Une malheureuse victime
Cette nuit j'ai rêvé que j'étais à côté d'un gars qui discutait avec un extra-terrestre. Il était d'apparence humaine mais il avait des perceptions et capacités supérieures. Le gars était en quelque sorte son apprenti. Ensuite il est parti, un autre extra-terrestre est arrivé et les deux se sont mis à parler ensemble. Là je me suis mêlé de la conversation pour demander une transmission, mais je me suis réveillé à ce moment. Une fois sur deux. La dernière fois c'était avec Chepa Rinpoche, je me suis brusquement aperçu que c'était un rêve et je lui ai dit "Excusez-moi de vous déranger mais c'est un rêve lucide et ça va bientôt se dissiper. Pourriez-vous me faire une transmission ?" Il a accepté sans problème. Ces temps ci je recommence à rêver souvent de lui, et ce qui est curieux, c'est qu'il ne m'aide jamais à m'apercevoir que c'est un rêve. Mais si je m'en aperçois, il donne tout ce que je demande. J'ai l'impression que ça correspond assez bien à sa façon de faire, quand il était vivant. Dans les 50% de rêves qui marchent, il y a eu aussi Ramana Maharshi, récemment. Très étrange, vu que je ne pense jamais à lui, et n'y ai jamais particulièrement pensé.
Sinon j'ai lu un autre livre de Jacques Semelin, J'arrive où je suis étranger. Il raconte les 30 années pendant lesquelles il a perdu la vue, entre l'annonce que ça allait mal finir, et le jour où effectivement il n'y voyait plus rien. Il y a une bonne partie du bouquin qui est consacrée à ses obsessions militantes de gauche et ensuite sa carrière universitaire, ses études sur la non-violence etc. Ce qui rend le bouquin très chiant quand même. A 16 ou 18 ans, il se demande ce qu'il va pouvoir faire de sa vie maintenant qu'il sait qu'il va devenir aveugle un jour. Résultat : il court il court il court. La question était posée d'une façon intéressante :"Comment vais-je servir l'humain ?". Encore un qui veut servir l'humain sans connaître le divin. C'est vrai que quand on n'est pas trop bête, il est facile de brasser toutes sortes d'idées et d'écrire des livres fumeux. Bien plus facile que de comprendre pourquoi on est réellement venu sur terre, et de faire quelque chose à ce sujet. En fait, tous ces universitaires (chercheurs au CNRS etc) sont complètement idiots du point de vue de l'intelligence éveillée. Et je ne dis pas ça par jalousie, il se trouve que moi aussi j'étais doué pour les études, j'ai failli entrer à Normale Sup en ne foutant franchement pas grand-chose. Je suis fabriqué à la base comme tous ces intellos qui peuvent manipuler toutes sortes d'idées complexes et dénuées de sens dans leur cerveau. Et avec un peu de méditation par là-dessus (mais pas trop non plus), j'aurais pu écrire des choses carrément brillantes. En effet, j'ai lu des copies de premiers de la classe, notamment un gars qui a été 2è à Normale Sup, la différence entre lui et moi, c'est qu'il était créatif à cette époque, et pas moi. Mais je le suis devenu entretemps. Quand on a une sphère intellectuelle, il est bien plus difficile d'être créatif spirituellement (un modèle serait Maurice Zündel par exemple) qu'intellectuellement (des gens comme Lévinas, Sartre etc).
Pourquoi racontai-je tout cela ? Ces intellectuels se croient le sel de la terre alors qu'ils ne sont rien du tout. Ils se pensent au pinacle de l'humanité, alors qu'ils ne sont pas encore humains. Semelin raconte sa visute à Auschwitz. Qu'est-ce qu'il en tire ? "Qu'avais-je donc à me plaindre de mon sort, en comparaison de ce qu'avaient vécu ces malheureux, ces innocents, dépouillés de tout avant d'être conduits en masse vers la chambre à gaz ? D'accord : je pouvais aussi me considérer comme Innocent du mal qui m'avait silencieusement attaqué dès ma naissance. Mais moi, je n'avais été ni battu, ni torturé, ni tatoué, ni tondu, ni affamé, ni gazé, ni brûlé. Oui, en comparaison, ma propre condition m'est apparue bien légère. Ma visite à Auschwitz eut un effet inattendu : elle contribua fortement à modifier le regard que je portais et que je porte encore... sur moi. J'y ai perçu des raisons non plus de me plaindre mais de me battre. Oui, je suis revenu d'Auschwitz avec une énergie renouvelée, avec la volonté farouche de défier le sort qui m'était promis".
Nous sommes loin de Lusseyran qui remercie le Seigneur non seulement de sa cécité mais de son séjour à Büchenwald.
"Parfois même je parlerai de la déportation d'une manière scandaleuse pour quelques-uns, je veux dire paradoxale, je dirai à quoi elle fut bonne, je montrerai quelles richesses elle contenait.
Si je reviens à elle souvent, c'est qu'elle est, juste à l'entrée de ma vie, un grenier comble de peines et de joies, de questions et de réponses. (...)
J'ai connu là-bas des hommes qui sont morts parce qu'on les a tués. Pour eux, il n'y a que la prière. Mais j'en ai connu beaucoup aussi qui sont morts, très vite, comme des mouches, simplement parce qu'ils s'étaient crus en enfer. Simplement, oui. C'était alors que Jérémie prenait la parole.
Il fallait un homme aussi simple, aussi clair, aussi parvenu au fond de la réalité que lui pour voir le feu et au-delà du feu. Il fallait plus que l'espérance.
Il fallait voir.
Le bonhomme Jérémie voyait. Il avait un spectacle dans les yeux, mais ce n'était pas celui que nous avions, nous. Ce n'était pas notre Buchenwald, celui des victimes. Ce n'était pas un bagne, c'est-à-dire un lieu de faim, de coups, de mort, de protestation, où d'autres hommes, les méchants, avaient commis le crime de nous mettre. Pour lui, il n'y avait pas nous, les innocents, et l'Autre, le grand autre anonyme à la voix de tenaille et de fouet, le « salaud ».(...)
Jérémie n'était pas déçu, pourquoi aurait-il rêvé ? Quand nous le voyions venir avec toute sa monstrueuse sérénité, nous avions envie de crier: « Ferme les yeux! Ce qu'on voit ici brûle!» Mais le cri nous restait dans la gorge parce que, de toute évidence, il avait les yeux solidement posés sur toutes nos misères et ne cillait pas. Bien plus, il n'avait pas l'air d'un homme qui prend sur lui, d'un héros. Il n'avait pas peur, et, cela, aussi naturellement que, nous, nous avions peur.
«Pour qui sait voir, c'est comme d'habitude », disait-il. D'abord, je ne comprenais pas. J'éprouvais même un sentiment tout proche de l'indignation. Quoi! Buchenwald semblable à la vie! Impossible. Tous ces hommes affolés, hideux, cette menace hurlante de la mort, ces ennemis partout, chez les SS, chez les détenus eux-mêmes, ce morceau de colline dressé contre le ciel, hérissé de fumées, avec ses sept cercles, là-bas au travers des forêts, de barbelés électriques, tout cela comme d'habitude! Je me souviens que je ne le voulais pas. Ce devait être pire, ou bien alors plus beau. Jusqu'à ce qu'enfin Jérémie me fit voir.
Ce ne fut pas une révélation, une découverte fulgurante de la vérité. Je ne pense pas même qu'il y ait eu paroles échangées. Mais un jour il est devenu évident, sensible dans ma chair, que Jérémie, ce forgeron, m'avait prêté ses yeux, à long terme.
Avec ces yeux-là, je voyais que Buchenwald n'était pas unique ni même l'un des lieux privilégiés de la plus grande douleur des hommes. Je voyais aussi que notre camp n'était pas en Allemagne, comme nous le croyions, au coeur de la Thuringe, dominant la plaine d'Iéna, en cet endroit précis et non pas en un autre. Jérémie m'apprenait, avec ses yeux, que Buchenwald était en chacun de nous, cuit et recuit, entretenu sans cesse, affreusement aimé. Et que, par conséquent, nous pourrions le supprimer, si nous le désirions avec assez de force.
« Comme d'habitude », Jérémie s'en expliquait parfois. Il avait toujours vu les hommes dans la peur et dans la plus invincible de toutes : celle qui n'a pas d'objet. Il les avait vus désirer secrètement et par-dessus tout une chose : se faire du mal à eux-mêmes. C'était toujours, c'était ici le même spectacle. Simplement, les conditions étaient enfin toutes remplies. La guerre, le nazisme, les folies politiques et nationales avaient fait un chef-d'oeuvre, une maladie et misère parfaites : un camp de concentration.
Pour nous, bien sûr, c'était la première fois. Jérémie n'en voulait pas de notre surprise. Il disait qu'elle n'était pas honnête et qu'elle nous faisait du mal.
Il disait que dans la vie ordinaire, avec de bons yeux, nous aurions vu les mêmes horreurs. Il nous arrivait autrefois d'être heureux. Eh bien! Les nazis nous avaient donné un terrible microscope: le camp. Ce n'était pas une raison pour cesser de vivre".
Voilà, les mêmes horreurs. C'est exactement ce que je vois tout le temps. Pour moi, Auschwitz, c'est juste l'expression de ce que je vois au fond de tout le monde, moi-même y compris, puisque le karma est la chose la mieux partagée au monde. Si j'allais dans un endroit pareil, cela me ferait réfléchir sur moi-même et sur le fait que, mauvaises circonstances aidant, j'aurais pu me retrouver du mauvais côté. Qu'est-ce qui m'en aurait retenu ? Peut-être quelque chose, peut être rien.
Je ne comprends pas "l'anéantissement" moral de Semelin devant ce spectacle. Est-ce qu'il n'aurait pas pu aller dans une ferme du Sud-Ouest pour voir comment on fabrique du foie gras ? S'il ne perçoit pas la haine du chasseur pour l'animal qu'il tue, c'est grave. Ça veut dire qu'il a la même, et qu'il ferme les yeux dessus, comme il a réussi à fermer les yeux sur sa "maladie" pendant 20 ans, ou 30 ans. et il continue, d'ailleurs. Pour lui, c'est une "saloperie" qui l'attaque. Il est innocent. Sera-t-on étonné de ce qu'il rapporte de sa condition ?
"Désormais, je vous écris depuis les murs invisibles de ma prison. Me voici en effet confiné dans une sorte de cellule aux parois opaques qui m'enveloppent de toutes parts, où que je pose mon regard. Cette prison est certes spéciale : point besoin de gardien, puisque ses murs me suivent jour et nuit. Je les porte avec moi, comme une épaisse enveloppe. Pas moyen de m'en échapper : où que je sois, ils me collent à la peau, comme la coquille sur le dos d'un escargot. Comme si l'on m'y avait enfoui la tête, me permettant d'entrevoir encore un faible halo de lumière. Le comble est que je suis seul à en percevoir les parois invisibles... en ne voyant pas.
Imaginez par exemple que vous me remarquiez, attablé à la terrasse d'un café, en grande conversation avec un ami. La scène vous semblera on ne peut plus banale..tu premier abord, vous n'observerez rien de mon état. Entre lui et moi, sachez pourtant que se dresse de mon côté une muraille imperceptible aux yeux du passant. Quelle surprenante constatation, à bien y réfléchir ! Vous qui nous regardez, tout autant que mon ami et moi-même, nous faisons bien partie du même monde, n'est-ce pas ? Nous respirons le même air, profitons du même soleil. Mais moi, je sais bien qu'une barrière me sépare de mon ami, tandis que je suis tranquillement assis à quelques centimètres de lui. J'ai en effet la sensation étrange d'être ailleurs, dans un autre univers, confiné dans une bulle hermétique, de laquelle je ne peux communiquer avec lui que par la magie de la voix. Est-ce que j'exagère?
Il est vrai que je ne suis pas incarcéré, que ma situation est plus enviable que celle d'un détenu croupissant dans une cellule de Fresnes ou des Baumettes. Il est vrai aussi que je suis pleinement libre de mes mouvements ; encore que, si j'omettais de prendre ma canne, en me levant pour prendre congé de mon ami, je n'irais pas bien loin... Telle est ma condition : être à la fois libre et ligoté par la camisole de ma grisaille. Comprenez-vous ? Où que j'aille, je me sens «encapsulé» dans mon brouillard, «encellulé» à jamais derrière les barreaux de mes yeux. Et il n'y a même pas de lucarne par laquelle je pourrais savoir la couleur du ciel".
En bref, il est victime de l'horrible destin.
La réalité c'est qu'il est enfermé dans son corps, et plus encore dans sa tête. La disparition de ses yeux rendent la chose évidente, rien de plus. Avec ses yeux, il serait semblablement enfermé. Il en souffrirait moins. Mais on voit que d'une manière ou d'une autre, il n'est pas question qu'ils s'estime responsable de sa misère. Et c'est des gens comme ça qui veulent révolutionner le monde, l'améliorer. On touche le fond.