Du juste mode de connaissance
Il semble que la grande intelligence ne soit pas forcément utile à aimer Dieu. J'ai lu l'interview d'un philosophe chrétien, Maxence Caron, qui se pique de rallier la philosophie à la théologie - l'interview disait peu de choses, en revanche ses oeuvres d'imagination montrent qu'il n'éprouve que détestation et haine de l'humanité. En lisant ses imprécations contre la bêtise des gens, j'ai eu l'étrange impression de lire des blasphèmes contre Dieu lui-même et j'ai dû m'arrêter. Il ne voit pas que les gens sont possédés par quelque chose qui les tient bien, et c'est probablement parce qu'il est tenu lui-même. Haïr le péché, c'est une chose, haïr ceux qui le commettent, c'en est une autre. Certes, si l'on prend l'humanité comme un tout, on est porté à la détester, à travers ses oeuvres, mais si l'on prend les individus, c'est autre chose.
Il y a deux façons de considérer le tout : par généralisation, ce qui en fait une abstraction, c'est-à-dire une pure illusion. Et parce qu'on connaît chacune de ses parties, et leurs interactions, ce qui est le juste mode de connaissance. Il est donc bien difficile de connaître l'humanité, pour cela il faudrait connaître tous les hommes, et leurs relations. Plus on veut connaître le tout, plus il faut descendre dans le détail. Si on veut connaître les galaxies, il faut connaître les atomes. Si l'on veut juger du degré de connaissance d'un homme, il n'est pas nécessaire de lire les quinze ouvrages de philosophie qu'il a écrits, il faut regarder son souci du détail. On ne fait pas un puzzle en jetant les pièces sur le sol, mais en mettant chacune à sa place. Et pour le faire, il faut d'ailleurs avoir une vision d'ensemble. Autrement dit, chaque détail n'est réellement connu pour ce qu'il est qu'en rapport avec le tout...
Je note que la plupart des philosophes modernes et commentateurs manipulent les concepts comme des abstractions, en sorte que ce qu'ils écrivent n'a pas de substance, et ne leur sert à rien. En plus de sonner faux. Si l'on prend par exemple la notion de charité, on peut soit aller chercher son dictionnaire, soit considérer la chose comme un puzzle infini, dans lequel on assemblera patiemment tout ce qui semblera s'y rapporter. Dans le premier cas, on aura l'impression de bien connaître la charité, dans le second cas on saura qu'on la connaît très mal, parce qu'on n'aura assemblé qu'un nombre fini d'éléments, sans parler de la profondeur de notre perception, qui nous semblera toujours insuffisante. Ensuite, on assemblera les concepts avec difficulté, et nos assemblages nous paraîtront toujours susceptibles de s'effondrer. Alors que les abstracteurs professionnels vous construisent de ces édifices solides comme le roc que rien ne peut faire bouger...