeaient de loin, et lentement, avec les garçons bouchers des injures héroïques, et les conducteurs d’omnibus, considérant Crainquebille comme la cause de l’embarras, l’appelaient « sale poireau ».
Bon, je crois que tu comprends mon propos. Avec quelques mots bien choisis, on installe toute une ambiance, et ça, par contre, ça marque le lecteur. Un mur n'est pas un mur, une table n'est pas une table, on peut leur faire dire toutes sortes de choses. Si on ne le fait pas, on perd le temps du lecteur en lui faisant lire des choses qui ne l'enrichissent pas et qui lui remplissent seulement la tête. Moi aussi j'ai du mal avec les "décors expressifs", ça demande un effort, mais je crois que ça vaut le coup de réfléchir à la question. De plus, en lisant une description qui ressemble à un rapport de police, le lecteur est justifié de se demander si l'auteur éprouve le moindre sentiment, en général. Ces auteurs du 19è, on finit par comprendre qu'ils ont une vie intérieure plus riche que nous, parce que pour eux le moindre mur et la moindre casserole ont un sens. En même temps, ces sortes d'esprits ça n'existe plus guère. Mais quelqu'un qui arrive à retrouver cela, ça plaît. Je ne sais pas si tu as lu "le parfum". Dans mon souvenir c'est très bien écrit, justement parce que ça exprime toutes sortes de choses assez subtiles.Chez toi la subtilité est dans les positionnements de conscience (je ne sais pas combien de tes lecteurs y seront sensibles), mais on a l'impression que tu ne regardes rien autour de toi. Si c'est le cas tu pourrais nous en faire profiter. Par exemple, le cercle de poker, tu le décris, mais on n'en apprend rien. A travers lui tu pourrais nous décrire le type d'esprit qui a agencé un tel environnement. Chaque objet nous dit quelque chose sur celui qui l'a mis là, ou fabriqué. Idem pour le cabinet d'ostéo, tiens.
Sinon, au plan des réflexions perso (et pas littéraires), je trouve dommage que tu n'aies pas essayé de faire progresser ton personnage. Je veux dire, le super pouvoir s'y prête bien. Ça n'était pas comme s'il était devenu spiderman, on ne peut pas faire grand chose d'intéressant avec des pouvoirs de spiderman. Mais ce qu'il a, ça pourrait lui ouvrir des horizons. Or ça ne lui ouvre finalement que les horizons du transfert de conscience en lui-même. Je veux dire, on sent que tu as l'expérience du transfert de conscience en toi-même, mais que tu n'as pas cherché à percevoir comment fonctionnent les autres (oui pardon, je sais que je m'adresse à un joueur de poker dont ça serait en principe un peu l'activité), et plus généralement l'esprit humain. Enfin, il y a un début, mais ta vision est quand même super unifiée. Pour donner quelques pistes. Par exemple, il y a une fille super belle qui entre dans le métro. Le gars pianote les gars autour pour savoir comment ils perçoivent la fille, et il s'aperçoit qu'ils la voient d'une manière totalement délirante, chacun sa manière, filtré par son propre karma. Du coup, il peut être amené à se demander s'il n'est pas comme eux. Mais à ce moment, il s'aperçoit qu'il n'y a pas "une" fille, mais autant de filles que de gens qui la voient. Et sa perception de la réalité pourrait en prendre un sacré coup. (Comme la mienne en avait pris un coup quand tu m'avais décrit les mêmes événements qu'A** lors de votre cohabitation : vous n'habitiez clairement pas dans le même univers).
A ce sujet, il existe des bouquins intéressants. J'ai acheté "Contre-transfert" d'Harold Searles. Il décrit l'esprit de gens psychotiques. Et c'est super intéressant, parce que ça a l'air vraiment délirant, et pourtant... Par exemple il décrit uns schizophrène : pour elle, à chaque fois qu'elle a une pensée différente, ce n'est pas des pensées qui se succèdent dans sa tête, mais sa tête qui est remplacée. De même, si une personne change d'humeur en face d'elle, la personne a été remplacée (et la précédente assassinée). Bref, les personnes et les lieux existent en des milliers d'exemplaires. Et pendant des années à chaque fois qu'elle arrivait dans le bureau de son psy, elle le considérait comme une nouvelle personne. Il note cependant que son état à elle est clairement lié à ses états et pensées à lui. Mais il ne va pas jusqu'au bout de la constatation : elle a un outil qui lui livre la vérité de manière brute, tout ce qui se passe dans l'esprit des gens. Par exemple, elle croit que son psy la crée par ses pensées. Mais quand on y réfléchit, c'est très juste. Quand on rencontre quelqu'un, on décode ce que cette personne attend de nous, et on réagit en fonction de ça. On ne s'en rend pas compte, parce qu'on n'a aucun référent. Mais justement, la pratique (la vraie), te donne un référent. Pas ce truc artificiel du témoin où tu te mets en recul et où tu observes, puisque là, par définition, tu ne te transformes plus, donc tu ne peux pas comprendre comment se produisent les transformations. Donc je parle d'un référent qui ne serait pas dans la forme mais dans l'énergie qui irrigue la forme. L'énergie émotionnelle nous empêche de voir ces formes. Mais l'énergie spirituelle nous permet de les voir. Et alors là, on réalise qu'on est vraiment fou, en quelque sorte, mais qu'on ne le voyait pas. Les psychotiques sont juste des gens qui n'ont pas, par dessus leur perception, la super-structure organisée (le moi), qui leur permet d'organiser tout ça et de fonctionner avec. A l'inverse, les gens "sains d'esprit" ont les mêmes perceptions, mais ils ne s'en rendent pas compte et ne peuvent donc plus les utiliser. Ça devient "inconscient". Mais en fait c'est tout à fait là, et pas du tout inconscient, si on se donne la peine.
Donc où en étais-je... la télépathie pourrait faire réaliser tout cela à une personne. A quel point les esprits sont morcelés, et le sien. Et puis ensuite, il pourrait se demander comment utiliser cette télépathie pour se transformer. Il pourrait se poser la question du bonheur, du moins l'auteur pourrait se la poser pour lui : mon perso a un super pouvoir, en quoi ça lui est réellement utile ? Là, on a juste l'impression d'un gars ordinaire, assez gentil, avec un super pouvoir posé par-dessus. Mais un tel super-pouvoir, ça pourrait aboutir à une transformation radicale (et pas en chat. En plus on n'y croit pas, à sa transformation en chat. Si tu voulais écrire un truc un peu plus réaliste, ou qui aurais l'air plus réaliste, lis les bouquins de Lusseyran, ou sur les psychotiques, c'est la même chose à mon sens, et étudie leurs perceptions). Donc déjà tu pourrais te demander ce qu'est une personne plus évoluée que la moyenne. Est-ce que c'est quelqu'un qui aide les autres (mais les aider à quoi, au fait ?) et qui est heureux parce qu'il se dit qu'il aide les autres ? Ici, son bonheur tiendrait à son image de soi. Ou à une impression de communion avec les autres, qui à mon avis serait rapidement démolie par un peu de télépathie... Mais que serait un bonheur qui ne tiendrait pas à ça ? Sachant que la réalité est absolument multiple et finalement inconnue, comme je le disais plus haut. Donc il y a des choix à faire : dans quelle réalité je veux vivre ? La réponse cependant ne peut pas être mentale, comme dans le cas des disciples de Murphy qui veulent tout voir en rose. Parce que le mental n'a pas le pouvoir de créer, juste de constater, il n'est pas performatif. Il nous faut donc découvrir l'instance créatrice en nous, ce qui a le pouvoir de changer notre réalité pour de vrai. Et lui demander de créer ce que nous voulons vraiment. Ce qui invite à nous demander ce que nous voulons. Et pour ton héros on voit finalement qu'il ne le sait pas, parce qu'il avance tête baissée dans son histoire, sans mettre à profit son super pouvoir pour créer ce qu'il veut. Parce que ça serait possible.
D'un certain point de vue, la pratique donne effectivement ce super pouvoir, sous sa forme yang, je le précise. C'est-à-dire qu'on acquiert le pouvoir de repérer des structures, celles qui vont faire circuler en nous l'énergie spirituelle. On apprend à les capter chez les gens qui les ont (les saints, les maîtres), et à les reproduire en soi. A la base, on ne voit pas ces structures, et on ne croit même pas qu'elles existent. C'est parce que c'est des trucs vraiment subtils. Pour te donner une idée, ce qu'on perçoit dans un transfert de conscience est disons 10x plus subtil que ce qu'on constate avec ses yeux physiques quand on regarde une personne. La forme physique se donne à tout le monde. La forme psychique apparaît dans le transfert de conscience (de rêve), c'est une énergie spécifique qui dessine des formes étranges. Alors on peut dire que les formes spirituelles sont 10x plus subtiles que les formes psychiques, pour donner une idée. Et ça s'applique à la joie ressentie. Regarder une jolie fille, c'est sympa. Faire un transfert de conscience en rêve, c'est 10x plus sympa. Et capter une structure spirituelle... bon ben là ça commence à 10x mieux, mais ça peut monter à 100 ou 1000. C'est sans commune mesure en réalité. D'où l'intérêt. Mais c'est super dur puisque comme pour le transfert de conscience il faut créer l'outil. Mes 1ers transferts (de rêve) étaient assez nases, et puis ça s'est amélioré petit à petit. En matière spirituelle c'est pareil, on capte d'abord le plus grossier, et on pense qu'il n'y a rien d'autre. Mais ça s'affine. Du coup on arrête de communier avec les autres dans leurs illusions, et on le fait plutôt au plan d'une réalité qu'ils ne perçoivent pas. Tout revient finalement à créer (par télépathie) un véhicule capable de capter des énergies plus élevées (et dont le modèle ultime n'est pas le chat).