But de la vie humaine
Je suis de plus en plus stupéfait du résultat de mes investigations. On pourrait résumer les choses en disant que finalement, la vie humaine est faite dans un unique but (du point de vue de Dieu, mais on peut l'appeler comme on voudra), consistant à engendrer une certaine substance qui, si on la dote d'une structure et raffinement suffisants, deviendra le "corps de gloire". Une substance qui ne subira pas de dissolution après la mort, mais qui si elle atteint une forme assez évoluée, est au contraire susceptible de continuer son évolution sans besoin de se réincarner. Mais passons sur les étapes avancées. Ce qui m'intéresse, c'est le matériau de base, la substance elle-même.
A ma grande consternation, je constate qu'elle n'a pas de nom. Il n'existe pas de mot pour la désigner, dans aucune tradition. Un peu comme si on expliquait aux gens qu'il faut construire des maisons (la maison finie étant l'équivalent de la sainteté ou de la réalisation complète), sans jamais nommer l'élément de base, la brique. En sorte que les gens s'imaginent que les maisons pourraient surgir un peu de n'importe où, n'importe comment. Il en découle que personne ne sait qu'elle existe, que personne ne sait que c'est cela qu'il faut engendrer, qu'il est impossible d'en parler. Car il ne s'agit pas de quelque chose de simple, comme une orange ou une banane.
Cet élément est obtenu au terme d'une certaine alchimie, on ne le possède pas spontanément, sauf si on le tient d'une vie antérieure, ce qui est assez rare. Certains artistes parviennent manifestement à en produire un peu, quoique d'un ordre assez grossier. Certains religieux également, en plus grande quantité et meilleure qualité, mais sans que le "comment" soit très clair dans leur esprit. Il faut pratiquer l'oraison. Oui, bon, dit comme ça, on ne voit pas bien le rapport avec le pianiste. Bref, ce que je veux dire, c'est que cette substance est si peu répandue, et son mode de production si peu connu, que si on en parle, même à ceux qui en ont, on passe pour un fou, du fait qu'il n'existe aucun mot pour la désigner. S'il existait un mot, on pourrait dire "eh bien, mais je parle de ceci, allez donc relire vos classiques, tout y est expliqué". Mais non seulement le mot n'existe pas, mais le mode de production n'est pas non plus expliqué.
Même chez Kelsang Gyatso, on n'a que des pistes, mais certainement pas une explication finalisée. Dans la littérature alchimique, on a possiblement une explication, mais tellement obscure que personne n'y comprend rien. Dans l'alchimie taoïste, eh bien personne en réalité ne comprend plus rien non plus, il suffit de lire ce que disent les vrais spécialistes se refusant à toute vulgarisation (et là on voit que Mantak Chia ne s'appuie que sur sa propre imagination).
Pour le reste, bon, j'ai beau avoir lu des centaines de livres chrétiens, bouddhistes, hindous... le terme n'existe pas, j'en ai la quasi-certitude. A partir de quoi personne ne risque d'expliquer le mode de production d'une substance pour laquelle il n'existe aucun mot. Donc voilà où nous en sommes. Le but de la vie humaine est un objet caché non seulement par la difficulté inhérente au processus impliqué, mais aussi par le fait qu'il n'est jamais désigné. En sorte que n'importe qui peut expliquer n'importe quoi, ça tombera toujours à côté, sauf si on a une solide vocation à la sainteté. Aimer Dieu, bof, cela ne désigne pas véritablement un processus, juste une vertueuse intention. Méditer... vu que souvent c'est la méditation sans objet qui nous est proposée, on est sûr de rater le coche, car on a besoin d'objets pour engendrer la substance. Méditer avec objet, très bien, mais vu les objets proposés, là aussi on va le rater, parce qu'on a besoin de "feu". En fait, si on examine tout ce qui est enseigné aujourd'hui partout, on ne retrouve jamais le processus correct, ni rien qui puisse l'engendrer sauf par accident.
Le stade de génération des tibétains est évidemment ce qui se rapproche le plus de la chose correcte, pour autant qu'on ait le rapport adéquat au yidam, et qu'on sache ce qu'il convient de visualiser, ce que cela représente en réalité. L'oraison expliquée par Sainte Thérèse d'Avila se situe au même niveau, à mon sens. Mais tout cela reste suffisamment obscur pour que ça rate chez la plupart des gens. Il y a quand même un processus de visualisation très précis qui est impliqué, et comme c'est fatigant, personne ne veut se donner la peine.
Alors que bon, finalement, une fois qu'on a vraiment identifié ce qu'il faut faire, ça peut se faire n'importe où, n'importe quand. Les bouddhistes parlent d'intégrer les activités dans l'état naturel, on n'a jamais inventé de terme plus vague pour désigner une action aussi précise. Pour ne pas dire faux. Chacun conviendra que "rester dans l'état naturel tout en marchant, parlant etc..." n'évoque pas du tout le même genre d'activité que "produire une substance". Comment s'étonner que tout le monde se trompe ensuite ?
Saint Bonnet, tiens, je vais l'égratigner au passage. Ses explications sont risibles : "il existe en nous une corde qu'il faut apprendre à faire vibrer". Allons bon, il avait peut-être l'esprit clair, mais pas sur ce sujet. Non, il y a un corps à construire. Avec une structure, des canaux. Je parle de la première étape, les suivantes je ne les connais pas. Alors voilà, arrivé au terme de cet article mirifique, je n'ai toujours par de mot pour désigner son objet. Le Schtroumpf ? Le Schmoll ? La Chose ? Ce n'est ni de la matière ni de l'esprit, la chose n'est ni liquide ni solide ni gazeuse... elle ne correspond à aucune des catégories de l'esprit ordinaire, et ses fonctions ne sont pas non plus celles de l'esprit ordinaire. Bref.