Le problème de la conversion
Lorsque l'on a été éduqué selon un certain modèle (ce qui est toujours le cas finalement), il est extrêmement difficile de concevoir autre chose. Il en va de même en religion. On a tendance à choisir la religion qui correspond à la façon dont notre perception a été formée durant notre enfance. Si nos parents étaient des "rationalistes athées" ou des chrétiens sans foi (ce qui est très courant aujourd'hui), il sera extrêmement difficile de demander de l'aide à un Ciel auquel nous ne croyons nullement. Je ne parle pas d'une croyance mentale, plutôt d'une perception non sensible qui produit une transfiguration du monde.
On aurait du mal à trouver une seule personne qui serait passée de l'athéisme le plus pur à une foi sérieuse, tout en ayant conscience des transformations que cela peut exiger - cela équivaut à apprendre une langue dont aucun terme n'aurait d'équivalent dans notre propre langue, et qui décrirait d'ailleurs un monde qui n'aurait à peu près rien en commun avec le nôtre. Bref, cela revient à refaire ce que fait le cerveau du nourrisson (ce qui normalement ne fait pas partie des possibilités de l'adulte), tout en étant déjà encombré par une structure existante qui nous empêche de percevoir la nouveauté.
Autrefois je rêvais pour l'humanité d'une méthode qui permettrait d'accomplir cela, c'est-à-dire qui permettrait de passer d'un état où on n'a pas la moindre idée de ce que signifie "prier", à un état où l'on a conscience des réalités surnaturelles. D'un athéisme de fait à la foi véritable. L'athéisme de fait chez celui qui se dit chrétien, c'est l'attitude qui consiste à avoir confiance en ses propres capacités pour diriger sa vie. A dire "Je mène ma vie comme je l'entends, en essayant d'être pas trop malhonnête et gentil avec mes enfants, et ensuite j'irai au paradis puisque je suis baptisé". Penser cela, c'est considérer Dieu comme un être humain ordinaire, comme nous, qui souhaitons que nos enfants deviennent indépendants et "fassent leur vie". Le problème, c'est que ce n'est pas nous qui donnons l'être à nos enfants, nous sommes simplement les instruments de Dieu qui leur donne l'être. Dieu nous donne l'être à chaque instant, de ce point de vue nous sommes ses enfants en un sens qui n'a rien à en commun avec les liens de parenté humains. Il est donc évident que ce qu'il attend de nous, c'est tout à fait autre chose que ce que nous attendons de nos propres enfants. Ce qu'il attend de nous, c'est de pouvoir se donner à nous, mais comment le pourrait-il si nous pensons sans cesse à autre chose ? Imaginez que vous ayez un Bien-aimé, mais que sans cesse vous repoussiez les rendez-vous en lui expliquant que vous avez votre vie à mener, et que vous ne vous souveniez de lui que le jour où ça va mal "Aujourd'hui je suis malade tu peux passer à la maison si tu veux" "Aujourd'hui je viens de perdre mon travail, tu n'aurais pas 10 000 euros ?"... même entre humains, c'est le genre de relation qui n'est pas trop appréciée, comment donc imaginer que cela plairait à Dieu qui attend beaucoup plus de nous qu'un amour humain ?...
Mais comment concevoir autre chose que le modèle que nous avons toujours connu ? Mes "études" sur l'esprit humain me montrent chaque jour qu'un cerveau adulte ordinaire n'est pas capable de faire le centième du chemin nécessaire par ses propres moyens - car, bien que le cerveau matériel ne soit pas l'organe de perception spirituelle, il a tout à fait le pouvoir de tout bloquer, comme une ampoule cassée peut empêcher le courant de passer -.
J'en viens finalement à me dire qu'il faut une intervention surnaturelle de grande ampleur pour opérer un tel miracle, transformer une personne qui a une structure athée (quelle que soit sa religion proclamée) en vrai croyant. Malheureusement je ne vois pas ce qui produirait ce type d'intervention, qui d'après ce que j'ai compris coûte très cher au monde angélique tant qu'il n'existe pas de décret divin allant dans ce sens. On constate qu'en termes de conversion, les anges fonctionnent à l'économie. Ils font le minimum nécessaire au plan de Dieu, et ne donnent jamais à un Saint plus de compréhension que sa tache n'en exige (c'est pour cette raison que les Saints ont une immense intelligence dans l'exercice de leur fonction, tout en ne comprenant pas forcément grand chose au reste). Quant à ceux qui ne sont pas prédestinés à une oeuvre particulière (comme Saint François d'Assise par exemple), ils ne recevront pas d'aide particulière à moins de la demander ou à moins que quelqu'un la demande pour eux, sachant qu'ils ne peuvent la demander, n'ayant même pas l'idée de ce qu'elle pourrait être.