A propos des leçons de morale
Je fais un post du commentaire de Marie Claire et de ma réponse pour que tout le monde en profite.
Marie-Claire a dit :
Je te parlais d'approcher la véritable humilité, non d'être complètement immergé dans la "grande béatitude". Le monde n'est pas binaire, tout est progressif. C'est pourquoi, plutôt que d'évoquer un accomplissement lointain dont on ne sait finalement rien à part ce qu'on en a lu, il est souhaitable de commencer par faire la paix avec soi et avec le monde. Il n'est pas question de fantasmer sur une sorte de paix absolue, ce qui ne ferait que nous en éloigner, il est question d'être simple et pragmatique dans sa démarche : ce qui signifie concrètement d'entretenir la claire intention d'être en paix d'une part et de traquer sans relâche tout ce qui, dans nos conditionnements, nous en éloigne. Bien entendu sans l'intention première d'avancer dans une démarche plus paisible, rien n'est possible et on tournera en rond : toutes les avancées qu'on croira vivre seront au bout du compte illusoires, nous ramenant inexorablement aux mêmes constats et aux mêmes échecs. Tout simplement parce que sans une paix suffisamment établie en soi, on ne peut pas se sentir un minimum en unité avec le monde ; et sans un peu de cette unité véritablement vécue, rien de tangible ne saurait survenir dans notre évolution. C'est d'ailleurs cette unité qui amène peu à peu ce que tu as appelé "la disparition des concepts, entre autres, de soi et du monde".
Evidemment chacun fait comme il le sent : on peut évoquer sans cesse le fait que tant que nos canaux ne sont pas totalement purifiés nous auront constamment des déséquilibres, des blocages, des tensions et que dans ces conditions on ne saurait jamais être humble, en paix, joyeux. On rejette d'emblée toute forme de qualité, que pourtant on recherche ardemment, sous prétexte qu'elles nous sont inaccessibles. Mais ceci est une erreur car il y a de nombreux palliers sur notre chemin et tant que nous repoussons toute forme d'accomplissement en l'idéalisant au maximum, nous nous empêchons par là même de vivre de véritables avancées. Celui qui se persuade qu'il ne pourra être en paix avant d'être "totalement réalisé" (et qui suppose par là même qu'il existe quelque part une quelconque "réalisation totale" au-delà de laquelle il n'y aurait plus d'évolution possible...) se donne toutes les raisons du monde de se laisser aller à ses propres penchants de colère, de frustration, de rejet et d'orgueil. C'est en réalité une bien grande complaisance envers soi-même.
Il est peut-être plus sage de faire tant un travail quantitatif qu'un travail qualitatif : en même temps que ses pratiques énergétiques on cultive les qualités que l'on cherche à développer, on les appelle consciemment à soi en confiance et avec simplicité, sans les idéaliser mais en comprenant bien au contraire qu'elles se développent peu à peu, au même titre que les pétales de la fleur s'ouvrent et s'épanouissent tranquillement au fil du temps si elle reçoit tout ce dont elle a besoin.
A propos de ce que tu dis dans ton dernier paragraphe, il n'y a aucun problème: si je viens ici t'écrire c'est parce que j'ai envie de te partager un peu de ce que j'ai ressenti, à toi d'en faire ce que tu veux, tu es libre.
Il me semble que je t'ai déjà lue sur cafe-eveil... Si je parle de canaux plutôt que d'intention c'est parce que je m'adresse aux personnes qui ont des problèmes avec l'intention. On ne peut pas s'adresser à la terre entière, ni être compris de la terre entière. Toi, par exemple, tu t'adresses aux gens qui sont plutôt identifiés à l'intention belle et bonne. Je n'ai rien contre. Mais il y a une autre partie de l'humanité qui ne peut pas suivre ce genre de discours parce que ça leur rappelle un peu trop les curés, par exemple, ou parce que leur éducation ne les prédispose pas à ça. Ils ne se reconnaissent pas là-dedans. J'ai des amis dans une catégorie, et d'autres amis dans l'autre catégorie. En général, ils ne s'entendent pas entre eux. Quoi qu'il en soit il y a de nombreux sites qui s'adressent à une catégorie, et qui ce faisant culpabilisent la seconde qui n'arrive pas à penser comme ça. Je m'adresse plutôt à ces gens, dans un discours qu'ils peuvent comprendre. Je ne leur répète pas qu'ils doivent devenir bons et qu'il faut qu'ils fassent des efforts dans ce sens. J'adopte une attitude non moraliste et volontairement mécaniste, afin qu'ils ne développent pas un rejet de la pratique mais au contraire qu'ils voient qu'ils peuvent aussi y trouver des bonnes choses pour eux. En regardant les commentaires, on notera que mes lecteurs les plus assidus sont du genre qui-a-développé-une-allergie-au-discours-moralisateur ou qui y ressemble. Mon expérience est que le dharma fonctionne avec l'intention de la clarté tout aussi bien qu'avec l'intention des paramitas/qualités. C'est pour cette raison que tu peux avoir l'impression que mon discours manque de plein de choses. Je sais ce qui va filer des boutons au lectorat que je vise. ça ne veut pas dire que toi et moi on ne peut pas se comprendre, mais sachant que je parle pour un type psychologique qui est l'opposé du tien, ça veut dire que ça n'est pas adapté pour toi, et donc difficile à lire. Il est évident que tout ton émotionnel va se dresser contre ma façon d'écrire, de même que l'émotionnel de mon lectorat se dresse contre les façons d'écrire que tu affectionnes. Soit on peut passer par dessus, soit on ne peut pas. Il faut comprendre qu'un discours est fait pour un type de public et ne pas s'en frapper. Il s'ensuit un certain nombre de malentendus. Par exemple il y a des gens (les adeptes du bel et bon que je connais sont comme ça), qui ont besoin de se dire qu'ils ont accompli quelque chose, qu'ils deviennent meilleurs, que ça va mieux etc... en somme qui voient le verre à moitié plein. Et puis il y a d'autres gens qui préfèrent regarder ce qu'ils n'ont pas accompli, en somme qui voient le verre à moitié vide. A la fin du compte, je ne crois pas qu'une attitude soit meilleure que l'autre. Les premiers se croiront certainement plus heureux que les seconds. Mais à regarder des critères plus objectifs - si on leur collait par exemple des électrodes pour mesurer le niveau réel de stress, je crois qu'on trouverait la même chose. Les gens qui ont besoin de penser qu'ils ont accompli quelque chose sont stressés eux aussi, parce que le monde leur prouve sans arrêt qu'ils n'ont pas accompli tant que ça... J'ai un ami pratiquant qui pense plutôt comme toi, il m'a dit :"J'ai besoin de me sentir satisfait de ce que je fais, sinon je serais complètement bloqué et super malheureux". Mais tout le monde n'est pas comme ça. Il y a des gens c'est exactement l'inverse, ils supportent très bien les verres vides et au contraire se sentent mal avec les verres pleins parce que cela leur semble un mensonge. Je suis de cette catégorie. Le problème, c'est que si tu interprètes ce que je dis avec ta vue, tu vas penser que je suis sur le point de me jeter par la fenêtre. Ce qui n'est pas du tout le cas. Appliqué au bouddhisme, on pourrait dire qu'il y a des gens qui se sentent bien avec l'aspect paisible du monde (gentil, doux, etc) et d'autres qui se sentent bien avec l'aspect courroucé (acéré, effrayant etc). Il y a des yogis qui sont dans des jolies forêts avec des gentils disciples, et d'autres qui sont dans les cimetières avec les démons. On ne peut pas dire qu'un aspect soit supérieur à l'autre, c'est une question de caractère.