Chögyam Trungpa, vues fausses et voie des tantras
Ces temps-ci nous lisons Chögyam Trungpa à la maison (Petit Renard et Petit Elfe font des lectures à voie haute). A force de l'entendre, il me semble au final que, comme Krishnamurti, il bute sur une obsession qui a envahi tout son horizon, à laquelle il s'accroche comme une moule à son rocher après que tout le reste ait été emporté. Krishnamurti était obsédé par une mutation du cerveau, Trungpa est obsédé par le fait de vivre les choses telles qu'elles sont. Le grave problème, c'est qu'il n'y a pas de choses telles qu'elles sont, de même qu'il n'y a pas de gens tels qu'ils sont. Les deux vont ensemble, vacuité du moi, vacuité des phénomènes. Le "bien" et le "mal" n'ont aucune existence intrinsèque, à ceci près qu'il existe un souverain Bien, qui n'est pas une simple absence. La vacuité dans la vue dzogchen n'est pas la simple absence d'être propre, mais la présence éternelle d'une auto-conscience qui est vacuité/clarté/béatitude. Trunqpa dit que la félicité n'entre pas en ligne de compte, que c'est une chose comme une autre, impermanente, ce qui est faux. Tenzin Namdak dit au contraire que passé un certain stade, la félicité est permanente, et qui a vu au moins une fois la claire lumière, c'est-à-dire la nature de son esprit, sait que c'est une félicité absolue qui surpasse toutes les autres. Par conséquent, la félicité n'est pas un phénomène transitoire. C'est la Base qui reste quand tout à disparu. Et c'est aussi le sambhogakaya. Autrement dit, pour un bouddha elle ne disparaît pas. Elle n'est transitoire qu'en raison du karma et non par nature propre. Après ça, on s'étonne que Trungpa soit mort alcoolique.
Le pire, c'est qu'il se permet de faire des enseignements sur les tantras avec cette espèce de vue shunyatesque incomplète, alors que le principe même des tantras consiste à remplacer les apparences ordinaires par des apparences pures, partant de la constatation que tout ce que nous voyons n'ayant aucune réalité intrinsèque, on peut aussi bien le remplacer par quelque chose qui nous rend heureux, puisque tout ce qu'on expérimentera jamais, ce sont des créations de l'esprit. Plutôt qu'expérimenter la mornitude et le quotidien pénible, autant expérimenter la terre pure de Vajrayogini, ce qui aura au moins le mérite de nous rapprocher de notre nature primordiale, puisque seuls les vents purs sont aptes à être dissous consciemment dans le canal central.
Mais au lieu d'expliquer que le quotidien tel que nous le voyons est un mirage, Trungpa préfère nous répéter qu'il faut nous installer dans ces vents contaminés, et qu'ils vont se décontaminer tout seuls. Ce qui ne marche pas. On constate s'implement qu'on est malheureux, probablement comme il l'a fait lui-même. Point. On peut supposer que lorsqu'il est arrivé en Occident, il était dans une terre pure, qui s'est disloquée au fur et à mesure de sa présence ici, et qu'il a fini désespéré, exactement dans la situation de ces gens qu'il décrit, qui ne peuvent plus revenir en arrière parce qu'ils ont fait croire à tout le monde qu'ils étaient réalisés. Il suffit de voir une photo de lui à la fin de sa vie, c'est l'inverse des autres Rinpoches.
Il faut savoir qu'une terre pure est relativement dépendante du nombre d'esprits qui la soutiennent, et bien sûre de la puissance de ces esprits. Un bouddha peut emmener sa terre pure en enfer, elle restera intacte. Mais un être qui est incomplètement réalisé a intérêt à gagner d'autres esprits à sa cause - qui est la création d'apparences pures destinées à remplacer la quotidien -, car on peut constater facilement qu'à plusieurs, l'univers imaginal a bien plus de force que seul, et se développe plus facilement. En effet, il tient sur des vents purs, et les vents se partagent naturellement avec notre entourage. Si tout notre entourage est contaminé, on a vite fait de se retrouver aussi sale que lui, comme une chemise blanche plongée dans un seau de boue, à moins qu'on sache la nettoyer tous les jours dans la claire lumière. Sinon, il faut s'associer avec des amis ayant le même objectif et vivre avec eux, en organisant toute sa vie de façon à progresser sur le chemin du bonheur.
Au passage, on peut également noter qu'il raconte absolument n'importe quoi au sujet du christianisme, se permettant au nom de sa pseudo-science de répandre des idées complètement fausses à son sujet, prétendant que les chrétiens feraient appel à un être extérieur (Dieu), alors que si on lit les mystiques, on voit bien que leur expérience n'est pas celle d'une chose extérieure à eux-mêmes. C'est vraiment prendre les autres pour des idiots, et c'est quelque chose que je n'aime pas du tout.
Note du 2-11-2017 :
Les chrétiens font en réalité bien appel à des êtres extérieurs (et non pas un seul), mais les bouddhistes tibétains aussi, il oublie de nous le dire. (Cf Aurobindo et ses explications sur les êtres du surmental)