L’interprétation des écrits mystiques
Notre erreur, c’est que nous lisons les écrits des saints conceptuellement, alors que nous devrions les lire perceptuellement. Par exemple, une sainte va écrire qu’elle est la plus misérable des créatures, plus bas que terre, indigne de tout… et puis le comble, c’est que si elle se mêle de donner des leçons, elle va nous dire que nous devrions nous considérer comme inférieurs à tous, cultiver la pauvreté, l’humilité… Nous nous disons « Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce que ça a un sens ? ». Rationnellement, ça n’a pas de sens, et puis nous voyons bien que nous ne sommes pas inférieur à notre voisin, nous pourrions essayer de nous en convaincre pendant mille ans que ça ne ferait pas bouger notre conviction d’un iota. En toute logique et objectivité, nous sommes tellement différents qu’il n’y a rien à comparer. En toute subjectivité, nous nous croyons évidemment supérieur. Donc, en réalité, ce n’est pas ce qu’elle a voulu dire. Ni le point de vue subjectif, ni le point de vue objectif ne peuvent nous aider. Alors nous essayons misérablement de cultiver l’humilité en nous disant que nous sommes des mécréants, mais nous n’en croyons pas un mot, et nous ne réussissons qu’à être des hypocrites. La vérité, c’est qu’elle a expérimenté une certaine sensation interne engendrant une certaine présence divine, absolument merveilleuse. Son confesseur exigeant qu’elle écrive ses expériences, elle a cherché comment le traduire. Si elle avait été bouddhiste, elle aurait pu dire : »J’ai expérimenté une dissolution des souffles vitaux au niveau du coeur, ce qui a produit telle sorte de claire lumière ». Mais elle ne connaît pas toutes ces choses conceptuellement, alors elle a cherché dans son pauvre cerveau et ce qu’elle a trouvé de mieux, et c’est de dire qu’elle s’est sentie plus bas que tout, ou vide de tout, d’une absolue pauvreté. Ce qui est assez juste. SI nous n’avons pas clairement la même expérience, il y aura un terrible malentendu, à partir de ses mots nous allons imaginer un fantôme d’humilité qui sera approximativement le contraire de ce qu’elle aura cherché à décrire. Le mieux que nous puissions faire, c’est de ne rien imaginer, ne rien penser par nous-mêmes. Il est possible qu’à un certain point, au bout de x pages de lectures, son esprit nous transmette quelque chose, et nous donne un petit écho de son expérience. A condition que nous soyons en totale empathie avec elle. De fait, les écrits des saints ont le pouvoir de nous transmettre quelque chose de leur expérience, mais il faut vraiment se garder d’essayer de « comprendre », sans même parler de se comparer, ou d’imiter. Nous lisons cette personne, nous l’aimons profondément et c’est là notre seul désir. L’aimer. C’est la seule récompense que nous attendons de notre lecture. A ce moment, les mots s’éclairent d’une façon totalement inattendue. L’humilité n’est plus l’humilité, l’obéissance n’est plus l’obéissance… nous apercevons des joyaux dans l’obscurité, qui ont pour nom « humilité » « obéissance », ce sont les meilleurs noms qu’on ait pu leur trouver, cela dit ça n’a rien à voir avec ce que l’on pourrait s’imaginer. C’est ainsi qu’un univers perceptuel se met en place, qui n’a strictement rien à voir avec l’univers conceptuel conventionnel. A ce moment, nous commençons à concevoir la misère des théologiens qui ont cherché à concevoir, et de tous ceux qui ont cherché à comprendre, ce qui n’a contribué qu’à les éloigner du vrai sens. Il en va de même avec tous les écrits mystiques. Et quand on se met à lire dans une tradition qu’on ne connaît pas, on se retrouve devant la redoutable tâche consistant à lire des centaines de pages sans essayer de les comprendre. Notre cerveau n’est pas tellement habitué à laisser des trous dans les histoires qu’il se raconte, c’est un bon exercice. Le plus redoutable, c’est peut-être le bouddhisme, qui prétend expliquer les choses, et qui se prétend cohérent à un niveau conventionnel. Je pense que c’est faux. Pour moi, le niveau conventionnel ne m’a fait que du tort, et c’est apparemment le cas pour d’autres. C’est ce niveau conventionnel qui fait croire aux chrétiens que le bouddhisme est une sorte de nihilisme qui ne connaît pas de dieu personnel. Leur mental construit un univers froid, qui est exactement le contraire du vrai, celui qui se révèle de façon non-conventionnelle. Au final, les Occidentaux bouddhistes sont ceux qui se sentent à l’aise dans cet univers impersonnel de vacuité d’impermanence d’agrégats et de facteurs interdépendants, tout simplement parce qu’ils ne veulent pas approcher la vie de trop près. L’enseignement de Roland Rech en est un merveilleux exemple : »Le Bouddha a vu l’étoile du matin et il s’est éveillé ». C’est sûr que c’est évocateur d’un truc bien frais et pas très chaleureux, l’étoile du matin, c’est distant, esthétique, propre sur soi. C’est Roland Rech, comme la lune qui se reflète dans la flaque d’eau. La version véhiculée parmi les Rinpoche est très différente. Le Bouddha avait une parèdre, il l’aimait d’un tel amour que tous ses souffles se sont dissous dans la roue du coeur et qu’il a vu la claire lumière d’exemple ultime, la beauté absolue, l’être absolu. Il n’était certainement pas en état de voir l’étoile du matin, puisqu’à ce moment, il était comme mort. Mort d’amour. Il en est revenu avec un un corps entièrement fait de lumière, capable de s’émaner en de multiples endroits pour le bien des êtres.