Contempler la misère pour accéder au Beau
J’écoutais hier l’interview d’un chinois et maître taoïste, et il m’a semblé que tous ces gens-là vivent finalement dans un passé bien lointain, à l’époque où l’on pouvait contempler des choses en apparente adéquation avec le but recherché. Par exemple, contempler des belles choses pour s’élever jusqu’à l’Idée du Beau. Nourrir en son esprit de bonne pensées pour s’élever jusqu’au Bon. Etre utile à la société pour être agréable à Dieu.
Mais il se trouve qu’aujourd’hui, toutes les valeurs sont inversées, et il ne se trouve plus guère de beauté à contempler autour de soi. On constate partout le triomphe du mensonge, de l’hypocrisie, et des méchants. Les institutions sont faites pour protéger les brigands, et briser les innocents. Uns société sécuritaire ne peut conduire qu’à ce résultat. De même que l’interdiction de porter des armes n’empêchera jamais le criminel d’en porter, la chasse aux abuseurs n’empêchera jamais les véritables abuseurs de passer à travers les mailles du filet, car ces gens sont des pervers qui n’ont aucune morale. En revanche, les braves gens accusés à tort auront toutes les difficultés du monde à s’en dépêtrer, car tout est fait pour les piéger. On remarquera d’ailleurs que la même politique est appliquée en agriculture. Pour se préserver des nuisibles, on tue tout ce qui bouge, pour découvrir un peu plus tard que les nuisibles se sont renforcés. Dans le modèle de société qui m’entoure c’est précisément ce que j’observe : les nuisibles deviennent de plus en plus fort et nombreux, tandis que les innocents disparaissent.
Contempler cette faillite du beau et du bon, et cette prolifération de mauvaises herbes, n’a rien de réjouissant, mais c’est à peu près tout ce qui reste à faire au milieu de ce champ de décombres. Etrangement peu de personnes ont pris acte de cette situation, et la plupart des enseignants spirituels continuent à faire comme si les temps n’avaient pas dégénéré. Seuls ceux qui sont cibles de la vindicte populaire aussi bien de que leurs supérieurs, comme Monseigneur Lefèbvre il y a trente ans, osent dire la vérité. Les autres estiment que l’humanité évolue, ce faisant ils confisquent l’outil de salvation le plus efficace qui existe aujourd’hui, et qui est la contemplation de notre misère.
En effet, le monde intelligible n’ayant que fort peu de rapports avec le monde visible, et ces rapports n’étant certainement pas directs, la contemplation de la misère produit les mêmes effets que la contemplation de la beauté. C’est en ce sens que le Christ a parlé de la Croix. Il savait que les temps n’étaient plus aux réjouissances, que le paradis terrestre était loin, et que les choses n’allaient pas s’arranger avec le temps. Elles se sont tellement peu arrangées qu’il est devenu mensonger de nourrir de bons sentiments envers son prochain. Ce que l’on peut faire, c’est nourrir de l’amour envers son principe spirituel, pour autant qu’on soit capable de le déceler derrière tout le reste. Mais pour ce qui est de sa personnalité relative ? Comment un ramassis des pires défauts peut-il être un objet d’amour ? S’appliquer à aimer ce qui n’est pas aimable, c’est fonder toute sa pratique sur un mensonge, or c’est finalement la seule attitude qui ne pardonne pas. Dieu ne supporte pas le mensonge.