Douleur de l'amour
Cette nuit me venaient diverses réflexions pas forcément très joyeuses. Après être allé sur le site de Philippe de Vos, je repensais aux témoignages de stages. Cela ressemblait à ce qu'on voit partout. Les gens sont allongés, écoutent de la musique, partent dans des espèces de transes, ont des effets énergétiques puissants, parlent d'éveil spirituel etc... Pour avoir assisté à de telles séances, j'y ai vu beaucoup d'états, mais rien de très spirituel, même quand l'état relève réellement de l'amour divin. Ces stages sont assez désespérants en fait, car ils donnent des "expériences", mais aucune véritable science. Les gens rentrent chez eux, ils se sont bien explosés, comme s'ils avaient pris des drogues, mais qu'ont-ils appris finalement ? Quelque "station" ont-ils réalisée ? Aucune, puisqu'ils reviennent l'année suivante dans le même état, juste un peu plus vieux et fatigués.
Et puis si l'on regarde les "états" dont il est fait état, ce sont toujours les mêmes catégories d'expérience. Ce sont des expériences qui exaltent, qui font courir les gens dans tous les sens (preuve que le corps n'est pas prêt à supporter quoi que ce soit), beaucoup plus rarement des expériences qui rendent intelligents, par exemple "j'ai vu comment toutes mes névroses et celles de ma famille étaient interdépendantes". Et si par miracle, elles sont de cet ordre, elles ne sont jamais transformées en stations, à avoir que cela ne sera pas suivi de réelle investigation.
De fait, il plane une sorte de gigantesque égrégore qui donne à beaucoup de gens des expériences exaltantes mais qui semble interdire toute science. Les gens s'envoient en l'air, et c'est ce qui est qualifié d'éveil spirituel. La suite il n'en est pas question, car cela consisterait à voir leur misère, leur état réel. Or c'est toujours le contraire qui se produit, ils rentrent chez eux en se disant que la vie est belle et que tout va de mieux en mieux. Cela semble le contraire de l'expérience spirituelle authentique, qui commence par la misère et la contrition. Si un aspirant va voir un père spirituel au Mont Athos, il reviendra mortifié, éclairé par une expérience du véritable amour divin. L'amour divin qui n'éclaire pas notre condition, c'est à mon sens une expérience qui est donnée par des entités peu recommandable, ou peut-être par une énergie de groupe complètement faussée par des philosophies du bien-être.
J'ai toujours été hermétique à ce genre de choses, mais je me rends compte maintenant qu'il s'agit peut-être d'un effet de la providence divine. En effet, je me rends compte que tout ce qui est accessible (je ne parle donc pas de lignées secrètes qui subsisteraient éventuellement qui nous sont inaccessibles par définition, mais précisément de ce qui est accessible) est infecté par cette philosophie du bien-être, si ce n'est par ces entités douteuses. Si quelqu'un s'incarnait dans l'idée de retrouver le vrai dharma "par ces temps dégénérés", il devrait naître hermétique à cette gigantesque influence collective - j'ai d'ailleurs pu noter en corollaire que je suis insensible aux drogues, pour ce que j'ai pu tester. Par exemple je me suis vaporisé un jour une bonne quantité de feuilles censée contenir 10mg de DMT (la dose efficace est à 3mg), ça ne m'a rien fait du tout. J'aurais pensée que mes feuilles étaient frelatées si je n'avais déjà souvent vécu cette expérience, que ce soit avec un thé additionné de 3g d'herbe, qui m'avait donné un gigantesque mal de crane, la vodka qui ne me fait que mal à la tête, et tout le chichon que mes amis ont essayé de me faire fumer par le passé qui ne m'a jamais rien fait -. J'ai noté qu'éventuellement, je "pourrais" m'ouvrir aux énergies des groupes mais que quelque chose en moi s'y refuse absolument, et s'y est toujours refusé d'ailleurs. Je n'ai pas envie de ressembler aux malheureux que je vois autour de moi, encore moins de bénéficier de leur "énergie spirituelle".
Cela dit, je me demande quelle folie m'aurait pris de m'incarner pour cette fin, car il est évident que cela n'intéresse personne. En effet, la science véritable commence par la prise de conscience de ce qui se passe autour de soi, et qu'on pourrait trouver résumé dans "Le principe de Lucifer" (Aurélien vient de me rappeler l'existence de cet excellent livre). Toute personne qui s'appliquerait constaterait soudainement sa solitude abyssale, son manque d'amis véritables, et sans doute la malveillance de sa propre famille (comme c'est arrivé à ma tendre et chère, mais aussi à plusieurs de mes amis à qui j'ai ouvert les yeux, quoiqu'il soit difficile de les faire aller jusqu'au bout...). C'est précisément cette prise de conscience qui fait désirer autre chose que la tambouille servie aux naïfs, et qui fait qu'on n'a vraiment aucune envie de se mêler aux énergies de groupe, car on voit parfaitement l'entité à laquelle on a affaire sauf quand se mêle quelque chose de vraiment spirituel (mais c'est rare, et jamais pur de toutes façons). Au mieux, on peut tomber sur des individus partiellement spirituels.
En tous cas cette nuit j'avais la vision qu'il s'était produit une coupure nette entre les maîtres d'autrefois et leur successeurs d'aujourd'hui. Je me suis même demandé s'ils avaient reçu un ordre quelconque de ne pas transmettre leur science (contrairement à ce qui est clamé partout, mais s'il y a le besoin de le clamer, c'est peut-être bien qu'il y a un lézard à cacher). On pourrait penser en tous cas que si les tibétains ne transmettent pas le premier iota de leur science (sauf exception), c'est peut-être parce que, occultement, ils créeraient une brèche pour l'égrégore dont je parle plus haut. Par exemple, si le Lopön faisait une véritable transmission envers un Occidental, pourrait-il se produire que ce dernier tout à coup se mette en tête d'enseigner le dzogchen ? Et si, contrairement à tous les escrocs, il en détenait une partie, quelle serait la conséquence pour le vrai dzogchen ? C'est peut-être ce qui l'empêche d'aider les gens. En effet, comme nous le disions avec Aurélien, nous n'avons pas encore croisé d'Occidental ayant reçu une transmission de pouvoir digne de ce nom, pourtant nous avons croisé des chercheurs sincères. Mais tous, de Mathieu Ricard à Philippe De Vos ont été enfumés (ce n'est pas difficile), sinon ils feraient la différence entre la transe et l'extase, entre shiné et la vraie méditation.
Je ne peux pas prouver ce que je dis, car la preuve est donnée par l'organe spirituel, et c'est précisément ce qui fait défaut aux Occidentaux, et leur permet de se faire enfumer si facilement par des vendeurs de cacahuètes. Je préciserai juste que je ne l'avais pas autrefois et que j'ai chèrement acquis le peu que j'ai, je sais donc parfaitement ce que voient (ou ne voient pas) les autres. Ils ne peuvent donc arguer que je ne connais pas leur point de vue, car je l'ai partagé pendant longtemps.
J'ajoute que le plus grand malheur de tout cela, c'est que la culture et l'intelligence ne sont pas d'une grande aide. Elles le sont pour déterminer les bonne sources, s'assurer qu'on ne fait pas n'importe quoi grâces aux témoignages des anciens, mais le vrai travail est ailleurs, et le problème c'est qu'il est pénible. Je maudis ma lâcheté en la matière, mais je n'ai pas trop le choix, car c'est un problème de canaux. Il faut se soigner les canaux, et ça fait toujours mal. La progression fait toujours mal, c'était ce que je constatais ces derniers jours, et franchement c'est pénible. Si je pense à mon yidam, ça fait mal, si regarde l'histoire d'un grand pratiquant que je ne serai jamais, ça fait mal, si je regarde des jolis écureuils, ça fait mal, si je pense à tout ça, ça fait mal. Dans ces quatre cas, c'est le même mal, il ne varie pas. Attention, ça n'est pas la même chose que dukkha. Ça n'est pas la nausée d'exister, le mal-être... C'est un mal au contraire très précis, et ce sont toujours les mêmes endroits, les fameux noeuds du canal central. La pureté, la beauté, l'innocence déclenchent ce mal tout aussi sûrement que les émotions perturbatrices, et c'est bien le souci. On ne peut même plus se dire :"Je vais contempler mon Dieu chéri et je serai consolé". Pas du tout. Il n'y a de consolation nulle part, surtout pas en Dieu. C'est comme si vous avez une copine dans les bras de laquelle vous avez l'habitude de vous consoler, mais tout de coup vous découvrez qu'elle vous brûle et que vous ne pouvez plus l'approcher... Alors vraiment, tous ces gens qui sont dans l'amour universel, je ne sais pas comment ils font pour ne pas avoir mal et trouver ça génial, parce que c'est insupportable. L'amour, c'est terrifiant, en même temps on sait que c'est le prix à payer pour être vivant et ne pas rester un zombie. On est coincé entre l'enfer et le purgatoire.