Au sujet de la consécration à Dieu, et d’autres choses
Lorsque je discute avec d’autres personnes, je constate que mon argument principal pour la pratique – ne pas perdre ceux qu’on aime et ne pas les laisser dans le samsara – laisse tout le monde de marbre. J’en déduis que les gens n’aiment personne, même s’ils sont en couple, qu’ils ont des enfants, des parents, des frères et soeurs… Si on aime vraiment quelqu’un, et qu’il y ait par exemple une maladie ou un accident qui doive tomber, on se rend compte qu’on supporterait mieux de l’avoir soi-même que de le voir chez l’autre. Ce n’est pas de l’altruisme, c’est qu’on ne supporterait pas que ça soit l’autre. Du coup, on voit très vite que si on ne sort pas cette personne du samsara, ça va être horrible.
Mais de toutes façons en ce monde, il est impossible de développer le moindre sentiment profond, que ce soit l’amour, la compassion, ou même le sentiment d’indignité ou d’échec personnel, qui sont également très utiles. L’autre jour après avoir vu la série « Ainsi soient-ils » je pensais au sentiment de consécration. Par exemple, le prêtre consacre sa vie à Dieu, mais ce n’est généralement qu’extérieur. Les gens estiment que prendre l’habit, et poser des actes extérieurs, c’est se consacrer. En tous cas, quand on voit les prêtres du coin, c’est très clair. Il n’y a aucun sentiment de consécration intérieur, et pourquoi y en aurait-il un ? Il faudrait commencer par savoir ce que c’est. Combien d’entre vous se sont dits « je vais consacrer ma vie à Dieu, même en étant laïc c’est possible ». Plus d’un, j’imagine (j’espère). Moi ça m’est arrivé très souvent. Pour autant, est-ce que c’était la vraie chose ? Non. Le décider ne change rien. Prendre un habit et me faire moine n’y aurait rien changé, parce que ça ne se passe pas à ce niveau.
Dans la saison 9 de mon roman, j’ai tenté de construire un mandala autour du héros, et j’ai échoué, parce qu’il a essayé de le faire avec des êtres humains, qui forcément ressemblent à ceux que j’ai autour de moi. Ces êtres étaient trop faibles et ils se sont effondrés, d’une certaine manière. Dans la saison 10, j’ai recommencé, mais avec des êtres plus solides, et ça a marché, en sorte que le pouvoir spirituel du héros a augmenté et qu’il peut même s’occuper d’humains, mais secondairement disons. Quoi qu’il en soit j’ai maintenant une sensation très claire de ce que ça pourrait être, quelqu’un qui vient s’agenouiller devant un dieu pour lui offrir son corps, sa parole et son esprit. C’est évidemment cette sensation interne qui est le but de la manoeuvre, et non pas d’aller couper du bois et construire des maisons. Ou célébrer des messes pour des paroissiens qui n’en ont rien à foutre de Dieu. J’ai également compris pourquoi Jéhovah. Nous sommes fabriqués de telle façon qu’il est plus facile d’éprouver le sentiment correct avec un être puissant et parfois courroucé, qu’avec un brave type. Le héros de la saison 9 était trop gentil, en quelque sorte. Celui de la saison 10 est craint par tout le monde, y compris ceux qui l’aiment passionnément et qui lui ont tout donné. C’est ainsi qu’il arrive à les désolidifier.
Quoi qu’il en soit, s’offrir à Dieu engendre un mouvement de vents internes qui est précisément celui qu’on recherche, si on peut concevoir le Dieu adéquat, et le mouvement à accomplir. Ce qui, comme je le dis, c’est naturel à personne. Maintenant les chrétiens ne veulent plus avoir peur de Dieu, ils n’accomplissent donc plus le stade de génération nécessaire, imaginer Dieu le Père, celui qui serait capable d’engendrer en eux le mouvement de consécration nécessaire. Cet être ne serait pas Dieu évidemment, de même que mon héros n’est pas Dieu. Mais c’est un dieu, sans aucun doute, et c’est précisément ce dont nous avons besoin. Celui qui a écrit la Bible était un fin psychologue. Un dieu, c’est un être qui n’a pas les mêmes besoins ou les mêmes soucis que nous. Il peut même vivre parmi nous. Mais enfin, il a des qualités en propre, il est là pour les montrer. Contrairement aux héros des autres saisons, je ne peux pas déchoir celui de la saison 10, lui enlever ses qualités et le jeter dans la mouise, parce qu’alors il perd sa raison d’être qui est d’émaner des qualités divines pour le bien des êtres. Bref, je me suis aperçu que je peux tout à fait me donner à cet être-là, même s’il n’existe pas. En tant que mélange de qualités divines, il existe forcément, puisque ces qualités existent. Et sa compassion existe aussi, et je peux parfaitement la sentir. Pour l’instant ce n’est pas un bouddha, il n’a pas fait serment de sauver tous les êtres. Juste quelques uns. Mais c’est déjà autre chose que de ne vouloir sauver personne, ou de prétendre faussement vouloir sauver tous les êtres. C’est une question de représentation interne. Ne serait-ce que pouvoir se représenter la relation entre un dieu et quelques êtres qu’il voudrait sauver réellement et qui lui vouent une dévotion immense, c’est créer un univers infiniment supérieur à ce monde pitoyable qui nous entoure. Les êtes s’offrent à lui, et lui ils s’offrent pour eux. C’est en réalité le modèle de Jésus, mais qui s’est réellement mis dans le peau des apôtres, ou dans celle de Jésus, qui a imaginé réellement leur relation ? C’est quelque chose qui dépasse absolument tout, et si on pouvait n’en concevoir que le début, peut-être qu’on se mettrait à aimer une personne d’une façon un peu plus réelle, et que la motivation de son salut nourrirait enfin notre pratique. Il ne s’agit pas de « vouloir aider les gens ». Il s’agit d’une nécessité absolue. Les grands saints comme le Père Paisios la ressentent pour le monde entier, mais dans cet affaire, il faut commencer avec une personne concrète, et on ne peut pas se mentir.
Donc le résumé de mon propos c’était de dire : il n’y a qu’en travaillant avec des êtres imaginaires qu’on peut développer des sentiments profonds, qui ensuite peuvent s’étendre à des gens qu’on connaît. Tout le reste c’est du cinéma.