Les tomatiers de Dieu
Au final je comprends pourquoi Mère dit qu'on peut faire la sadhana pour les gens, et pourquoi les tibétains disent qu'on ne peut pas. Ils ne parlent pas de la même chose.
C'est sûr qu'on peut tout faire pour les gens, sauf la seule chose qui serait utile. La seule chose qu'il y a à faire dans la sadhana c'est d'enlever l'esprit du mensonge. Le reste n'est même pas une formalité, ça se fait tout seul, parce qu'une fois l'esprit du mensonge enlevé, il est entendu que c'est Dieu qui fait la sadhana et forcément il la fait, comme dit CDR il y a des expériences tout le temps. Ensuite c'est une question de niveau. C'est tout petit quand le continuum de conscience est petit, et ça s'agrandit avec le temps. C'est comme un tomatier en bonne santé. C'est petit au début, et puis ça pousse, et ça finit même par donner des tomates. Se poser la question du développement des expériences, c'est comme se poser la question du développement du tomatier dont on s'occupe bien. C'est sans objet.
Alors si on se fait du souci pour sa sadhana, c'est que quelque part on a de bonnes raisons de s'en faire, car personne ne peut nous aider. C'est en ce sens qu'UG disait que la question et le questionneur sont la même chose. Celui qui s'inquiète des obstacle est précisément celui qui fait obstacle.
Ce que j'ai vu l'autre jour chez Amma, c'est que tout le monde essaie de casser tout le monde. Inconsciemment bien sûr. Chacun affirme son vital pour écraser celui d'en face, avec les meilleures intentions du monde. Il est vrai qu'à l'inverse, il est difficile de faire le choix de renforcer l'ego des gens, alors quelque part tout le monde est justifié d'écraser le voisin, car tel qu'il est, il n'y a que deux solutions, soit il est écrasé, soit il est magnifié en tant qu'ego. Donc même si au niveau vital, on n'est plus déterminé à se nourrir sur le voisin, il y a malgré tout que deux possibilités: soit on fait comme Amma et on le magnifie, tant qu'il sert la soupe, peu importe que son ego soit gros comme une maison. Soit on fait comme les tibétain, on refuse de les nourrir, et ils meurent d'inanition avec leur ego. Les tibétains n'ont aucun genre de pitié par rapport à ça et pourquoi en auraient-ils ? Vous pouvez gâcher votre vie entière et crever sous leurs yeux, si vous ne lâchez pas votre ego vous n'aurez pas une miette de pouvoir spirituel. Et si vous le lâchez rien ni personne ne saurait vous empêcher d'avoir le gâteau.
La solution du satsang revient en fait à la première solution. Sous couvert de satsang, on permet une évolution dont la personne n'était pas capable seule, et la question se pose de la pertinence de cela. Qu'Amma le fasse, elle peut, elle sait ce qu'elle fait. Mais sinon, tout indique que ça n'est pas très avisé. Alors on peut toujours rêver d'une petite communauté d'êtres psychiques, et il est vrai que ça serait certainement un puissant facteur d'évolution, mais bon, on ne voit pas au nom de quoi ça arriverait, puisque même autour de Mère, les bons disciples étaient rares.
Ce qui me fait dire ça, c'est qu'au fond j'entends toujours les mêmes choses, années après années. C'est sûr que chacun a appris à faire très attention à ce qu'il dit, mais au détour d'une conversation, on réalise que tel ou tel a une perception délirante de sa propre importance, ce qui rapporté à une auto-préoccupation permanente souvent démontrée, dresse un tableau assez sombre.
Mais pourquoi s'occuper des autres ? Parce qu'il n'y a rien d'autre ! On peut dire aussi qu'il n'y a rien d'autre que soi, quoique la réalité soit encore différente, en tous cas il est certain qu'on ne peut pas dire "ici moi" "ici les autres" et "je ne m'occupe que de moi". C'est un non sens.
Car finalement à quoi devrait ressembler quelqu'un dont les frontières sont devenues floues ? Mère le montre bien, ses expériences sont la substance du monde. Si on devient le choses et les gens, eh bien forcément on devient les choses et les gens. On n'est pas en train de penser à un soi qui serait séparé. Et c'est cela qui fait que, d'après CDR, Milarepa avait sans arrêt des expériences.
Mais il n'y a pas que Milarepa. Une fois que la frontière entre soi et le reste devient floue, ou perméable, partout où la conscience se pose, c'est une expériences spirituelle, parce qu'il y a de la substance. Pour Mère c'est arrivé souvent dans son cabinet de toilette, quand sa conscience se pose sur une savonnette, ou un peigne, ou n'importe quel objet pas forcément identifiable, puisqu'il y a aussi beaucoup d'objets non physiques. Mais c'est valable aussi avec tout ce qui se trouve à l'autre bout du monde. On peut se connecter partout. Au début c'est évidemment déformé et plein de mental, mais la substance témoigne que la connexion est réelle. En Haïti, en Chine, ou sur la lune. L'autre jour c'était très clair avec Amma. J'avais la perception que je pouvais me connecter à elle de n'importe où, que c'était une question d'intensité de concentration, pas de distance. Qu'obligatoirement elle serait présente en fonction de ma concentration. Autrement dit il n'y avait plus la perception d'une masse grouillante de dévôts capables de faire écran. Rien ni personne ne peut faire écran à la juste concentration. Et il n'y a pas non plus "moi" et "Amma". Il n'y a pas un, et il n'y a pas deux. C'est un troisième terme incompréhensible. Qui évite de penser qu'on a la moindre importance, ou qu'on serait privilégié, ou quoi d'autre. Il n'y a plus de takari ni de gourou, il y a juste un incompréhensible troisième terme. Et ce troisième terme a tendance à se répandre un peu partout. C'est apparemment le jeu inexplicable de l'unité et de la dualité, mais qui n'est un problème que pour le mental au final. Même le corps en fait on ne sait pas ce que c'est, et si on me disait qu'il peut être en même temps ici et ailleurs, ça ne me dérangerait pas. On ne sait rien du tout. Tout cela pour dire que l'on peut focaliser sa conscience de telle ou telle manière, étant entendu qu'il n'existe nulle part de frontière entre ceci et cela. Les possibilités sont infinies.
Alors clairement, si on a le choix entre s'auto-préoccuper de ses mémoires familiales et de son état énergétique, ou de découvrir une infinité de merveilles auxquelles le mental ne comprend certainement rien mais qui sont bien réels, il n'y a pas photo. Le seul objet de la sadhana devrait être le passage de la tendance mensongère qui est fusionnelle ou duelle, au troisième terme qui ouvre toutes les frontières.