Stephen Jourdain théologien
(un article de Léo)
Monsieur Jourdain faisait de la théologie sans le savoir (enfin il n’était pas si dupe…), mais à mon avis il est grand « théologien » (il parle de Dieu de façon entièrement neuve mais en conformité avec les traditions spirituelles) et puissant philosophe du XXè siècle (il éclaircit toutes les notions les plus complexes et les plus abstruses concernant l’ »esprit » et la « conscience » en se confrontant aux énigmes de la philosophie et aux mystères de l’être qu’il prend à bras le corps sans avoir peur ni fausse pudeur à aborder les choses), à la fois le plus méconnu, le plus original et plus caché.
Car il a une expérience réelle de ce dont il parle, inscrite au coeur du « sujet ». Il ne s’exprime pas par inférences ou supputations invérifiables mais à partir de ce qu’il vit et de la trame de son esprit.
Pour autant, il retrouve la précision des plus grands scolastiques d’antan et réprouvés injustement aujourd’hui, alliée à un vocabulaire très concret, humoristique et « terre à terre » qui contraste avec les sinistres productions strictement intellectuelles ou les abêtissements de masse qui prétendent amuser et divertir.
Il nous livre un « témoignage » écrit incomparable sur son expérience (sans se poser en maître ou en gourou mais en « ami »), ce qui en fait littéralement un « apôtre », car il considère que la vérité peut et doit se dire envers et contre tout mais sans prosélytisme excessif et déplacé.
En tous cas, il a noirci des milliers de pages à cet effet et a donné des précisions inédites sur l’hallucination qui opère à chaque instant dans notre esprit et qui nous fait quitter « Eden » et le royaume de l’ »irréalité pure » plus réelle que le monde déchu et fallacieux que nous percevons communément.
Cette hallucination que les bouddhistes nomment « saisie » (sans trop s’étendre sur le sujet) et sur laquelle les chrétiens passent l’éponge en la ramenant le plus souvent à un passé mythique et non à la tragédie de tout instant, il en décrit les moindres rouages et les indices pour traquer l’attentat comme son commanditaire et les amener à la lumière.
Démasqués, ils ne peuvent plus voiler la « Première personne » et le miracle de sa réitération perpétuelle qui fait le sel de « cette vie qui l’aime ».
Monsieur Jourdain aux multiples dons se fait aussi hindou sans le savoir, tout en dialoguant avec Aristote par-delà le temps en nous expliquant avec moult détails le mystère du « paf » (son fameux coup de canne au golf): le jugement existentiel ordinaire tel qu’il est entendu (je suis cela) cache et occulte la véritable relation qui unit le sujet avec ce qu’il qualifie.
Steve a « ramené » tous les phénomènes au centre de lui-même (au « sujet » vivant, « moi », « première personne », « valeur infinie », etc…) et non projeté dans une fausse extériorité le « divin », ce que les bouddhistes appellent dans leur jargon « ramener les vents dans le canal central », expérience que Ramana Maharshi entre autre a vécu à l’âge de 17 ans sous la forme d’une « mort consciente » et que les saints chrétiens connaissent en « s’oubliant » totalement et en laissant la puissance du Verbe ré-engendrer en eux un nouveau corps.
Il présente ce « mouvement qui n’en est pas un, cet événement suprême qu’il définit comme le « non-événement » par excellence comme un absolu et comme la révélation même de l’absolu qui se love au sein de l’esprit. Car la « spiritualité » est bien par définition le royaume et le domaine de l’esprit et non celui de l’impersonnelle bêtise.
Mais la plupart des chrétiens endimanchés et des êtres qui peuplent les rassemblements spirituels ont dénié au langage son pouvoir et à l’esprit ses capacités. Il est vrai qu’une carte n’est pas un territoire et qu’un trésor n’est pas sa représentation.
Pour autant, les mots ont une visée et le langage une sagesse naturelle : si les mots « Dieu » « amour » et « trésor » après lesquels chacun languit en se l’avouant plus ou moins ont un sens intuitif obvie, c’est bien qu’ils se réfèrent à des êtres qui sont ces réalités et non à des fictions ou des « êtres de raisons ».
Après chacun est libre de se mettre en marche ou non. Mais cela n’a rien a voir avec la « croyance » en ceci ou cela: c’est une question d’action orienté par la conception préalable de l’objet de la quête.
Beaucoup de chrétiens rejettent souvent Dieu dans une « sphère » paradisiaque incompréhensible qui réside par-delà notre perception sous prétexte de son incommensurabilité avec l’être fini (tout en mythifiant et en objectivant « l’incarnation » de façon fallacieuse), mais la « sphère d’or » en laquelle se révèle le mystère de la Première personne a pour limite le « bord » nos perceptions purifiées et non quelque règne ombreux dans l’ au-delà.
Pour nous être humains, il n’y a pas « d’au-delà » mais un « en-de-ça » inconnu par lequel se projettent l’ensemble des phénomènes. Il habite en, avec et par notre esprit et non « ailleurs ».
L’au-delà attire l’être humain dans les limbes, les zones des fantômes affamés et des cadavres putrescents au pays des zombis, alors que l’en-de-ça le ramène à sa vrai patrie. Il rappelle le souvenir de la trinité qui gît dans l’esprit même et qui désigne en fait la nature de cet esprit.
Les saints et des mystiques s’expriment eux-mêmes bel et bien à partir de leur intériorité retrouvée (et qu’ils ont souvent jamais perdue…) et non d’un fictif « au-delà » car ils expérimentent ce dont ils parlent et ne sont pas dans la « croyance » au sens commun.
Pour eux l’existence du « royaume » est un fait et une évidence attestée plus réelle que toutes les certitudes logiques, mentales et tous les ouï-dire.
Ils baignent dans cette eau lustrée depuis toujours et n’ont pas à l’idée qu’un être ordinaire puisse être fragmenté et se pense comme un simple « objet déchu » au milieu d’autres perdus et errant comme le radeau de la méduse, si bien que même lorsqu’ils parlent de « confession », « péché » et tutti quanti, ils opèrent en fait à partir de leur centre réel et non d’une séparation avec soi.
Lorsqu’on se situe au sein de son « intériorité » invoquer un autre pour dialoguer est facile. Lorsqu’on est atomisé et disséminé par une graphie stérile, cela revient à accroître un peu plus la désagrégation et la dispersion dans le néant.
Si on utilise une image sensible et analogique cela signifie les « êtres intériorisés » tirent à vue une série d’ élastiques vibrants à partir de leur goutte du coeur pour augmenter l’intensité de vie et tracer une sorte de courbe asymptotique s’étendant à l’infini, en ayant pris soin de libérer le potentiel de l’ »ens infinitum » (Duns Scot), le point le plus petit et le plus pauvre commun à l’être créé et incréé qui « contient » et recèle en lui l’infini.
Il gît au coeur de l’humain, petit pois capable d’engendrer un nouvel univers qui viendra ensuite se résorber dans ce « pic de pauvreté » initial, alpha et oméga de l’évolution créatrice.
« Intériorité » signifie que les deux termes de notre perception sont reliés et non plus séparés et disjoints par un intervalle, parce qu’ »entre » le sujet et l’objet est apparu un troisième terme qui s’est « adjoint » et assure une ligation nouvelle : la conception adéquate du « genre » produite qui vient mettre un terme à l’illusion que nous avons de percevoir des « objets » séparés de nous, « individus » sans relation réelle avec notre esprit et notre « Moi ».
L’illumination de Monsieur Jourdain n’était peut-être pas aussi sauvage qu’il l’imaginait. Sans le savoir il renouait et renouvelait une antique tradition.