Fin d'un mariage
Je viens de retrouver cette sympathique petite page, écrite par un des personnages de ma saison 9, et qui finalement est assez drôle.
"Lorsque je suis passé dans ma chambre cet après-midi, j'ai eu la surprise d'y trouver Dame Armina, en train de remplir deux grandes valises qu'elle avait étalées sur mon lit. Elle a sursauté en me voyant arriver, avant de reprendre contenance.
- Que fais-tu ?
- Je m'en vais.
Je n'ai pas voulu comprendre tout de suite.
- En vacances ?
- Non, je te quitte.
Sa façon détachée de me jeter ces quelques mots sans prendre la peine de m'expliquer la moindre de ses raisons m'a fait brusquement réaliser qu'elle n'avait plus guère d'estime pour moi. Elle avait beau prétendre m'admirer pour mes nombreuses qualités, elle n'imaginait finalement pas que je fusse un interlocuteur valable, sinon elle m'aurait parlé avant de prendre sa décision. Je ne valais pas mieux qu'un chien qu'on dépose sur un chemin pour s'en débarrasser au moment de partir en vacances. Saisi d'un soudain vertige, j'ai été contraint de m'asseoir pour éviter tout risque de chute. J'avais la nausée, et j'éprouvais une sensation de faiblesse généralisée qui me coupait tous mes moyens. Affalé dans le fauteuil, sans force, je contemplais la faillite de mon mariage tandis qu'elle s'affairait à empiler sa lingerie et à ranger ses bijoux dans les boîtes appropriés. Parmi eux se trouvait notamment un collier d'un grand prix dont je me suis demandé si je devais le lui laisser. J'imaginais déjà la vente aux enchères :"Magnifique collier en diamants, cadeau du Gouverneur Général à sa femme".
- Les bijoux, tu les laisses ici.
Elle ma considéré avec un étonnement feint.
- Quelle sorte d'individu reprend ses cadeaux ?
- Tu serais surprise.
En un sens, elle me renvoyait le mépris que notre peuple affiche pour les humains, et que je ne partage qu'à moitié. Je ne méprise pas les humains en tant que ce qu'ils sont, seulement la bêtise, dont il faut reconnaître que les humains sont particulièrement bien pourvus. En même temps, je nourris une profonde estime envers les artistes, les grands écrivains, tout ceux qui par leurs efforts et leur générosité ramènent sur terre quelque chose des splendeurs du ciel. Mais à l'inverse, j'étais en train de prendre conscience d'un fait absolument terrifiant : à savoir que les humains nous méprisent sans doute bien davantage que nous les méprisons. A commencer par Armina, que j'avais sous les yeux.
Jamais au grand jamais je ne lui aurais fait l'insulte de la quitter sans lui en exposer mes raisons. Ce silence hautain dont elle faisait montre à mon égard, c'est la façon dont je traite les femmes de ménage indélicates. Mais c'est rare. Je respecte trop l'intelligence pour ne pas lui rendre les égards qui lui sont dûs, même là où elle se trouve en quantité trop infime pour être observable. Et Armina n'est pas un cas de quantité minimale. Bien que je m'estime très supérieur à elle sous ce rapport - et pourquoi devrais-je ignorer les rapports quantitatifs existant dans la nature ? -, je l'estime grandement, et je la considère comme une personne à part entière. Si je n'ai pas toujours respecté ses sentiments, ce n'était pas par mépris, c'était soit par nécessité, soit parce que j'étais incapable de faire autrement. Je sais que je l'ai fait souffrir, mais je n'ai pas non plus l'impression d'avoir été un époux insupportable. Je crois même que j'ai fait de grands efforts pour qu'elle ne se sente pas menacée par ma position sociale, qui de fait est menaçante. A partir du moment où je l'ai demandée en mariage, je l'ai considérée comme une égale, et jamais je ne lui ai laissé entendre que sa vie ou sa sécurité pourraient être en danger, y compris lorsqu'elle m'a trompé avec Daniel. Quel monarque peut en dire autant ?
Mais tous ces égards n'ont pas suffi, et je me demande au fond s'ils ne sont pas la raison du mépris qu'elle me porte aujourd'hui. Je ne pensais pas qu'elle serait du genre à confondre la gentillesse et la faiblesse, mais je commence à croire que je me suis trompé.
- On dirait bien que tous les beaux discours que tu m'as servis n'avaient aucun sens finalement. Lorsque je te disais que je savais où menaient les relations avec les humains, et que tu me jurais le contraire... En même temps je me demande pourquoi je me fatigue à te parler. Personne ne reconnaît jamais ses erreurs, et si cette situation se reproduit un jour, tu continueras d'affirmer la même chose.
- Je me suis trompée, en effet" répondit-elle finalement :"Et si je ne t'ai rien dit, c'est parce que je te sais capable de m'embrouiller la tête. Je ne peux pas rester, je le sais, mais je ne peux pas te l'expliquer.
- Je ne sais pas pour qui tu me prends. Je connais tes raisons et je n'ai rien à redire. Tu as présumé de la bonté naturelle de ton entourage, ensuite de ta stabilité psychologique, enfin de ma capacité à te soutenir dans la situation difficile qui s'est créée. Je ne peux rien changer à tout cela, je n'ai donc aucun motif à essayer de te faire rester. Le problème de fond, c'est que tu ne m'aimes pas. Tu ne m'as jamais aimé.
Elle eut un rire nerveux.
- Parce que toi, tu m'as aimée ?
- Ta bêtise me consterne" fis-je en m'extirpant de mon fauteuil.
Est-ce qu'elle ne s'était jamais rendu compte des sentiments que je lui portais, ou bien prétendait-elle ne jamais s'en être rendu compte ? D'une manière ou d'une autre, c'était désolant, et je suis allé pleurer sur le toit. Je me sentais incroyablement triste de la conclusion de cette affaire. C'était comme si elle avait oublié tout ce que nous avions vécu ensemble. Comment peut-on oublier des choses pareilles, à moins de ne les avoir jamais vécues ? Je commence à croire que c'est le pouvoir qui l'a séduite malgré ses dénégations et son air de nous pas y toucher. Au fond, j'ignore de quoi elle parlait quand elle prétendait m'aimer.