Mon colocataire m’a récemment écrit une chose curieuse :” ça paraît quand même assez compliqué et usant de "ne pas aimer" quelqu'un et demande trop d'efforts je suis trop paresseux “. Mais j’imagine qu’il parlait de “ne pas aimer consciemment”, parce que détester inconsciemment, c’est la nature humaine, ni plus ni moins. “Ne rien penser”, “ne pas faire d’effort”, c’est la même chose que détester inconsciemment, de facto. C’est ce que fait tout le monde. Evidemment, cela va totalement à l’encontre de ce qu’on nous a appris, à savoir que les gens sont gentils, qu’ils font de leur mieux etc. Mais je me demande au final d’où sort cette légende urbaine de la gentillesse des humains. Il suffit de regarder l’Histoire pour voir que c’est un mythe. Petit exemple :
Il faudrait être bien naïf pour penser que la nature humaine a changé depuis. Le problème, c’est que les gens lisent soit de la philosophie, soit de la spiritualité, soit du roman. Quant aux séries télé qu’ils regardent, ces séries ne sont pas vraiment un reflet de la réalité. Le seul reflet de la réalité à peu près fiable, ce sont les témoignages d’époque, les (auto)biographies. Je n’ai jamais appris tant de choses qu’en lisant des biographies. Mais il faut du temps pour que ça rentre. En effet, notre conception de la réalité est tellement distordue qu’il nous faut quelques milliers d’exemples pour la modifier. Autrefois, quand je voyais la bêtise dans les sanghas, je me disais “oui mais c’est cette sangha-là, pas les autres. Et puis après je me disais “Oui, mais c’est cette religion-là, les autres sont différentes”. Mais en fait, non. Et puis après encore, je me disais “Deshimaru n’a rien fait de bon, mais c’est la France, on est idiots. Au Japon c’est mieux”. Malheureusement je viens de lire le Journal d’une Maître zen qui a étudié dans le plus grand monastère du Japon, c’est pire qu’ici. Il semble qu’il n’y ait que très peu de personnes correctes dans tout la monastère. Les autres sont des fous furieux, alors même qu’ils ont eu toutes les transmissions etc. Ils ont “compris” le bouddhisme, mais l’idée ne leur vient pas que ça se met en pratique. On n’arrête pas de nous répéter que le monde est le miroir de nous-mêmes. C’est vrai quand on est fou. C’est faux quand on est une personne correcte. Cette pauvre fille est vraiment une personne d’exception, et que récolte-t-elle ? Sa situation est bien pire que celle des autres, parce que tout le monde est jaloux. Ils réussissent même à faire douter le Maître à son sujet. Ou du moins le Maître doit faire semblant de douter pour garder sa crédibilité, du coup il l’envoie à un saint incontestable, afin de faire confirmer le fait qu’il ne s’est pas trompé en lui donnant la transmission, et le droit d’enseigner. Il dit que les gens se plieront à l’opinion du saint. Mais en fait, quand le saint confirme que la fille mérite sa position, ils déclarent que le saint est devenu “inutile”. Tout est comme ça, il n’y a aucune autorité que ce gens reconnaissent, ou plutôt ils ne reconnaissent que les autorités qui approuvent leur mauvais comportement. Le Maître n’est pas du tout reconnu comme Maître, en réalité. Pourquoi raconter tout cela finalement ? On se rend compte avec le récit de la nonne bouddhiste que ce qui lui arrive est très déstabilisant (pour elle). Et j’en connais d’autres qui sont déstabilisés de la même façon. Il me semble que le fait de savoir où l’on va permet de mieux appréhender la pratique et ses résultats. Comme le dit un personnage de mon roman :”Dans la vie, il n'y a qu'une seule façon d'être heureux, c'est de prier pour ses ennemis. On est généralement repayé par de la souffrance, mais c'est bien normal. Si Dieu trouve un individu capable de transmuter l'ordure en engrais, est-ce qu'il ne va pas se mettre rapidement à lui fourguer toutes les ordures du quartier ?”. Si l’on pratique avec le secret espoir qu’on va se faire plein d’amis et que les gens vont devenir sympas, on risque non seulement d’être déçu, mais de changer d’idée. Si l’on pratique avec l’idée que le monde va se liguer contre nous, on ne lui en veut pas de le faire. On sait que c’est le résultat normal de notre action. Car il y a clairement une conséquence à l’action d’améliorer les choses, et ça n’est pas du tout celle qu’on croit. Si c’est celle qu’on croit... c’est qu’on ne le fait pas vraiment, ou qu’on fait autre chose.