Les nouveaux chrétiens
C’est terrible, parce qu’on peut s’apercevoir qu’une immense majorité de chrétiens a perdu le sens réel au profit d’une sorte « d’intelligence poétique » qui leur fait écrire de bien jolis textes dénués de sens. C’est ainsi qu’hier je suis tombé sur le guide pratique de la prière chrétienne, qui est tout à fait dans l’air du temps et tout à fait vide en même temps. C’est très joli, on y apprend que Dieu nous aime et que la prière consiste à aimer Dieu. Qu’est-ce que Dieu ? Qu’est-ce que l’amour ? Apparemment, c’est le sentiment que nous en avons, alors que, je l’ai montré ailleurs, rien ne saurait être plus faux que ce sentiment. Mais chez les chrétiens modernes, on se fonde sur le sentiment que nous avons de Dieu et on estime qu’il va s’auto-améliorer tout seul, par la grâce de Dieu. C’est comme si l’on considérait qu’il soit possible de téléphoner à une personne en se trompant de numéro. Il y a là je pense une très grand erreur théologique concernant l’homme et Dieu, où l’homme est considéré comme un ange, éclairé directement, et donc sans liberté, avec une boussole qui le ramène automatiquement à bon port. Or le sens de la liberté humaine, ce n’est ni la liberté de faire tout ce qu’on veut (ce qui est l’autre nom du péché), ni la liberté de se rendre esclave de Dieu, ou pas seulement. C’est la liberté de choisir les lumières divines que nous allons manifester. On comprendra aisément que, pour que ce choix soit possible, aucune ne doit être imposée, présente à l’origine. A la base l’homme est donc un récipient vide de lumière directe, contrairement aux anges, qui n’ont pas la possibilité de déroger à leur fonction. Ou même aux animaux, qui sont effectivement investis d’une lumière divine si on les observe bien, mais ils ne peuvent pas choisir. Un poisson ne peut pas devenir un oiseau, alors que l’homme peut être tout ce qu’il veut. C’est pour cette raison qu’il a pu nommer tous les animaux : il avait la capacité de discerner les Noms divins dans la création. Bref, il découle automatiquement de ce que j’ai dit plus haut que nous n’avons pas la science infuse. Adam l’avait peut-être, mais il n’avait pas de mental, il n’était donc pas en état de choisir réellement ce qu’il allait manifester, ou seulement d’une façon très obscure. Le mental nous a donné cette capacité de désirer ce que nous n’avons pas, sauf que nous avons cru qu’il pouvait nous le donner, et nous nous sommes mis à rêver notre vie. De fait, le mental peut nous montrer ce que nous ne possédons pas et nous suggérer les moyens pour l’atteindre, de même qu’il peut nous indiquer comment nous équiper pour gravir l’Everest, mais ensuite, ce n’est pas lui qui grimpe.
Dans toute cette littérature chrétienne dont je mentionne un exemple plus haut, c’est le mental qui grimpe. Le résultat c’est qu’il n’y a pas de réalisation, seulement de beaux rêves. Il suffit pour s’en rendre compte de regarder où le bât blesse, car c’est toujours au même endroit. Le chrétien moderne veut les consolations, et la souffrance lui fait horreur. Alors bien sûr, il sait que le Christ a montré les saintes voies de la Croix, mais c’est un mystère qui lui échappe totalement – et d’ailleurs il se justifie de son ignorance en disant que justement, c’est un mystère. Mais enfin, quand on le vit, ce n’est plus un mystère, et cela devient même assez limpide. Et ceux qui le vivent sont aisés à reconnaître, tous les propos des mystiques et des Pères du Mont Athos indiquent cette joie devant les épreuves. « Vous attendiez une parole de lumière qui n’est pas venue. Ou si elle est venue, vous ne l’avez pas trouvée. Et moi qui suis obligé de vous répondre : ce n est pas dans la lumière d’une parole qu’il faut chercher la lumière. La lumière d’une parole c’est encore du créé, de l’éphémère, du néant. Si nous nous y attachons nous restons en route, nous n’atteindrons jamais le terme. Voilà pourquoi Dieu fait aux âmes qu’il aime la grâce de la leur refuser. Il les laisse dans la nuit. Et c’est la nuit qui devient la lumière : Et nox iluminatio mea in deliciis meis. La vraie lumière brille dans les ténèbres« . Dom Augustin Guillerand Silence Cartusien. Mais cela, c’est inaudible, parce que ça demande une transmutation du corps physique, et le prêtre ordinaire, celui qui éduque les croyants, n’a pas la moindre idée de cette alchimie. Et ça n’ira pas en s’arrangeant. Comme les études le montrent, les gens deviennent de plus en plus inaptes intellectuellement, or pour trouver le chemin en l’absence d’un saint qui prie pour nous, cela demande des capacités qui ne sont plus trop de ce monde. Ce qui était monnaie courante il y a un siècle, un cerveau à peu près en état, est devenu l’exception. Les gens ont été amputés de leur faculté imaginative par la télé, de leur faculté de concentration par la dispersion, de leur bon sens par la folie ambiante, et sans ces trois choses, il est impossible d’arriver à rien.