Formation du récipient (des lumières)
De nombreux cas démontrent le danger qui guette tous les chercheurs spirituels qui ont un minimum de succès dans leur démarche. Ils se font quelque part trop confiance, et, pensant inventer par leur propre industrie le réacteur à fusion, n'inventent que la roue.
Mes recherches dans toutes les traditions m'ont démontré que la voie est vraiment complexe, à tous les niveaux. Si l'on regarde tout l'édifice du bouddhisme (tibétain et Canon Pâli), c'est quand même clair. Mais le christianisme n'est pas en reste, à sa façon, il suffit de lire Saint Jean de la Croix ou la Philocalie. Ce qu'on voit également, c'est qu'à une époque les saints étaient nombreux, et s'aidaient entre eux. Aujourd'hui, nous n'avons plus de telles aides. Et les gens s'imaginent que les énergies qui leur tombent du ciel vont faire le boulot toutes seules. Mais si c'était le cas, pourquoi les Traditions auraient-elles donné naissance à des corpus si complexes s'adressant précisément à ceux sur qui l'énergie tombe (parce que les autres ne sont même pas considérés) ? Ils ont des outils extraordinaires, comme les yidams (qui permettent de modifier la base d'imputation du moi), ou encore tout le mécanisme décrit par Kelsang Gyatso dans Comprendre l'esprit. On ne peut pas balayer ça du revers de la main et bien s'en porter. C'est comme de vouloir construire une maison à sa façon, sans tenir compte de rien d'autre que sa propre imagination. Bonjour les fondations et le reste. Mais évidemment, ceux qui font cela prennent soin de ne pas aller voir les maisons des autres, en sorte qu'ils peuvent toujours se persuader que la leur est un palais.
Les nouveaux mouvements se font une spécialité de cela. Par exemple, je repense aux pèlerins d'Arès, et au fondateur. Il faut aimer tous les hommes et leur pardonner. Bon. Comme si l'amour et le pardon, on pouvait savoir ce que c'est, comme ça, parce qu'on l'a décidé. Mais franchement, si les gens savent ce qu'est l'amour, pourquoi chauffent-ils leur maison ? Parce qu'il y a une certitude, c'est que si on trouve réellement le point du coeur d'où rayonne l'amour, on n'a plus besoin de chauffage. Tout le reste, c'est pipeau.
Quant au pardon, Maria Valtorta disait que c'est simplement de pouvoir oublier. Mais physiquement, pas mentalement. Et alors, comment vous savez qu'il n'y a plus de traces d'un événement dans le corps ? Déjà il faudrait être conscient de son corps.
Et puis, pas de théologie, qu'est-ce que ça veut dire ? Que chacun est laissé tranquillement avec son image de papa et maman. Considérer que les gens sont omniscients, c'est ennuyeux quand même...
En tous cas, il y a une chose que je constate, c'est que plus les gens avancent en âge, plus il leur devient difficile de changer de paradigme. Ce qui signifie qu'il leur devient difficile de trouver leurs propres voiles, parce qu'avec un seul paradigme, on n'y arrive pas. Il faudrait avoir mille fois plus d'énergie, comme c'était le cas autrefois pour ceux qui se trouvaient dans des lignées. Cette énergie garantissait que tout le karma allait être brûlé. En fait c'était le maître qui s'en chargeait. Mais si c'est nous qui devons nous en charger ?
Franchement, on n'a pas idée de ce qu'il faut faire pour se renouveler, c'est-à-dire pour rester "jeune". C'est un boulot à plein temps, comme champion du monde d'Echecs. Sinon, y a pas de miracle, on devient vieux. Les canaux d'un être humain deviennent terriblement rigides, beaucoup plus vite que ce qu'on croit. Tous les jours, il faut les assouplir, et ça ne se fait pas en faisant du yoga. Ça se fait en intégrant des choses nouvelles, mais surtout des structures nouvelles. Et c'est tellement difficile à 20 ou 30 ans que je ne vois pas comment on peut commencer à 50 si on n'en a pas fait une habitude. C'est plus difficile, à mon sens, que de se faire exploser un voile par une thérapie. Le voile, ça fait mal. Mais le changement de structure... c'est beaucoup plus douloureux, parce que c'est un pan crucial de notre structure psychologique qui se retrouve par terre. On était chrétien, on se croyait sauvé, et tout à coup en devenant bouddhiste on apprend que tout ça c'est un rêve ? Ou alors on était bouddhiste, on croyait se sauver par ses propres efforts, et tout à coup on apprend qu'on va finir en enfer parce qu'on ne s'est pas adressé à Dieu ? Evidemment, toutes ces conceptions sont fausses, des gens comme Henri le Seaux, Thomas Merton, Louis Massignon, sont passés au-dessus. Mais du coup, ils ont négligé les bienfaits qu'on pouvait en tirer, ou qu'on pouvait tirer de la crèmerie d'en face.
Ce qui est vraiment intéressant, c'est d'y croire vraiment, il y a un effet énergétique réel. Du coup, on comprend que le christianisme, ça n'est pas juste des dogmes idiots. Par exemple, Michel Potay, avec son nouvel Evangile, a déclaré que cette soupe n'était pas bonne. Mais il n'y a jamais goûté en premier lieu, car il n'y a jamais vraiment cru. Il ne peut pas savoir la richesse des autres et la pauvreté du sien. Forcément, puisque toute terre pure, et donc toute religion, est riche des saints qui l'habitent. Dans la sienne, il manque encore le premier saint, qui d'ailleurs n'arrivera jamais puisque ça n'est pas censé exister.
Si on y croit vraiment, ça attaque un paquet de murs, on pleure sur ses péchés, on se voit en train d'offenser Dieu toute la journée, on comprend qu'il y a des saints qui n'ont rien à voir avec nous... Une fois qu'on a testé cette manière de vivre, si on va dans l'épicerie d'à côté, on a un moment de grave désorientation, mais ensuite ça attaque d'autres murs. J'étais au paradis, et voilà qu'il disparaît, que tout ça n'était qu'un rêve fumeux... quelle perte... Et puis changeons encore une fois. L'islam. Je croyais faire ma pratique dans un coin, mais me voilà partie d'un autre système social, où on fait sa prière serré comme des sardines, où il y a des obligations de ceci de cela toute la journée, des "usages" codifiant la bienséance spirituelle, où on se voit, de nouveau, en train d'offenser Dieu toute la journée, mais d'une manière complètement différente... Non vraiment, il faut être passé par là par savoir ce que ça change dans une personnalité.
Pendant un temps, on devient vraiment schizo. On loge 3, 4 ou 5 personnalités dans un même corps. Mais un jour, on perçoit la base commune de tout ça. Mais pas à la façon d'un Ken Wilber qui a jeté tous les particularismes et rien compris. Il n s'agit en aucun cas d'un meta-système. Si les systèmes sont comme des planètes diverses, le vaisseau spatial qui permet de se rendre sur l'une ou l'autre n'est pas vraiment un système. Je pense que c'est une assez bonne façon d'attaquer le fameux "ego spirituel". Parce que l'ego spirituel, c'est en quelque sorte la personnalité que nous adoptons sur telle planète pour nous mêler aux habitants. Nous finissons par y croire, et par croire à l'image qu'ils nous renvoient. Mais si c'est un costume, et qu'on en a 15 ou 20 ? Même si toute la paroisse nous disait que nous sommes un saint, nous savons parfaitement que sur la planète d'à côté, cela n'a strictement aucune valeur. On ne peut aller se vanter à personne. Vingt ans de zazen, ça a de la valeur chez les zénistes. Chez les chrétiens, ça serait plutôt un motif de pitié. Deshimaru en visite chez les cisterciens faisait vraiment figure de martien.
Plus rien n'a de valeur en dehors de ce qu'il nous apporte, mais à ce sujet on devient de plus en plus minimaliste... Quelque part, nous ne sommes qu'un récipient des lumières divines, et à force de toutes les essayer, on finit par ne plus trop savoir à quoi ressemble le récipient, qui à chaque fois prend une nouvelle forme.
Mais il y a toujours l'obligation d'évoluer. C'est la chose la plus importante, au final.