Un curieux tabou
Commandes du jour : The Journals of Alexander Schmemann, 1973-1983
Taking Hold: My Journey into Blindness
On My Own: The Journey Continues
La lumière dans les ténèbres
Touching the Rock: An Experience of Blindness
Bon, c’est pas tous les jours Noël.
Je crois que je vais essayer de trouver des témoignages d’expériences « inhabituelles », c’est sans doute la littérature la plus intéressante, car les gens « normaux » sont désespérément chiants. En fait, en lisant le bouquin de la bonne Soeur, il m’est venu une interrogation. Il y a des tas de gens qui étudient avec passion toutes sortes de choses, Marie-Paul Ross s’est passionnée pour la sexologie, il y en a qui se passionnent pour les bantous, les dogons, les prêtres, les prostituées, mais il y a aussi des gens qui étudient la cécité, la surdité, les handicaps divers… Je veux dire par là que tout ce qui est inhabituel passionne un certain nombre de gens, qui trouvent là des univers à explorer et un sens à leur vie. Et il me semble bien que ce qui déclenche l’intérêt, c’est l’aspect non-ordinaire. Il y a une phénoménologie du monde du sourd, une autre pour le monde des aveugles, mais on veut également savoir ce qui se passe dans la tête d’un tas d’autres gens, qui ont pour vertu principale de ne pas être Monsieur tout le monde. Quand je dis « on », j’entends qu’il y a un public, sinon tous ces livres ne seraient pas édités.
Mais alors, personne ne s’intéresse à la vraie spiritualité. Alors que finalement ça n’est pas très différent de tous ces domaines d’études, c’est juste un peu plus vaste. Sans doute faudrait-il que ceux qui veulent l’étudier commencent par se prendre pour cobayes, mais ça n’a jamais fait peur à personne : »Comment j’ai perdu 120kg » « Mes 30 jours de jeûne » ‘Mon ascension de l’Everest » « Un an sur une île déserte » « 3 ans au sommet d’un pin » « ma vie chez les chamanes »… bref, les gens n’hésitent pas à faire des trucs de dingue, même pas pour écrire un livre, mais juste parce qu’ils veulent connaître autre chose. Mais le truc le plus intéressant de tous, celui qui donnerait des récits de dingues au carré, alors là tout le monde s’en tape. Je veux dire que la modification de la perception induite par la cécité, la surdité, le handicap, les drogues, la vie sur une île déserte, tout ça est limité comparé à ce qui est possible – et raconté par les saints, sauf que ça n’est pas vraiment étudié. Les gens consacrent leur vie entière à l’exploration de petits domaines, tandis que le « grand » domaine est laissé de côté, alors qu’il n’est pas si différent. On peut faire telle ou telle pratique, et en étudier les effets objectifs et subjectifs, rien ne l’interdit finalement. Mère a raconté ses expériences dans ses Agendas, d’une manière relativement objective, mais c’est juste un début je trouve, qui manque totalement de précision en un sens. Personne n’essaie de développer une « phénoménologie de l’entraînement de l’esprit », alors qu’il y a des phénoménologies de tout. (Cela dit, rendons justice à Steve Jourdain, qui a essayé de décrire son univers, même si au final il se révèle au rang des superstitieux qui estiment qu’on ne peut rien toucher là-dedans).
Un exemple simple, marie Paul Ross s’est aperçue que les handicapés ayant perdu la sensibilité physique pouvaient néanmoins avoir une sexualité qui tient la route en misant sur les affects, l’imagination… Mais je suis prêt à parier que si je lui écris pour lui expliquer que la sexologie n’a en réalité jamais étudié les mécanismes de l’orgasme, que si elle le faisait sérieusement elle découvrirait que c’est une affaire de souffles et de canal central, ce qui veut dire qu’on peut avoir des orgasmes du nombril, du coeur, de la gorge, de la tête… qui sont d’ailleurs beaucoup plus intéressants que ceux que tout le monde connaît, et que non seulement on pourrait développer modèle pour les handicapés, mais aussi pour, les vieux, les moches et les baltringues, bref tous les insatisfaits. En leur faisant utiliser leur imagination, comme pour les handicapés. Bon ben je sais d’avance que soit elle ne répondra pas, soit elle me dira que c’est très intéressant et je n’aurai plus jamais de nouvelles. En somme c’est bien d’aider les handicapés, mais bon faut pas pousser l’expérience trop loin. C’est comme s’il y avait une sorte de tabou, finalement.