Energies courroucées
En réfléchissant à diverses réflexions que m'avait faites CS, je me suis demandée, par exemple, comment faire pour ne voir que ses propres défauts, et que les qualités des autres (c'est un peu ce qu'il conseille finalement). En effet, tout est interdépendant, et on traite les autres comme soi-même. En théorie, on peut bien dire avec tous les saints chrétiens qu'il faut voir son propre péché et les vertus des autres, mais dans les faits ? Ce qu'il me semble plutôt avoir constaté que ceux qui regardent leurs propres défauts voient ceux des autres, et que ceux qui voient les qualités des autres estiment en avoir beaucoup eux aussi. Je ne parle pas de ceux qui dénigrent les autres pour se rehausser eux-mêmes, puisque là on est dans le fantasme total, il n'y a aucune observation d'aucune sorte. Ici, je parle de développer une certaine qualité d'observation-. De fait, on se rend compte que l'observation qu'on applique à soi-même est la même que celle qu'on applique aux autres, et vice-versa. On ne repère d'ailleurs pas des "défauts", qui sont des entités purement conceptuelles et inexistantes en réalité, mais des discours et des comportements qui ont un sens, surtout lorsqu'on effectue le rapprochement entre les uns et les autres.
En fait je ne vois pas l'intérêt d'imaginer que par exemple Untel est un grand mystique contre le témoignage de mes sens, alors que si je veux imaginer des grands mystiques, je peux tout à fait me passer de cette personne qui manifeste éventuellement tous les signes d'un esprit borné. Si on a besoin d'imaginer que les autres sont autres que ce qu'ils sont, c'est peut-être que soi-même on a quelque difficulté à avoir une perception pure. C'est d'ailleurs l'explication d'un reproche qui m'a souvent été fait. Sous prétexte que la caméra filme de la crasse, on en déduit qu'elle est crasseuse, alors qu'il n'y a précisément aucun rapport entre les deux. Les personnes qui font cette déduction montrent simplement que leurs perceptions sont complètement saisies, les "bonnes" comme les "mauvaises", et que ce qui est vu est confondu avec les modalités de la perception. De fait, la crasse peut apparaître comme quelque chose de tout à fait pur, est il est d'ailleurs plus intéressant d'acquérir cette faculté que de vouloir voir que des choses propres. Dans le bus par exemple, je choisis les personnes les plus répugnantes pour essayer de les mettre dans mon coeur. ça ne veut pas dire que je vais leur voir plein de qualités, mais plutôt que les vents associés se purifient. Car il faut bien admettre qu'à la base, il y a bien une différenciation inconsciente du type attraction/répulsion. La "répulsion" n'est d'ailleurs plus une impression désagréable, et peut-être d'ailleurs qu'attraction/répulsion finit par se transformer en paisible/courroucé. Si je m'imagine manger du vomi de clochard ou me couper le doigt avec un couteau, ce n'est pas une imagination désagréable, par contre c'est une imagination beaucoup plus intense qu'imaginer manger du chocolat ou toucher quelque chose de doux. J'ai donc l'impression que tout ce qui peut nous sembler blessant pour le corps physique est de l'ordre des énergies courroucées. Un lama avait d'ailleurs conseillé à un ami, concernant sa pratique de Vajrakilaya, d'imaginer que le monde entier était fait d'arêtes très coupantes. Quoi qu'il en soit, il semble bien plus efficace de réintégrer les énergies courroucées, c'est-à-dire d'imaginer tous les accidents qui peuvent nous arriver et toutes les choses les plus désagréables possibles (ce qui ne fonctionne que si les canaux concernés sont reliés au coeur, sinon on parviendra juste à se contaminer davantage).
Pour le reste, si je critique vivement les comportements des gens, ce n'est pas dans l'objectif de (me) prouver que je suis meilleure comme on m'en a souvent soupçonnée, c'est parce que je constate que c'est précisément l'obstacle à l'amélioration de la situation. Voilà deux exemples de mails : 1) "que les vacances soient pour chacun un moment privilégié pour cette rencontre de Dieu dans le silence et des autres dans une écoute profonde. Beau chemin à chacun de vous, le Seigneur fait des merveilles dans chacun de nos coeurs si nous le laissons y entrer" 2) "Pour moi cette soirée a été à l'image de ce qu'a été cette année au sein d'une équipe totalement nouvelle pour moi, très cordiale et chaleureuse".
Un esprit peu observateur pourrait penser que les gens qui ont écrit ces mails sont des gens bien parce qu''ils voient les qualités des choses et des gens, et que seuls un esprit chagrin pourrait ne pas être d'accord. Le seul problème, c'est que les qualités en question sont purement inventées, non par imagination vraie, mais pas imagination fausse. Pour moi qui valorise immensément "l'écoute profonde" au point que je préfère être seule plutôt qu'avec des gens qui se fichent de tout, j'ai longuement cherché cette écoute et je ne l'ai jamais trouvée, sauf chez les mystiques. Je ne parle pas de trouver quelqu'un qui m'écouterait. Il me suffirait de trouver une personne qui en écoute une autre, n'importe quelle autre (j'ai trouvé un exemple récent dans l'entretien de Sainte Photinie et Jonathan Spetsieris qui a publié sa biographie). Dans le groupe ci-dessus concerné, cette écoute est absente. Qui s'en rendra jamais compte si tout le monde agit comme si elle était présente ? Il en va de même pour l'équipe cordiale et chaleureuse. On pourrait me rétorquer que les gens qui écrivent cela en sont convaincus. Ils sont imaginairement convaincus, en effet, mais cela n'a aucune réalité. Leur corps n'est absolument pas convaincu, c'est pour cette raison qu'ils présentent l'image d'une telle misère. Et il est certain que leur malheur n'est pas prêt de finir, tant qu'il sera bien vu de promouvoir de tels mensonges.