Débuter dans la pratique
Nous sommes un ensemble d’agrégats contaminés dans lesquels il n’y a rien de divin. Mais en fait cet ensemble est illusoire, donc au lieu d’imputer son « je » sur cet ensemble impur, on pourrait aussi bien l’imputer sur un ensemble pur. Le christianisme ne va pas aussi loin dans la théorie, mais dans la pratique c’est finalement ce qui se passe. En conservant son regard toujours tourné vers le Christ, on crée un yidam, et ce yidam finit par remplacer notre être ordinaire « c’est le Christ qui vit en moi », par la vertu de « ce qu’on contemple, on le devient ».
En fait il y a et il y aura toujours deux, sinon ce serait narcissique (le Christ s’aimant lui-même serait une notion assez étrange). Mais c’est un deux qui n’est plus séparé. La créature contemplant le Christ ne cesse pas d’être la créature, et en même temps elle devient le Christ par le corps, la parole et l’esprit. Il est donc inutile de nous contempler nous-mêmes, sauf en rapport avec le Christ. Il me semble qu’observer sa colère etc… c’est faire une sorte de retour sur soi, ce qui est interdit par excellence, car on ne se voit pas à travers le Christ. On se voit seul. Je veux dire par là qu’il ne suffit pas de se dire « je suis petit et vilain comparé à Dieu » intellectuellement, pour se voir à travers le Christ. Si tu réfléchis bien, dans une telle vision consistant à s’observer soi-même pour voir sa petitesse, il n’y a que soi.
Il faut donc d’abord tourner son regard vers le Christ, et depuis cette lumière alors on s’apparaît soi-même. Il ne faut pas regarder ce qui n’apparaît pas dans cette lumière. Donc par exemple notre colère est vue à travers la miséricorde, ou la douceur, ou la bonté… Et si on se sent merdeux, c’est uniquement sur la toile de fond de Dieu. A ce moment on arrive à pleurer car on voit qu’on offense Dieu (on a la sensation de sa bonté et de notre misère, les deux à la fois). Sinon ça reste intellectuel. En langage bouddhiste, cette double sensation atteste de ce que les souffles contaminés sont ramenés dans le canal central. Mais ne ressentir que les souffles contaminés n’aide pas.
Il faut donc commencer par se concentrer sur des petits détails de la vie du Christ ou autre pour arriver à tracer un chemin jusqu’au coeur, d’où l’on pourra ensuite contempler nos imperfections. Ce n’est pas toujours clair dans les écrits dans saints où on a parfois l’impression qu’ils ne voient que leur misère, mais il est évident qu’ils la voient depuis l’abîme de la miséricorde ou autre, sinon ça ne leur ferait pas un effet si profond (l’auto-contemplation étant un phénomène très superficiel).
Il y a un ordre des choses à respecter.
Je vois que parfois je m’énerve sur ceci ou cela mais c’est parce que je n’ai pas le pouvoir de faire autrement et ça ne me perturbe pas outre mesure, parce qu’à d’autres moments, les mêmes choses ne m’atteignent pas du tout. Quand on est dans l’amour divin, les choses idiotes ne perturbent plus. Alors au lieu de se lamenter de ce qui nous perturbe quand on n’est pas dans l’amour divin, mieux vaut faire des efforts pour y être de plus en plus, et naturellement, on ne sera plus perturbé. C’est aussi un apprentissage de la concentration qui permet, quand on est perturbé, de concentrer son esprit sur le Christ, ce qui fait oublier tout le reste. C’est progressif. L’Etre a le pouvoir d’effacer le non-être, par contre le non-être n’a aucun pouvoir de se sortir lui-même de la confusion où il est, puisque par définition il est illusoire. Le centre naturel de tout, c’est l’Etre.