Qu'est-ce que le salut et comment y travailler ? (1- le salut n'est pas acquis)
"Aux heures d'abandon, nous réalisons que tout ce que nous avons accompli jusqu'alors n'est de loin pas suffisant pour le salut". "Nous nous éprouvons sévèrement nous-mêmes et, sans pitié, nous nous condamnons à l'enfer, comme étant indignes de Dieu. C'est seulement ainsi que nous pouvons surmonter notre propension invétérée à considérer nos faiblesses avec indulgence, à nous pardonner facilement nos transgressions, surtout si nous les accomplissons seulement en pensée". Archimandrite Sophrony.
Comment être sauvé ? Pour beaucoup de chrétiens, il ne fait aucun doute que, étant chrétiens, ils sont sauvés. J'ai même entendu des curés dire que mêmes les catéchumènes étaient sauvés, par "l'intention du baptême". Je ne comprends pas très bien comment tant de chrétiens se croient sauvés, alors que tant de saints se sont crus bons pour l'enfer. Humilité rhétorique ? Sans doute vaut-il mieux le croire pour ceux qui sont plus intéressés par la vie mondaine. Mais pour ceux qui sont sérieusement concernés par leur salut, il me semble que la question mérite réflexion. Le saint n'est a priori pas un menteur ni un poseur, il ne fait qu'exprimer son sentiment. Quand le Père Iacovos Tsalikis dit « Pères, je suis un chien mort. Que ferai-je si je viens vous voir ? Polluer l'air ? », il dit certainement le fond de sa pensée. Alors comment se fait-il qu'il se voie comme un chien mort alors que nous nous voyons comme des gens respectables. Imparfaits, certes, mais nul n'est parfait, n'est-ce pas ?
Cette question mériterait à soi seule un post entier, mais je n'étais pas parti pour cela. En bref, nous pouvons constater que là où nos yeux ne nous permettent que de voir les cailloux et les rochers de nos péchés, les saints voient les atomes. Il y a quelques années j'avais mal dormi après avoir cassé une branche de noisetier chez un voisin, parce que j'avais voulu attraper des noisettes comme on s'en doute. J'avais pensé lui mettre un pot de confiture sous son portail avec un mot du genre "Je suis la personne qui a cassé la branche de votre noisetier etc...", mais le démon m'a vite rattrapé :"Dans quels ennuis vas-tu encore te fourrer espèce d'idiot ? Si ça se trouve il ne s'est aperçu de rien. - Oui mais quand même ce pauvre noisetier... - Oui ben c'est pas en t'excusant au voisin que tu vas défaire le mal fait au noisetier". Ce qui n'était pas faux. D'ailleurs l'hiver suivant le voisin a taillé l'ensemble du noisetier plus court que l'endroit où la branche avait cassé, alors pour le coup le noisetier a eu sa dose. Bref. Alors il est difficile de transposer cette histoire à un saint, parce que jamais un saint n'aurait voulu attraper les noisettes du voisin, pour commencer. Mais à supposer qu'un saint casse par mégarde le noisetier d'un voisin, combien de larmes aurait-il versées et pendant combien de temps ?... Il y aurait vu une montagne de péché qui l'aurait empêché de dormir pendant des années, peut-être à raison, et surtout il aurait offert en échange une forêt de noisetiers. Bon, c'est une métaphore. Et me voilà bien loin de mon sujet initial.
L'endroit où je voulais en venir, c'est que notre salut n'est absolument pas acquis. Ce qui serait acquis c'est plutôt notre damnation. Je ne crois pas du tout à l'enfer avec des démons peints en rouges, des chaudrons et des fourches. L'enfer est un lieu spirituel, un état d'esprit. Le nôtre, à l'heure actuelle. Et s'il est le nôtre maintenant, je ne vois pas bien comment cela changerait une fois que nous serons morts. Regardons notre état d'esprit. Des gens qui crèvent de faim dans la rue, ou de froid, et nous qui passons à côté, bien tristes pour eux sans doute, mais enfin bref. "C'est le boulot des services sociaux". Et c'est vrai en un sens. C'est en tant que société entière que nous nous condamnons. Je vais encore m'éloigner de mon sujet, tant pis. Je me suis déjà demandé sérieusement "et si je logeais un SDF ?". Le problème, c'est que la structure de notre monde ne le permet plus, du moins le risque est sérieux. Supposons par exemple que le SDF soit un psychopathe et me crée toutes sortes de problèmes, qui va m'aider ?... personne. Au contraire, tout le monde va ricaner en se moquant de moi. La police me dira qu'elle a autre chose à faire. La famille du SDF prendra bien soin de ne pas "interférer dans la liberté d'autrui". J'ai déjà testé par trois fois "l'aide à personne en difficulté", je ne suis pas près de recommencer. J'ai d'ailleurs réussi à refiler l'un de ces cas sociaux (le moins pire) à un lama tibétain, il s'en est à peine mieux sorti que moi, le type s'asseyait sur son trône, menaçait de défoncer la porte de son appartement à "coups de karaté"... Ce que je veux dire, c'est que ces gens ne méritent pas d'être laissés à eux-mêmes et qu'il faudrait les aider. Mais ce n'est pas du ressort d'un particulier, aussi bien intentionné soit-il, c'est du ressort de la société toute entière. Ou au moins d'une communauté. C'est ainsi que nous sommes amenés à faire le mal que nous ne voulons pas.
Car, j'en viens à mon deuxième point, je ne peux plus faire confiance à "Dieu" pour me désigner la personne qui ne va pas me créer les pires ennuis. Je ne passe pas mon temps à discuter avec les anges, ils ne sont pas en train de me dire toute la journée ce que je dois faire. Si c'était le cas, ce serait différent. On peut accepter des épreuves dont on sait de source sûre qu'elles ont été voulues par Dieu, comme ce fut le cas de nombreux saints. Mais des épreuves qui sont la conséquence de son propre manque de discernement et que nous sommes d'ailleurs incapables de gérer, c'est autre chose. Or c'est exactement ce qui nous arrive quand nous ne discernons pas exactement quelles sont les forces en présence. Notre foi minuscule face au démon omniprésent. L'autre jour à la salle de fitness il y avait des clips musicaux, des chanteurs à moitié fous qui se tortillaient lascivement dans une étuve en poussant des cris, enfin des "chansons". L'enfer.
On nous dit souvent, en milieu chrétien :"Dieu ne soumet personne à une plus grande épreuve que ce qu'il peut endurer". Allons bon, ces gens ne regardent donc pas le monde autour d'eux. La définition de l'enfer où nous nous trouvons, c'est que tous sont soumis à plus que ce qu'ils peuvent endurer, si l'on y réfléchit sérieusement. C'est vrai pour les cas extrêmes. Il faut lire des témoignages d'Auschwitz, non pas des témoignages de saints, mais d'athées, justement. C'est horrible, justement parce que cela n'a aucun sens pour eux. Mais nous pouvons aussi regarder autour de nous. Ici, sur Canalblog, j'ai trouvé le journal d'une femme violée à 12 ans dont la vie est véritablement affreuse. Cette personne est tellement en révolte qu'on ne voit même pas par quel miracle elle pourrait trouver la foi et se convertir, ce qui serait la seule manière pour elle d'alléger ses souffrances. C'est possible dans l'absolu, mais il lui faudrait les prières d'un saint.
Il faut bien comprendre que les épreuves que nous traversons n'ont rien à voir avec Dieu. Il les laisse arriver parce qu'il a établi certaines lois dans l'univers pour qu'il puisse tenir debout, des lois physiques aussi bien que spirituelles, et que l'idée de base n'était pas d'intervenir toutes les 5mn pour renverser l'ordre naturel des choses. Si on frappe ou si on vole son voisin, Dieu ne va pas intervenir pour que nous échappions aux conséquences de nos actes, il ne serait plus Dieu mais un pauvre idiot, parce que ce n'est qu'en contemplant les conséquences de nos actes que nous pouvons devenir meilleurs. Le problème évidemment c'est que les causes sont maintenant tellement multiples et hors de notre portée que nous n'y avons réellement plus accès. Le mal s'est étendu de manière exponentielle.
Car le problème de cette société, c'est qu'elle est en révolte contre Dieu, même si cette révolte prend les allures d'une indifférence. Il suffit de parler de Dieu pour voir que la réaction des gens n'est pas une indifférence, mais une hostilité. Leur éducation faite en dépit du bon sens les a menés à une vie dénuée de sens, qui est un terrible malheur, dont ils accusent le monde, mais surtout Dieu. On peut donc dire qu'ils ont supporté plus que ce qu'ils pouvaient, au sens où ils sont maintenant tordus au-delà de toute rédemption compte tenu des moyens à notre disposition. Une vie complètement absurde les a amenés à en vouloir au Créateur et à se mettre sous des influences devenues tellement puissantes qu'elles s'affichent au grand jour, dont l'immense majorité ne se sortira pas parce que c'est devenu la norme. Nous n'en sommes plus à un petit malheur individuel dont on pourrait se sortir en s'écartant de la mauvaise route, mais à une grande chute collective vers l'abîme, comme ce qui est arrivé aux Juifs avec Hitler. Tout le monde a été embarqué dans cette sale affaire, même les Justes. Aujourd'hui, beaucoup de gens font le mal avec le sentiment du bien accompli (par exemple quand ils donnent des bonbons aux enfants. C'est connu que ça rend les chiens diabétiques, mais apparemment pour les enfants c'est "bien", et honte aux parents qui s'y opposent). Mais c'est toujours le mal, et quelque chose en eux le sait.
Une vie absurde est une grande souffrance, qu'on le veuille ou non. Malheureusement l'esprit humain est constitué de telle manière que cette sorte de souffrance le rend rarement apte au repentir, bien au contraire. L'Eglise catholique a trouvé un biais pour conserver sa clientèle et son pouvoir, qui à mon avis sera sa perte. En prenant l'air gentils et encourageants et en prônant le bien-être et le bonheur terrestre, ils se donnent une image avantageuse. Sauf que, honnêtement, on a du mal à retrouver le vrai christianisme au milieu de tout ça. Et je ne vois pas en quoi se "convertir" à une chose fausse représente une vraie conversion. "Ils sont membres de l'Eglise". Quelle Eglise ? On est membre de l'Eglise spirituellement, avant de l'être physiquement ou sur le papier. Si on ne l'est pas spirituellement, qu'est-ce qui reste ? La condition pour communier, c'est de se repentir de ses péchés, et d'en demander pardon à Dieu. Ce n'est pas d'espérer qu'on sera sauvé en menant le même genre de vie qu'auparavant.
Nous voilà donc avec un problème assez grave : dans une société en perdition, avec une Eglise qui est en train de perdre ses fondements principaux, comment se sauver et aider les autres à se sauver ? Autrefois il n'y avait pas besoin d'y refléchir. On allait se faire moine dans un bon monastère, et par les prières et les conseils des Anciens expérimentés, avec l'aide du Ciel, on parvenait à une certaine union à Dieu, à condition d'être obéissant en tout. Parvenu à ce point, on pouvait alors aider les jeunes Frères de la même façon, complétant ainsi notre chemin. Il n'y avait pas à s'interroger sur le pourquoi du comment : ça marchait. Ceux qui détenaient la connaissance, c'est-à-dire l'union à Dieu, la transféraient aux autres en prenant sur eux leurs péchés, et cela formait une lignée ininterrompue de saints moines, qui en outre priaient pour le monde autour d'eux, en sorte que les laïcs n'étaient pas en reste. Comme je l'ai montré dans un post précédent, les système monastique ne fonctionne plus de cette façon, et c'est devenu chacun pour soi. Bien sûr, chacun prétend prier pour les autres, mais dans les faits, on voit que des couvents ferment parce que les moines passent trop de temps sur internet, tandis que les autres sont transformés en colonies de vacances ou en business florissants. Je pourrais raconter bien des histoires qu'on m'a rapportées, mais on en trouve aussi dans les livres.
Si donc nous concevons le désir de connaître Dieu, nous allons vite constater que, malgré les beaux discours, il n'y a personne pour nous aider. Vous trouverez des moines prêts à prier pour votre conversion, mais aucun qui priera pour votre sanctification. Mon ami Alexandre parcourt le Mont Athos depuis deux ans, et cette demande n'est jamais agréée, quel que soit l'interlocuteur. Si votre vieille mère est malade, vous trouverez quelqu'un pour prier pour elle. Si vous êtes en bonne santé, et que vous désirez progresser dans l'amour de Dieu, on vous regardera avec sympathie. Point final. Comme le disait l'Ancien Ephrem :"Lorsque la bougie éclaire, elle brûle son col". Il parlait de ce qu'il faisait pour ses disciples. Prier pour faire progresser quelqu'un spirituellement, cela coûte cher. Les Pères spirituels réservent cette énergie à leur successeur, ou peut-être pas. Alexandre a trouvé un Père qui ne prend même pas la peine de prier pour son unique disciple, mais qui préfère secourir les malades. C'est un choix qu'il ne nous appartient pas de juger, mais ce choix a un sens : ce n'est pas demain la veille que nous allons trouver quelqu'un pour nous aider. Même si nous devenons moine d'un vrai Père spirituel et que nous lui obéissons en tout, il n'est même plus acquis que nous recevrons son aide. En tant que laïc, il est inutile d'y penser.
Pour autant, lorsque le désir est là, il est là. Abandonner parce que la chose est impossible (ou mieux : déclarer qu'elle est déjà faite et que nous sommes déjà sauvé) signifie seulement que le désir n'est pas là. La seule chose qui reste à faire, c'est de mettre à plat tout ce qui nous reste, et de voir ce que nous pouvons faire avec cela. Ce qui nous reste, c'est les écrits des saints, principalement, notre aspiration et notre intelligence. La première question que nous devrions nous poser est : qu'est-ce que le salut ? Que cherchons-nous ?
A suivre.