Se confronter à l’inacceptable
Je me dis qu’il faudrait favoriser le partage d’exemples (c’est évidemment la dernière chose que veulent faire les gens), car au fond, je crois que tout le monde est d’accord sur le discours. Hier je traînais sur le site de Fabrice Midal, la méditation, se confronter à ce qui est. Et ce qui est extraordinaire, c’est que tout le monde est d’accord pour dire que grâce à la méditation, il est en paix avec plein de choses, ou que si ça n’est pas le cas, il est en paix avec le fait de ne pas être en paix. Quelque part j’ai l’impression que nous ne parlons pas du tout de la même chose, car je ne vois pas comment on serait en paix avec certaines choses avant d’avoir été littéralement fracassé par les choses en question, ce qui à mon sens donnerait un discours très différent de ce qu’on entend d’ordinaire. Récemment je méditais sur la vieillesse, il y a plein de gens qui disent qu’ils sont en paix avec ça, genre ils ont renoncé à ce qu’ils ne peuvent pas avoir et profitent des joies de l’âge avancé. On sent que le vrai problème ne les a nullement effleurés et que leur paix vient surtout de ce qu’ils ont décidé de ne pas s’y confronter.
En effet, on trouve un peu partout dans les traditions le fait qu’il y a eu un temps où la vieillesse, la maladie et la mort n’existait pas. Si ma mémoire est bonne, un ami me disait l’autre jour que dans la tradition Bön, on dit qu’autrefois les hommes vivaient 100 000 ans. Bref. Quand je médite sur cette question, ce qui me vient, c’est l’absurdité de cette situation, qui est complètement à l’envers de notre nature spirituelle, et que finalement toute l’humanité est contrainte à un moment ou à un autre de vivre cette situation totalement contre-nature. Il n’y a pas à faire contre mauvaise fortune bon coeur, ou à se faire une raison ou quoi, la raison n’a rien à voir avec le fait que, intrinsèquement, il y a là quelque chose qui ne tourne pas rond, et qu’on peut le sentir. Si l’on va au fond de cette perception, il est évident que l’on va finir par imploser, ou exploser, un peu comme si on va au fond du problème du mal, car c’est finalement la même chose. Et c’est cette implosion qui est salutaire, car il n’y a qu’elle je crois qui peut nous libérer.
A ce sujet je lisais aussi sur le blog de ta femme des propos sur le désir, et le fait de laisser passer les choses en se disant qu’elles sont impermanentes etc… Mais là encore, il y a la réalité brute de la chose qui nous attrape, et si l’on choisit d’aller au fond, c’est une énergie, qui loin de se dissiper harmonieusement, ne va qu’en augmentant, jusqu’à, on le pressent, un point de rupture qui pourrait être assez violent. On pressent qu’à un moment, tous nos problèmes vont se liguer ensemble, et que ça va faire un raz-de-marée qui va nous fracasser assez définitivement. Je parle de nos résistances, du mur que nous opposons au réel. Quand on lit les biographies de grands maîtres, on sent que loin de se passer harmonieusement, il y a des moments de grave crise, et je pressens que cela correspond au moment où la pression devient insupportable dans la cocotte-minute, mais pour cela, il nous faut nous concentrer sur ce que notre situation a de fondamentalement inacceptable, et ne pas lâcher l’affaire au motif de préserver notre tranquillité, plutôt que de lubrifier le samsara, comme tu dis. On nous prêche l’acceptation, mais j’ai l’impression que la non-acceptation est beaucoup plus efficace.