Lettre non envoyée à l'Abbé de Tanouarn
Bonjour mon Père,
J'ai lu votre livre "L'évidence chrétienne" avec beaucoup d'intérêt, notamment le chapitre sur le péché. Il se trouve qu'en même temps je lisais les Confessions d'une religieuse de Soeur Emmanuelle, ainsi que les Ecrits intimes de Mère Teresa. Je me suis beaucoup interrogée sur mon incapacité à aider les pauvres, et il me semble que c'est clairement lié à cette affaire de péché.
Si je peux prendre une analogie, l'humanité me semble comme un océan dans lequel se jetterait une rivière empoisonnée (l'influence des anges déchus). Et toutes ces personnes qui essaient d'aider les autres me semblent essayer de nettoyer l'océan sans s'occuper de la rivière qui le contamine. Les efforts me paraissent toujours en aval du problème. De fait, depuis que le Christ est venu, les choses ne me semblent pas s'être améliorées globalement. Et encore moins depuis Vatican II. Cela dit, je n'ai pas la capacité de voir le tableau général de l'humanité, car il faudrait pour cela que je connaisse chaque individu en particulier. Je ne peux que regarder ce qui se passe autour de moi, et ce que je vois est tout bonnement terrifiant. Je pense que ça l'a toujours été, mais que malheureusement, presque rien n'est fait pour régler le problème à sa source, comme si l'homme se détournait obstinément du problème.
Je prends un exemple que je connais personnellement. Une femme à la retraite part régulièrement en Arménie pour aller aider des enfants. Dans le même temps, elle dénonce son fils au Procureur de la République pour un crime qu'il n'a pas commis, risquant ainsi de lui faire perdre la garde de son enfant. Deux ans plus tôt, elle l'accusait déjà de séquestrer son enfant et d'avoir voulu assassiner sa grand-mère. Folle ? Je dirais plutôt possédée. Il se trouve que c'est quelque chose que je peux percevoir, mais aussi que l'on peut logiquement déduire de la façon d'agir de ces personnes. Si l'on examine leurs actes, on constate qu'ils ont les bénéfices d'une intelligence surnaturelle qui n'est pas la leur. J'ai plusieurs fois constaté que les personnes infestées sont informées de certaines choses qu'elles ne devraient pas connaître, qui n'est absolument pas le fruit de leurs discernement (très faible vu leur état général de perturbation), sans parler de celles qui ont la capacité de s'immiscer dans les rêves des gens d'une façon particulièrement malsaine.
Mon propos n'est pas ici de parler de ces malheureuses personnes, mais plutôt de l'attitude de l'immense majorité à leur égard... qui prend leur défense. Pour quelle raison ? Parce que l'immense majorité est perméable aux mêmes influences, d'une manière moins habituelle certes, mais très facilement constatable. Pour vous citer un exemple de ce dont je parle, vous connaissez sans doute cette vidéo de l'abbé Aulagnier passant à la télé "Face aux hyènes". Vers la fin, on voit un jeune qui lui dit avec un sourire :"C'est bien que vous disiez la messe en latin, comme ça plus personne n'y viendra". On sent en lui une haine de l'Eglise qui n'est pas humaine. Mais le pire, c'est que ce brave garçon n'en a absolument aucune conscience. On "voit" en filigrane la chose qui agit derrière lui. Maria Valtorta disait que 6 hommes sur 10 sont les fils du démon, 3 autres sont ses esclaves, et qu'il n'y en a qu'un sur dix qui soit plus ou moins "normal". C'est ce que je constate autour de moi. Une capacité à faire le mal absolument extraordinaire, sous les traits de l'innocence et de l'amour du prochain.
Quand je cite autour de moi des cas évidents, cette mère qui dénonce sont propre fils par exemple, ou une institutrice qui va dénoncer un collègue pour des "violences sur enfant" qu'il n'a pas commises, si bien qu'il doit s'en expliquer devant la police, au risque de perdre son travail... eh bien les gens ne réagissent absolument pas. Dans le meilleur de cas, ils répondent qu'il faut bien qu'il y ait des lois pour empêcher les méchants de nuire, et que les fausses accusations ne sont que des dommages collatéraux en quelque sorte. Mais ce que l'on voit, c'est que les parents qui battent leurs enfants et les directeurs d'école qui les violent ne sont jamais empêchés de nuire. Ceux qui sont inquiétés sont les innocents (nul n'est innocent, mais j'entends relativement). La grande majorité donne son assentiment pour une multitude de comportements absolument scandaleux si l'on y réfléchit bien.
L'autre jour il m'a sauté aux yeux que la simple idée de fabriquer des armes n'aurait jamais dû arriver jusqu'à l'esprit de l'homme, dans la mesure où l'objectif est toujours d'aller tuer son prochain. Non seulement elle y est arrivée, mais tout le monde trouve cela très bien. Alors que ce n'est pas un moindre péché. Ce n'est absolument pas au même niveau qu'aller voler une poire dans le champ du voisin, n'en déplaise à Saint Augustin. Je pourrais aussi parler des animaux, qui nous ont été confiés par Dieu pour que nous en prenions soin, et qu'en faisons-nous ? Même les monastères chrétiens trouvent normal d'élever les poulets pour les vendre là où personne ne meurt de faim. Mais si l'on y réfléchit, avoir un chien pour ami et du veau dans son frigo, c'est de la folie furieuse. Une inconséquence absolument prodigieuse.
Il est évident que c'est dans cette brèche de la conscience que s'engouffre le démon. Le musulman qui égorge son mouton tous les ans n'aura aucune difficulté à égorger son voisin si nécessaire. L'acte lui sera facile, et quand il se réveillera, il sera trop tard.
Je ne suis pas exempte de tout cela. Et c'est même parce que je le vois un peu trop bien chez moi que je le vois si bien chez les autres. Derrière chaque péché véniel je vois s'ouvrir un abîme absolument mortel difficilement descriptible. Et autour de moi, je vois cet abîme sous les pieds des gens, et comment il est susceptible de s'agrandir d'un coup (par une perturbation émotionnelle) et de laisser passer des influences surnaturelles, causes potentielles d'un mal considérable. Mais le plus effrayant de tout cela, c'est qu'ils ne le voient pas, ils se croient absolument innocents. Et je dois dire qu'à l'heure actuelle, l'Eglise les conforte dans cette croyance. Si vous lisez Soeur Emmanuelle, il ne faut voir que le bien et ignorer le mal. Soeur Emmanuelle n'est pas l'Eglise, me direz-vous, mais c'est une attitude que je retrouve partout, tellement enracinée qu'on lui soupçonnerait des racines surnaturelles, mais pas du bon côté. En effet, c'est dans cet aveuglement volontaire que se glisse tout le mal que je peux voir, et qu'il prolifère.
En même temps, on dit souvent que voir le mal, c'est le faire exister, lui donner de la force. Mais ne serait-ce pas plutôt le fait de le juger négativement ? Il est évident que les gens ne voient pas le mal et refusent de le voir, parce qu'ils savent qu'ils vont le/se juger négativement. (Il est préférable de vivre en paix avec son voisin, en attendant de le dénoncer à une future Gestapo). Mais comment se repentir si l'on ne juge pas la chose négativement ?
L'Archimandrite Sophrony parlait de "haine de soi". C'était certainement un saint homme, pourtant cela me paraît dangereux. Eprouver le péché en soi, c'est un sentiment très intense, mais pourquoi le qualifier ? D'ailleurs, on parle de haïr le péché comme si c'était un "objet" qu'on pouvait séparer d'un sujet. J'ai le sentiment au contraire que le péché est une énergie qui a une certaine caractéristique d'infinité, et qu'en la suivant on remonte à son origine, un ange déchu. Or, comme l'a dit le Père Lamy :"On respecte le chef-d'œuvre du Créateur, même détruit. (...) Quand on respecte son caractère angélique, on le contriste bien davantage".
Ce qui suit va peut-être vous sembler une hérésie du type de ce qu'on trouve chez les Protestants, pourtant... Il me semble que tant que les anges déchus ne seront pas convertis, l'humanité sera toujours en péril. Et en grand péril parce que franchement, nous sommes d'une inconscience inouïe. Alors certes, on peut se dire que la fin des temps approche et que tout sera bientôt fini, ceux qui seront aux paradis et ceux qui seront en enfer, mais cela ne me semble pas satisfaisant, parce que tout cela aura été fait au milieu d'une sorte d'ignorance et d'inconscience générale...
En fait, je ne crois pas que les anges déchus aient eu le moindre choix. Après avoir étudié les principales religions, il me paraît que Dieu, à un moment ou à un autre, a dû se dessaisir de son propre être pour engendrer la création. Lui qui avait l'être nécessaire, il a dû cesser de se regarder lui-même pour concevoir de "l'autre", sans quoi il serait resté éternellement figé. Il a commencé par s'émaner en une infinité d'anges, ce qui n'est pas exactement une création puisque l'ange n'est pas vraiment séparé de lui. Et dans cette émanation s'est forcément retrouvée cette part de lui qui avait tendance à se contempler elle-même. Catherine Emmerich a dit qu'elle a vu le tiers des anges tomber d'un coup, je pense que c'est cette part de Dieu qui ne voulait pas se dessaisir de soi-même. Un ange qui serait libre est quelque chose qui n'a pas de sens, je trouve, puisque l'ange (se) voit, il n'est pas obscurci. Il n'y a de mystère que si l'on fait de Dieu une créature dont la kénose serait évidente, mais chez lui justement elle ne l'était pas, et il serait logique au contraire qu'une partie de lui n'en ait pas voulu, et qu'il ait dû la surmonter comme le décrit Jacob Boehme.
On pourrait même penser que le but de la création serait finalement de convertir cette part de Dieu. En effet, un ange déchu ne peut pas se convertir tel quel puisqu'il est omniscient dans la connaissance de soi, mais en s'incarnant, il le pourrait, parce qu'il serait voilé, sans compter qu'une nouvelle "matière" lui serait adjointe. La théologie n'a jamais dit que l'humanité devrait prier pour cette part de Dieu oubliée dans l'obscurité, pourtant cela ferait sens, bien plus que la situation actuelle qui paraît absurde. Nous essayons tous de nous sauver en rejetant une part de l'oeuvre de Dieu, qui forcément va vouloir toujours nous tirer vers le bas par jalousie, et comme elle est par nature plus intelligente que nous, on voit le résultat : les saints se font de plus en plus rares. Et la parabole des démons qui vont essayer de se trouver une nouvelle maison est assez parlante. Peut-être que Dieu inonderait l'Homme de nouvelles énergies s'il cessait d'essayer de se sauver tout seul.
Toutes ces réflexions ne sont pas le résultat d'un intellect surchauffé mais d'une situation inacceptable que je constate tous les jours. Des gens inconscients voués à faire le mal, non pas par refus de Dieu - ils n'ont pas la moindre idée de Dieu ! - mais par pure bêtise. J'ai connu cette situation, et comme Soeur Emmanuelle (cette fois je suis d'accord avec elle), je pense que l'athéisme ne vient pas du refus d'une certaine réalité surnaturelle mais des circonstances de la vie des gens, éducation etc. D'ailleurs, quand les gens font une NDE et voient Dieu, aucun ne le refuse ! Quand vous voyez un jeune idiot dans le métro avec son téléphone vissé à la main, on ne peut pas raisonnablement penser qu'il refuse Dieu. Il est saturé de sensations grossières, comment pourrait-il prendre conscience de l'infiniment subtil ?
Soeur E. pense qu'on ne peut pas convertir un athée parce que sa structure lui interdit de le concevoir et qu'on ne peut pas changer une structure (sauf événement surnaturel imprévu bien sûr), mais elle se trompe. J'ai hérité pour ma part d'une structure radicalement athée, rien de surnaturel ne pouvait y être conçu. Un jour je me suis demandé ce qu'il serait possible de changer dans cette structure, et j'ai découvert qu'on pouvait changer tout ce qu'on voulait, qu'il suffisait de s'identifier à autre chose. L'esprit prend la forme de ce qu'il contemple. Si on contemple la vie des saints, on finit par penser comme eux. On découvre sous la pensée une réalité plus réelle, qui ne se soucie pas vraiment de nos structures mentales. Il faut accepter d'être un peu fou. Dans le même temps, les réalité qu'on contemple nous attrapent. Chacun d'entre nous hérite d'un problème bien particulier je pense (sa propre croix) et impossible à résoudre par l'intellect. Pour Soeur E et Mère T, c'est la misère des bidonvilles qui les a attrapées et ne les a plus lâchées. Pour moi, c'est la folie de l'humanité, qui détruit d'un côté ce qu'elle construit de l'autre. Aider les bidonvilles, c'est bien, mais il faut réaliser que s'ils existent, c'est en vertu de certaines causes. Toutes les oeuvres humaines sont marquées au sceau de la même dualité, et c'est parce qu'il y a ce refus général d'en prendre conscience.