Réflexions concernant la direction spirituelle (lettres de la planète terre)
Mon cher Ram,
je sais que la direction spirituelle est un sujet qui te tient à coeur, à cause de la centaine d'âmes qui se trouvent sous ta responsabilité, et peut-être d'autres que je ne connais pas. C'est pour cette raison que je veux te faire part de mes récentes découvertes en la matière. Comme tu as pu le constater avec tes ouailles, j'ai toujours été un piètre directeur d'âmes, mais j'en ai découvert la raison, qui t'intéressera peut-être : j'ai besoin d'une autre personne pour me seconder dans cette tache. En effet, mon action répond à des mobiles secrets connus seulement de Dieu et en partie de moi-même, et elle ne peut généralement être comprise par celui à qui elle s'adresse. J'ai besoin d'un interprète. Si l'on y réfléchit, c'est un peu ce qui se passe avec Jésus (même si je ne prétends nullement me comparer à lui). Il a besoin d'un interprète, qui est le Confesseur. Dans la vie des Saints, on notera même souvent l'intervention de plusieurs confesseurs, ou directeurs de conscience. Quant à ceux qui refusent d'avoir un confesseur, ils sont considérés comme ayant le Démon pour maître. Et pour cause. Ce n'est pas Jésus qu'ils suivent, mais leur propre idée qu'ils nomment Jésus, ne reconnaissant rien d'autres qu'eux-mêmes. Si Jésus est véritablement reconnu comme un autre que soi, alors le sens de son action ne va pas de soi. Mieux que cela, s'il y a deux, il peut y avoir trois, ou quatre... et l'on sort du solipsisme, de l'ego cosmique.
Lorsque je me fais, avec l'aide de Dieu, l'interprète des volontés de Dieu pour un autre, je suis l'interprète, et il n'est pas forcément nécessaire que je sois secondé, même si j'accepte volontiers qu'une autre personne s'en mêle, pour autant qu'elle possède un minimum de discernement. Il en résultera toujours un enrichissement pour tous. En revanche, lorsque j'exerce une action, je ne suis pas moi-même en position d'en donner l'explication pourtant souvent nécessaire. C'est ici que Petit Jean m'est bien utile (car en général, c'est lui qui assume ce rôle, il possède un don naturel d'interprète et une grande culture). L'interprète m'est si nécessaire que si je veux faire comprendre quelque chose à Petit Jean, c'est Sélénè qui me sert d'interprète, alors que la pauvre ne se sent guère d'inclination à cela. Bref, lorsque Monsieur Pandore (dont je t'ai déjà parlé) a souligné mon inefficience sur son forum, il n'a pas compris que seul, je ne peux être qu'inefficient. Cela ne signifie pas qu'aidé par une autre personne je le resterais, mais comme pour sa part, il travaille seul, en vertu de son amour de l'Un, je ne peux rien faire pour ses administrés.
On en déduira aisément que celui qui s'en remet à un guru unique, sans interprète, court souvent un grave danger, celui de ne s'en référer qu'à lui-même. Car, dans la mesure où jamais le guru ne lui expliquera le sens de son action, il peut lui faire dire exactement ce qu'il veut. Que serait un interprète ? Une personne à qui le guru expliquerait le sens de son action, de même que j'explique à Petit Jean ou à Sélénè ce que je fais, afin qu'ils puissent aller en parler ensuite avec la personne concernée.
Prenons un exemple simple que j'ai trouvé dans un livre, Initiation tantrique (dont je t'envoie copie), et dont le sens me paraît assez clair pour que je puisse en parler sans trop de risque de me tromper. Un jour, le Maître fait vendre la voiture d'un disciple sans lui demander son avis, lequel disciple fait semblant de ne pas en être affecté. Ensuite, le maître se vante devant l'un de ses amis d'avoir rendu un fier service au disciple, mais que ce dernier est un idiot qui est incapable de le remercier. Lequel disciple nous explique qu'il continue à jouer l'impassible, bien que cela lui coûte. Il est obligé de s'endormir à demi pour ne plus entendre ni voir, preuve éclatante s'il en est qu'il est en train de dénier puissamment ses émotions. Le maître, qui est persévérant, se met alors à fustiger le disciple devant les autres disciples, l'engageant à s'expliquer sur ses défauts, mais le disciple s'échappe par une pirouette. Si le maître avait eu un interprète, ce dernier aurait pu expliquer que le but du maître n'était pas de pousser le disciple à enterrer ses émotions négatives, mais plutôt à les expérimenter jusqu'au bout. Le disciple nous explique d'ailleurs que le maître se donne vraiment beaucoup de mal pour le pousser à bout, mais au final il ne comprend rien car il estime avoir réussi le test, alors qu'il l'a raté trois fois de suite. Je peux expliciter cet exemple, car moi-même, je pousse souvent les gens à bout, et invariablement ils se trompent sur le sens de mon action. Il est nécessaire que quelqu'un leur montre ce que j'essaie de faire, de même que ce maître Tchan aurait dû former un interprète pour l'aider. Car il est évident que lui-même ne peut livrer la clé de son action. Ce n'est pas sa fonction.
Quoi qu'il en soit, j'ai vu à l'oeuvre ce refus d'écouter un autre que celui qu'on considère comme le guru. Un certain Paul, ancien ami de Petit Jean, qui a eu moult entretiens avec des gurus pour les entretenir de son cas, n'a jamais compris ce qu'ils essayaient de lui faire passer, parce qu'ils n'ont jamais pu le lui expliquer. Il ne s'en est remis qu'à lui-même pour interpréter leurs paroles (bien qu'il les ait répétées à d'autres, c'est ainsi que j'en ai pris connaissance), ne les interprétant que dans le sens qui l'arrange. Si un guru lui dit qu'il est réalisé, c'est "vrai". S'il lui dit qu'il n'est pas réalisé, c'est considéré comme un test à sa réalisation, il lui faut donc considérer cette parole comme "fausse". On comprend qu'avec une telle façon d'interpréter les choses, il ne verra ni n'entendra jamais que ce qu'il a envie de voir et d'entendre. C'est ainsi que beaucoup s'arrangent avec les paroles des gurus, préférant garder secrets leurs entretiens, afin de leur imposture ne soit jamais dévoilée. Ceux qui, comme Paul, répètent ce qui leur a été dit afin de s'assurer des témoins qui confirment leur folie, son tout de même assez rares.
Cela dit, je crois que tu as peu de ces personnes autour de toi, car les tiens sont éduqués à chérir les autres dès leur plus jeune âge.
Avec tout mon amour.