Les vieux
Avec un ami, nous parlions des petits vieux, qui voient disparaître leur vital, et qui n'ont rien pour le remplacer. Rien d'une valeur équivalente, sans même parler d'une valeur supérieure. Peut-être qu'autrefois, on trouvait la valeur équivalente dans une certaine reconnaissance sociale, l'ancien du village était consulté et écouté, l'expérience des vieux leur valait le respect des autres. A raison sans doute. Mais aujourd'hui, au fait, quelle est l'expérience des vieux ? Que savent-ils de plus que les jeunes ? A part qu'on n'est pas immortel et qu'un jour on devient vieux, ce dont les jeunes ne se doutent absolument pas. Bon, à part ça, ils ne savent à peu près rien d'utile, puisque dans notre société par définition on n'apprend rien d'utile. Qui soit très durable. Bon, il y a un siècle ou deux, les savoirs concernant le plan matériel pouvaient durer quelque temps. Quand le vieux avait l'expérience de la charrue ou de la panification, ou de la maçonnerie, il pouvait l'apprendre aux jeunes. Aujourd'hui, quel savoir a de la valeur alors que tout change à toute vitesse ? Si on veut vous expliquer comment on faisait le pain il y a 30 ans ça ne sert à rien vu qu'on ne trouvera plus les ingrédients. Tout change. La construction, l'agriculture, la psychologie, le sport, la médecine... sans parler de l'informatique. Il y a 30 ans, les ordinateurs qui avaient un disque dur de 500Go coûtaient une fortune. Si un vieux vous voit courir et vient vous donner des conseils sur la course datant de son époque, vous allez lui rire au nez. Qu'est-ce que Poulidor pourrait apprendre aux cyclistes d'aujourd'hui ? Dans 30 ans, il y a fort à parier que tout ce qu'on croit savoir aujourd'hui ne vaudra plus rien dans quasiment tous les domaines.
Le seul savoir qui vaut réellement quelque chose n'est absolument pas reconnu. C'est celui qui permet de développer peu à peu quelque chose de supérieur au vital. On croit que ce savoir, qui autrefois était réservé à des castes et des lignées très particulières, est maintenant disponible au grand public. Il n'en est rien. Rien n'est sorti des monastères et des ermitages en réalité. La preuve, si les jeunes dans les groupes spirituels sont très auto-satisfaits et convaincus de progresser comme des fusées, les vieux ont l'air carrément défaits. Les mêmes qui étaient tout pimpants il y a 30 ans. Certes, là aussi il y a eu du changement. Le bouddhisme d'aujourd'hui n'est plus celui d'il y a 30 ans. Il y a 30 ans, on lisait les livres de Trungpa avec une sorte de révérence sacrée, on était à la merci du traducteur quand le lama ne parlait que le tibétain. Aujourd'hui, on apprend le tibétain, on connaît toutes sortes de choses auxquelles n'avaient pas accès, les rushen, les tsalungs, les trulkors et que sais-je encore. Dans les détails. Est-ce que ça a changé quoi que ce soit ? Non. Les jeunes d'aujourd'hui peuvent croire qu'avec toutes ces connaissances ils ne finiront pas comme les vieux, mais bien que ces connaissances soient absolument nécessaires, elles ne sont rien sans l'énergie spirituelle. Que les maîtres se gardent soigneusement. Et ceux qui ne se la gardent pas vont se garder l'autre versant, les connaissances. Ou peut-être pas. Car maintenant il y a un troisième versant, ce sont les connaissances adaptées aux êtres dégénérés de notre temps, dont je fais bien évidemment partie. Celles-là n'ont même pas commencé à se développer. L'échelle de la connaissance/transmission spirituelle fait toujours la même longueur, sauf que maintenant nous sommes cent mètres au dessous du niveau de la mer. Il y en a qui essaient de traduire les enseignements du Bouddha en termes modernes. C'est pitoyable. Le Grand Omniscient est devenu le Grand Gars Ordinaire.
Bref. Donc les vieux. Franchement leur sort est terrible. Et quand on voit la rigidité des jeunes, on sait ce qui les attend.