Lettre au Père Guy Fontaine
Bonjour mon Père,
je viens de relire votre conférence "La prière de Jésus", stockée dans mon ordinateur. Vous y dites toutes sortes de choses remarquables, aussi j'espère que vous me pardonnerez si je me permets de vous partager quelques réflexions, bien que je n'aie rien d'autre que mon expérience à faire valoir, ce qui vaut bien peu je m'en doute.
Cela fait 18 ans que je tente de pratiquer cette prière, depuis ma conversion à l'Orthodoxie, et pendant 18 ans j'ai misérablement échoué. Pourquoi ? Parce que je tentais précisément de faire ce que vous expliquez, et qui pour moi était une voie bien trop élevée. "Nous tenir amoureusement dans la présence de Jésus", je crois que cela se résume ainsi... comme j'aurais voulu pouvoir le faire. Mais le péché originel n'est-il pas, par définition, un obscurcissement du sens spirituel qui nous rend incapables de nous adresser à Dieu, et de ressentir Son ineffable Présence ?
"On s’adresse à Dieu et on exprime, par son être même la louange de Dieu, l’émerveillement en face de Dieu, la reconnaissance, l’humilité" écrivez-vous. Mais quel est votre secret pour parvenir à cela, et surtout comment pouvez-vous le communiquer à vos auditeurs ? Comment évoquer une Présence qui ne peut être l'objet d'aucune opération de notre esprit ? Votre énoncé est paradoxal. Pour s'adresser à une personne, il faut la concevoir, à moins qu'elle ne soit présente par elle-même. Mais le Père Sophony que vous avez connu, écrit lui-même que Dieu ne manifeste Sa présence en tant que Personne que loin sur le chemin, lui-même a attendu de nombreuses années. Comment pourrais-je, pour ma part, imaginer que j'aurais cette capacité ? A vrai dire, c'est ce que j'ai tenté pendant 18 ans, aimer Dieu, louer Dieu, rencontrer Dieu dans la prière. Ses énergies, je les ai rencontrées ici et là, quoique de manière très inconstante, mais Lui ?... Il n'y a jamais eu moyen.
En désespoir de cause, j'ai tenté une autre approche. Au lieu de m'élever vers Dieu, je me suis abaissé dans mon repentir. Je me suis senti la plus misérable des créatures, et je n'ai fait plus que cela, jusqu'à ce que... Cela n'a pas été plus qu'un effleurement d'un pan de Son manteau, mais enfin, suffisant pour me faire comprendre que j'avais fait fausse route pendant 18 ans. Je ne peux pas concevoir Dieu, ni penser à Lui, ni quoi que ce soit d'autre, s'Il ne me le donne pas. La seule chose qui soit en mon pouvoir, c'est de considérer ma misère et mon néant. Cela, je le peux à toute heure et en tout lieu.
Après réflexion, il m'a semblé que la prière de Jésus ne nous a jamais proposé de nous élever vers la contemplation de Dieu par nos propres forces. Les Pères nous disent bien que nous ne devons pas nous faire le moindre concept, ni la moindre imagination de Dieu. Sa présence serait-elle donc automatique une fois que nous avons fait le vide des conceptions que nous avons à son sujet ? Mais par quel miracle ? Parce que nous nous prétendrions chrétiens ? Si c'était si simple, le Père Sophony aurait continué ses méditations orientalistes, puisqu'il avait si bien appris à faire le vide. Or ce n'est pas du tout ce qu'il a fait. Il s'est repenti jusqu'à verser des torrents de larmes, et même jusqu'à en perdre le sens. Et ceci pendant des décennies. Il n'a jamais chercher à se placer en présence de Dieu, il s'est abaissé et dans sa misère il L'a appelé. Car nos appels ne sont finalement efficaces que dans la misère. Comme le dit le Père Sofian Boghiu, les prières des prisonniers roumains valaient celles des saints, tant leur misère était grande.
Notre seule occupation ne devrait-elle pas être de faire croître la conscience de notre misère ? Qui effectivement finit par nous apparaître de plus en plus abyssale au fur et à mesure que nous acceptons de nous y plonger. Ce repentir est comme un feu qui brûle et qui vide la tête de toutes pensées. Paradoxalement, nous vivons alors des instants où la présence de Dieu nous emplit tellement qu'il devient impossible de continuer à contempler cette misère. Ces phases où nous ressentons l'amour de Dieu deviennent d'ailleurs de plus en plus fréquentes et longues, ce qui constitue une tentation redoutable (celle du Paradis). En effet, tout indique que nous devons continuer à contempler nos péchés autant que nos forces nous le permettent (=ne vouloir que Dieu). Le Père Sophrony dit que le repentir n'a pas de fin dans cette vie.
Car on observe que les énergies divines, qui effectivement répondent assez bien aux techniques, peuvent facilement nous faire oublier la relation personnelle avec Dieu, tant elles peuvent nous dépasser par moments. N'est-ce pas ce qui arrive aux Orientaux ? Ils maîtrisent si bien les énergies et savent si bien s'élever par eux-mêmes qu'ils en oublient le principal, le Visage de Dieu. Dans leur cas c'est compréhensible, ils n'en ont pas eu la révélation, mais dans le nôtre ?
Au final, oserais-je suggérer qu'un enseignement sur la prière de Jésus devrait nous présenter toutes les façons possibles et imaginables de prendre conscience de notre pauvreté, de notre impuissance, et de notre péché, jusqu'à ressentir ce feu du repentir ? Les stages ne devraient-ils pas être faits pieds nus dans la neige avec des lit en planche ? Mais il y aurait bien peu de public pour cela j'imagine, car les hommes d'aujourd'hui réclament du bonheur, et non des larmes. Quel drame...
Dans l'amour de Dieu