Inconvénients de la vie facile
Je suis entièrement d’accord avec le fait que l’Eglise catholique (l’institution) a un problème avec la mystique, mais il y a eu jusqu’à Vatican II des clercs qui n’avaient pas de problème avec cela. Lorsque je dis que les bons directeurs de conscience couraient les rues, je me réfère aux biographies ou correspondances. En lisant la biographie d’Armelle Nicolas par exemple, j’ai été très étonné de voir qu’elle n’a eu aucune difficulté à trouver des confesseurs qui ont pu lui donner les bons conseils, des conseils que personne ne donnerait à personne à l’heure actuelle, puisqu’il s’agissait en l’occurrence de quitter une maison où elle était bien traitée pour aller trouver des patrons plus difficiles. Vous imaginez un prêtre dire aujourd’hui à quelqu’un de quitter un bon emploi pour en trouver un mauvais ? Et le sermonner s’il traîne la patte ?
Je ne comprends pas ce que vous entendez par » Le fait que des livres soient publiés ne prouvent rien ». Vous pensez que les anciennes biographie, les anciens journaux intimes, sont des faux ? Qu’il y en ait des milliers, montrant que ces gens avaient généralement le soutien de l’institution, prouve à mon sens que l’institution était double : d’un côté ce que vous dites, et d’un autre côté une assez bonne connaissance de la vie mystique. Mais ces choses n’ont jamais été discutées publiquement, et ne le seront jamais, parce que par définition elles ne sont pas faites pour le grand nombre.
De plus, il en va différemment aujourd’hui, où c’est vraiment oublié, mais c’est récent. Les prêtres n’ont plus les connaissances qu’ils avaient autrefois, et c’est malheureusement vrai aussi pour l’Orthodoxie. Mes contacts avec l’Orthodoxie n’ont pas été meilleurs qu’avec le catholicisme, même si la liturgie est différente. Mais l’impression qui en ressort est toujours la même : chacun essaie de se faire son petite nid bien agréable avec ses amis, le royaume de Dieu sur terre en quelque sorte. C’est très étriqué.
Que l’intériorité ait été redécouverte en Occident… c’est ce qu’on dit. Je ne sais pas. Il est vrai qu’il y a de bons livres qui sortent du côté de l’Orthodoxie, comme la Théologie du Père Dimitru Staniloae, mais plus on lit, plus on voit que ces choses ne sont plus d’actualité, sauf au Mont Athos et dans quelques monastères reculés. Je veux dire par là que tout le monde parle de la Prière du Coeur, on donne séminaires et conférences, mais qui la pratique véritablement ? C’est à croire que plus ces choses sont connues, moins elles sont pratiquées, et je pense qu’il y a des Pères qui ne doivent pas être si contents que ce soit répandu à tous vents. On en parle pour éviter d’avoir à le faire. Les monastères deviennent peu à peu des PME avec charges, prêts à rembourser… Je ne sais pas pour les Orthodoxes, mais les monastères catholiques vendent confiture, chocolat, et même du poulet. Ils feraient n’importe quoi.
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(Le Mont Athos) Non, je n’y suis pas allé. Je l’ai longtemps regretté, mais aujourd’hui, je sais que malgré mon admiration infinie envers les Pères (j’ai lu toute la série à l’Age d’homme, j’ai regardé aussi les vidéos existantes), je ne pourrais pas prendre la « forme » requise pour entrer dans une relation de filiation spirituelle. J’ai vu trop de choses par ailleurs, et je serais bien incapable de partager leur avis sur les autres traditions, dont on réalité ils ne connaissent rien (le Père Sophrony dit avoir été bouddhiste, mais c’est un faux bouddhisme, comme celui qui est à la mode actuellement, le vrai bouddhisme n’ayant rien à voir).
Cela dit, votre exemple du policier est très parlant. Mais je crois que dans des pays comme la Grèce ou la Russie, où l’esprit moderne n’a jamais atteint les summums qu’il a atteint ici, et où la vie a pu rester difficile par endroits, il reste quelque chose d’authentique. Notamment un respect de la famille et de l’autorité paternelle, qui à mon avis est le fondement du respect pour le Père spirituel, et pour la communauté monastique. Mais en France par exemple, beaucoup de gens en viennent à détester leurs parents, faute d’éducation correcte. Les parents actuels ne sont plus capables de faire ce qu’il faut pour leurs enfants, leur donner une éducation spirituelle, leur apprendre que rien ne nous est dû dans la vie, lorsque ceux-ci deviennent adultes ils sont dans le mal être, ils ne pensent qu’à eux parce que personne ne leur a appris à penser autrement. Alors certes, il y a maintenant l’émergence d’une certaine conscience écologique, responsabilité par rapport à l’environnement, mais sans référence à Dieu. C’est quand même un peu effrayant, parce que c’est l’émergence d’un nouveau modèle où l’homme est sans péché, il est naturellement bon etc… je ne vois pas comment ça va marcher. Je ne suis pas d’accord avec tout ce que disent les Pères, mais enfin, leur connaissance du mécanisme des « passions » est assez exacte, et je ne vois pas comment l’écologie va faire disparaître ça. En même temps l’ancien modèle semble vraiment détruit dans les pays comme la France, ces familles de la fin du XIXè ou du début du XXè, telles qu’on les voit décrites dans les biographies des Pères du Mont Athos. Ici aussi c’était comme ça. Et quand on voit le chemin parcouru depuis, de quelle façon tout cela a été systématiquement détruit par la vie confortable, la croyance que la société moderne va nous protéger de tout… Tant qu’il y aura cette vie facile, je ne vois pas comment les choses peuvent s’arranger, parce que le mal-être n’est pas une raison suffisante pour se réformer.
L’autre jour je voyais une émission américaine sur des gens qui vivent dans des régions vraiment difficiles, et on y voyait que la charité leur est naturelle, parce que sans ce souci du prochain, ils mourraient très vite, entre le froid, les ours et les loups… Ils ont besoin les uns des autres, et c’est ce qui nous manque ici. Je vis dans une banlieue confortable, régulièrement je donne des légumes de mon potager à mes voisins, mais ce n’est pas ce qui crée des relations. Ils sont riches, ils n’ont besoin de rien. Quand on n’a pas besoin des autres, on n’a pas non plus besoin de Dieu.