Le scandale de la grâce inaccessible
Ecrit sur un blog qui prétend que la grâce est accessible à tous, l’auteur a écrit 50 livres :
Après avoir lu un certain nombre de pages de votre blog, j’ai réussi à mettre le doigt sur ce qui à mon sens est inacceptable dans le discours que vous tenez, et je tiens à vous en faire part. Au fond, toute la logique que vous exposez suppose une grâce d’appel, c’est très clair quand on vous lit, et c’est très clair dans votre cas. Quelque chose vous a été donné, à partir de quoi vous avez travaillé. Et vous dites aux gens de faire la même chose.
Ce que vous semblez ne pas voir, c’est que cette chose n’est donnée qu’à une minorité, mais qu’il existe en dehors de cette minorité des personnes qui la voudraient et ne l’obtiennent jamais. J’en connais, je vis avec quelqu’un dont c’est le cas. C’est une personne qui a beaucoup plus de qualités que la moyenne, qui a donné beaucoup de son temps pour l’Eglise (chantre pendant dix ans), qui est faite pour obtenir cette grâce et qui pourtant ne l’obtient pas. En conséquence de quoi des sites comme le vôtre auraient tendance à la tourner contre la religion. Car, quel est l’effet d’un discours comme le vôtre ? Vous avez un assoiffé perdu dans le désert, qui voit passer des gens qui ont reçu la manne divine, qui chantent et qui dansent, mais qui sont bien incapables de l’aider. Quand il fait part de son désarroi, on lui répond qu’il suffit de demander pour recevoir. Eh bien non, ça ne marche pas comme ça.
Cette personne n’est pas la seule dans son cas. A dire vrai, si elle est dans cette situation, c’est à cause de moi, car je suis là tous les jours pour lui rappeler que l’expérience de Dieu est quelque chose de bien réel, et non pas le mensonge qu’on voit partout. Si je n’étais pas là, elle aurait choisi la même solution que les autres, qui consiste à mentir. En effet, que font les pauvres lorsqu’ils ne supportent plus de voir parader les riches ? Ils décrètent qu’eux aussi, ils sont riches. L’esprit humain est ainsi fait que, lorsqu’on lui montre une chose qu’il ne peut obtenir, il finit par rêver l’avoir obtenue, pour ne plus avoir à faire face à cette souffrance. C’est ainsi que nous sommes entourés de personnes qui prétendent vivre en Dieu alors qu’elles n’ont pas la moindre idée de ce que c’est. Comment je le sais ? C’est très facile. Il suffit de voir comment la personne réagit devant les épreuves. Si elle ne remercie pas le Seigneur, et si au contraire elle se plaint de sa situation, c’est qu’elle est bien loin de vivre en Dieu. Eh bien vous allez être très étonné, mais je connais très peu de gens qui rendent grâce pour les épreuves qui leur sont envoyées.
Au final, la situation est donc la suivante : une minorité de privilégiés, qui ont reçu une grâce « inexplicable » (qui à mon avis leur a été obtenue par la prière d’un saint) et bien entendu imméritée, et en face d’eux, une majorité de malheureux qui ne sont ni pires ni meilleurs, mais qui n’ont tout simplement pas eu la même chance. Les saints sont de moins en moins nombreux et il y a de plus en plus de travail. Pouvez-vous concevoir un instant l’injustice de cette situation ?
Je suis certain que vous pensez que l’inégalité matérielle est inacceptable, mais que dire de l’inégalité spirituelle, qui est mille fois pire ? Vous êtes le premier à dire que vivre sans Dieu est le pire des malheurs, et pourtant j’ai le sentiment que vous vous en accommodez mieux que des inégalités matérielles, parce que vous faites partie des heureux élus. Sinon vous sauriez la souffrance que peuvent causer des témoignages comme le vôtre, qui n’ont pas le pouvoir de donner ce dont ils parlent – en tous cas j’ai vu la réaction de mon amie à la lecture de votre site, je sais qu’elle était perturbée -.
Il n’y a que deux voies pour sortir de cette impasse : prier pour les autres, afin de leur obtenir la grâce en question – mais ça n’a pas l’air si facile -, ou bien réfléchir à ce qu’ils pourraient faire pour que la grâce se déverse naturellement sur eux. Cette deuxième voie n’a jamais été explorée par le passé, on estimait sans doute qu’il y avait suffisamment de saints et c’était probablement vrai. Mais aujourd’hui, la situation est devenue critique. Il y a de plus en plus d’assoiffés et de moins en moins de porteurs d’eau. Et les assoiffés sont systématiquement conduits dans le désert, égarés par le discours dominant qui continue à supposer une grâce initiale qu’ils n’auront jamais pour la plupart. Il y en a qui l’obtiennent, on trouve partout des témoignages, mais il y en a encore plus qui ne l’obtiennent pas, ou pas en quantité suffisante. Ceux-là n’écrivent pas leur témoignage, comme on s’en doute, et puis comme je l’ai dit plus haut, la plupart ne se doutent même pas de leur misère – et qui aurait la force de reconnaître qu’il est nu dans un pays où tout le monde se prétend bien habillé ? En plus d’être isolé, Il se retrouverait humilié par les autres qui auraient bien trop peur de se reconnaître en lui.
Voilà donc ce qui est proprement scandaleux : que ceux qui n’ont pas bénéficié de la prière d’un saint soient égarés par les heureux élus, et trompés au point de ne plus être capable de voir leur situation. Que ce soit volontaire ou non, ce sont les faits. Les élus font semblant de croire que les assoiffés reçoivent eux aussi la grâce, sous prétexte que personne ne peut juger du for intérieur et que Dieu est dans tous les coeurs, mais c’est aussi tellement pratique de faire semblant que tout va pour le mieux, et de ne pas voir la misère de ces personnes.
Ce que j’en dis au final, c’est que ces élus ne sont pas aussi élus qu’ils le pensent, sans quoi ils ne se protégeraient pas ainsi de la souffrance des autres, et ne laisseraient pas à Dieu le soin de régler le problème. Ils feraient tout pour essayer de changer cette situation. Ils ne feraient pas les malins comme ils le font en présentant des méthodes « à la portée de tout le monde » qui ne marchent en réalité que pour les élus, ils insisteraient au contraire sur la souffrance de l’existence humaine et la difficulté d’obtenir son salut, comme l’ont fait les Pères du désert. Ils passeraient leur vie à pleurer jusqu’à ce qu’ils obtiennent le pouvoir de faire descendre la grâce sur les autres, comme font les saints.