Complexité de la pratique
Tout le monde cherche des solutions simples, surtout en spiritualité. On estime que la pratique doit être simple, d’où la vogue de « l’état naturel » et du dzogchen. Mais avant d’être simple, la pratique commence par être très compliquée. La simplicité n’est que le résultat d’un ensemble complexe bien construit. Par exemple, pour nous, obtenir de l’eau se fait en tournant un robinet. Un lama tibétain venant enseigner le dzogchen en Occident, c’est comme un Occidental qui irait dans un coin reculé de l’Afrique expliquer aux indigènes qu’on obtient de l’eau par un simple mouvement de la main. L’indigène va donc imaginer comme une sorte de robinet, sans doute, faire le mouvement, et voir que ça ne marche pas. Nous, Occidentaux, nous sommes plus stupides que cet indigène, car nous reproduisons le mouvement à l’infini en imaginant que nous obtenons de l’eau. A aucun moment personne ne se dit qu’il manque peut-être quelque chose, un puits, une pompe, un ensemble de canalisations, un robinet, du courant électrique… enfin tout dépend de l’installation qu’on veut. Une fois que tout est là, il suffit certes de peu pour rester dans l’état naturel.
Bref. Je suis en train de « déchiffrer » un dhikr, ce qui se révèle assez complexe. L’idée est d’avoir une méthode (une installation d’eau), qui permette de se retrouver très vite dans l’état naturel, quelles que soient les circonstances. Ce qui garantit le résultat, c’est précisément que beaucoup d’éléments sont inclus. S’ils sont inclus dans la construction correcte, c’est un peu comme une maison qu’on a construit, équipée, et dans laquelle il suffit d’entrer pour trouver tout ce dont on a besoin. Il y a donc à travailler 1) la respiration 2) le mouvement 3) la visualisation, ces trois éléments étant complexes par eux-mêmes, et pouvant être affinés à l’infini d’ailleurs. En sorte qu’une fois mis ensemble, l’effet est indubitable. C’est comme un morceau de piano correctement travaillé : mieux c’est fait, plus le résultat est indubitable. Comme disait mon prof, on devrait pouvoir se lever à 4h du matin et jouer impeccablement les morceaux qu’on connaît. Si on ne peut pas, c’est qu’on n’a pas bossé correctement. Le dhikr c’est pareil, s’il est en place, il devrait produire son effet n’importe quand. Ce qui est un certain avantage, car au fond, un des problèmes de la pratique, c’est que le corps subtil s’encrasse dans certaines circonstances et qu’ensuite on n’est plus capable de faire l’effort de décrassage. Il faut aller dormir. Si on est encrassé à 2h du matin, ça va, mais si on est encrassé à 2h de l’après-midi, on perd sa journée.
Si on regarde un grand interprète et qu’on n’a pas des peaux de saucisson à la place des yeux, on peut « voir » la complexité des opérations internes et l’intensité de la concentration. C’est exactement ce qu’il faudrait obtenir par la pratique.