Rencontres avec le pouvoir
J’étudiais la structure du thriller et sa proximité avec d’autres types d’histoires apparemment sans rapport. On trouve par exemple une structure similaire dans Rebecca, Pretty Woman et Kingsman, qui partagent le thème général « l’habit et les manières », mais elle peut être étendue à des tas d’histoires comme Alien, Sunset Boulevard, Twelve Years a Slave, L’Aventure de Mme Muir, Dracula, Raiponce (le conte de Grimm), Les contrebandiers de Moonfleet, Le Voyage de Chihiro, etc. Dans toutes ces histoires, le héros est propulsé très rapidement en début de récit, sans grande préparation préalable, dans les pattes d’une « personne de pouvoir », qu’il s’agisse d’un puissant de ce monde, d’un esprit ou d’un Grand Méchant.
Toutes ces histoires ont une structure identique. Pour faire vite : l’identité du héros est d’abord détruite ou mise à mal lors d’une tâche considérée par le héros comme impossible ou comme répugnante ; on croit qu’à la fin de cette tâche il sera mort, de corps ou d’âme mais surprise ! il y a au contraire un répit inattendu ; par contre, ça se complique car une sorte de traître, de maître-chanteur, de pourri tente de rétablir l’état antérieur. Dans un happy-ending, il est rapidement débouté.
Ce type d’histoire peut s’interpréter comme la transmission individuelle d’un pouvoir. On montre comment la personne au contact direct d’un pouvoir commence par « fondre », comment sa vie précédente est rongée, digérée. Elle meurt pour renaître à une nouvelle vie insufflée, inséminée par le détenteur du pouvoir. Dans la société des hommes, la personne en perdant son nom, son identité mortelle, obtient un pouvoir qui, de pair avec un titre, se transmet de maître en disciple éternellement (« Mon Père », « Docteur », « Professeur », « Maître », « Votre Altesse »). En bref, « le roi est mort, vive le roi » – et peu importe la personnalité derrière, puisqu’elle n’existe plus.
Dans ces histoires de transmission, le contact entre héros et pouvoir est comme « trop rapproché », c’est une forme de cuisson à la cocotte-minute. Or il existe d’autres histoires où le héros est mis au contact direct d’un pouvoir. Mais ce pouvoir n’est pas une personne. Et le héros, au lieu d’être enfermé, séquestré, cloîtré, est au contraire comme « trop éloigné ». Par exemple dans Rencontres du 3ème type ou Les Soleils de l’île de Paques, les héros rencontrent directement la « lumière ». Personne n’est là pour leur dire quoi faire. Ils doivent entreprendre un long voyage « dans le désert » pour comprendre ce qui leur arrive. Ce type de récits, où le ressort n’est plus une digestion mais une fermentation, débouche plutôt sur une fondation. Je n’entrerai pas dans le détail. Il me semble que cette distinction est artificielle, ou du moins qu’elle ne concerne que le niveau lié à un savoir faire. En spiritualité, on constate autre chose (mais il faut avoir lu beaucoup, car la société actuelle nous a inculqué le mythe de la facilité justement). Le héros est effectivement confronté à un pouvoir (détenu par une personne), il croit que ça y est c’est bon, mais pas du tout, c’est juste le début de ses ennuis. Par exemple, Jésus lui tombe dessus. Dans le mythe moderne, ils sont mariés tout de suite. Comme dans le dernier Star Wars où à peine la fille découvre la Force qu’elle devient plus balaise que le méchant qui s’est entraîné pendant 20 ans. Et d’ailleurs c’est le discours de tous les gourous modernes, Eckhart Tolle, Byron Katie et compagnie. Un jour le truc leur est tombé dessus, et hop c’est le bonheur pour toujours. Et on trouve cela chez la plupart des chrétiens : ils découvrent Jésus, et ils sont sauvés, et maintenant ils n’ont plus qu’à annoncer la bonne nouvelle.
Quand tu lis les bios des maîtres, ça n’a rien à voir : un jour ils rencontrent leur maître, ils ont une expérience de la mort qui tue, et puis après ils en chient pendant 20 ans, 30 ans… c’est tout le contraire de ce qu’ils croyaient. De fait, le pouvoir ne digère pas la personnalité du pratiquant. Il se montre, et ensuite il se retire, et débrouille-toi. Le gars se retrouve juste avec sa bite et son couteau, il lui faut maintenant retrouver le paradis qui lui a été montré et il n’a pas la moindre idée de comment s’y prendre. Il croit savoir, mais ses certitudes sont détruites les unes après les autres. Il fait tout ce qu’on lui dit, mais ça ne marche pas. Et c’est normal, parce que le pouvoir n’a pas le pouvoir d’enlever les conceptions erronées. Par exemple, les gens désirent Dieu comme un objet, et ils ont l’impression que Dieu se donne comme un objet. Il faut qu’il se retire et qu’ils le cherchent pendant longtemps avant de réaliser que ça n’est pas un objet. D’ailleurs, beaucoup ne le réalisent jamais, et donc, ne le retrouvent jamais. J’étais un jour tombé sur un livre « Témoignages de cloîtrées », avec des témoignages de religieuses. Toutes ont eu un appel plus ou moins fort, et ensuite elles ont été laissées dans le vide, un quotidien de merde. Elles apprennent à faire avec leur quotidien de merde, mais en général, c’est tout. Le mariage à Dieu, c’est une sur mille, et encore.