Mon Père,
j'ai pris connaissance de votre livre "Un trappiste à la rencontre des moines du Tibet", et, pratiquant le bouddhisme avec assiduité depuis presque 20 ans, je souhaiterais vous faire part de quelques réflexions, que vous n'entendrez nulle part ailleurs je pense. Je vous accorde que vos recherches ont été relativement extensives, puisque vous parlez de choses assez peu connues chez les bouddhistes Occidentaux, comme la distinction entre vues du Shentong et du Rangtong. Cependant, lorsque vous écrivez "Et
j’en ai, je crois, assez entendu parler pour en deviner le contenu et l’impact", vous concevrez aisément que vous ne seriez pas d'accord si un bouddhiste ayant visité de nombreux monastères chrétiens, disait cela au sujet du christianisme. Vous lui diriez sans aucun doute qu'il lui a manqué d'entretenir une relation personnelle avec Jésus, que sans cette relation il pourra difficilement prétendre savoir ce qu'est l'expérience d'un vrai chrétien.
Il n'est déjà pas facile d'être chrétien quand on s'y applique avec diligence, mais bouddhiste, c'est extraordinairement difficile, car les choses les plus importantes ne sont pas enseignées, sauf par un gueshé très mal vu, Kelsang Gyatso, honni par tous ses pairs parce qu'il a livré leurs secrets (ce qui a été jugé comme criminel). Il faut savoir que les Occidentaux et les Orientaux ont un esprit très différent. Là où un prêtre Catholique ou Orthodoxe vous dira tout ce qu'il peut et vous indiquera les meilleurs ouvrages pour avancer dans la voie, un lama Bouddhiste ne vous dira rien du tout, il vous laissera mariner dans votre ignorance en souriant. C'est leur façon de faire. Quelqu'un qui n'est pas né dans leur caste (celle des tulkous, ou au minimum des tibétains spirituellement qualifiés) n'obtiendra jamais les clés de la pratique (quant aux zen et au theravada, ce sont clairement des voies incomplètes). On lui servira un
discours sur la vacuité, la psychologie, du Trungpa revisité en quelque sorte. Mais il faut savoir que le discours de Trungpa est totalement tronqué, ce qui le rend faux. Il n'a aucun sens. Personne ne vous le dira évidemment.
Bien que ne souhaitant pas vous fatiguer, je me vois obligé de vous décrire ce que j'ai fait pour en arriver à ces conclusions.
Comme tout le monde, j'ai commencé par croire au discours officiel, l'impermanence, le vide d'existence propre, le karma, le samsara, le nirvana, la saisie du soi et des phénomènes etc... J'ai médité des milliers d'heures à partir de ce que j'avais compris de tout cela (et je ne vois pas pourquoi j'aurais plus mal compris que d'autres, avec qui d'ailleurs j'ai beaucoup parlé). J'ai perdu 11 ans de ma vie dans ces fadaises, sans aucun résultat. Là je suis tombé sur un ouvrage de Kelsang Gyatso (Claire lumière de félicité), et j'ai découvert que la clé de voûte de la pratique bouddhiste (tummo), ce qui fait qu'un Rinpoche devient un Rinpoche, n'était jamais enseignée en Occident (elle l'est maintenant, mais de manière tout à fait tronquée). J'ai donc tenté de faire cette pratique, et j'ai échoué en grande partie (mais pas complètement). C'est là que je me suis dit qu'il manquait quelque chose, et que ce qui manquait dans les enseignements que j'avais reçus se trouvait peut-être dans les autre religions. Depuis 7 ans, en plus d'être bouddhiste, j'ai donc été chrétien, hindouiste, et musulman. D'une façon très particulière. Non pas en écoutant le discours officiel, mais en lisant les mystiques, et en essayant de le vivre totalement. Pas intellectuellement, mais avec le coeur (organe spirituel qui commençait à avoir une existence minimale chez moi du fait de ma pratique de tummo).
C'est là que j'ai découvert qu'avant tummo, il y avait une autre clé de voûte encore plus importante, le "stade de génération". Ce stade de génération consiste à générer dans son esprit la présence de son gourou, des maîtres de la lignée, des divinités, protecteurs, dakinis, et êtres qui leurs sont liés. C'est l'exact équivalent de l'oraison thérésienne ("commerce d'amitié avec Dieu"), sauf que Jésus est remplacé généralement par le fondateur de la lignée. De même que l'on doit méditer sur la vie de Jésus, ses apôtres, la sainte famille, les lieux qu'il a visités, les merveilles de la création, les enfers, le paradis etc... de façon à ce que tout cela devienne une réalité plus substantielle que le monde "ordinaire", le bouddhiste doit méditer sur tout un ensemble de réalités qualitativement supérieures (cf Guide du pays des dakinis, Kelsang Gyatso) qui vont remplacer les apparences ordinaires. Je ne sais si vous serez d'accord sur le fait que le chrétien doit remplacer les apparences ordinaires par des apparences "pures" car aujourdhui cela ne se fait plus guère on dirait, en tous cas j'ai de nombreuses références à ce sujet, que ce soit chez les moines du mont Athos ou chez les Pères russes qui se sont retrouvés au goulag. On retrouve bien évidemment la même chose chez les hindous et les musulmans. Ce qui change, c'est la structure du monde intelligible (100 Noms divins chez les musulmans, 100 divinités paisibles et courroucées chez les tibétains, mais il n'y a aucun recoupement), et le hiérarchie et le contenu des mondes imaginaux.
En pratiquant 4 religions, on finit par en arriver à la conclusion que s'il y a bien un unique fonds divin (lé déité de Maître Eckhart), il y a plusieurs êtres (qui sont au-delà de l'être, mais comment les nommer ? Entités ? Choses ? Dieux ?) qui ont les attributs d'Essence et qui sont créateurs. Le Père chez les chrétiens, Allah chez les musulmans, Kuntuzanpgo chez les bouddhistes. En effet, vous n'avez pas cuisiné les bouddhistes comme je l'ai fait : le Lopön Tenzin Namdak, chef actuel des Bön, a fini par avouer à un traducteur, en privé, que pour les Bön, il y a un commencement dans le temps, mais que cela remontait trop loin dans le temps, et que par conséquence, on dit "depuis des temps sans commencement". Il a dit par ailleurs, dans un enseignement, que le Régent actuel de cet univers (mais qu'est-ce qu'un univers ? Il n'est pas exclu qu'ils se trouvent spatialement tous au même endroit) est Kuntuzangpo, et que, comme il ne saurait être question de lui voler sa place, les corps d'arc-en-ciel créaient d'autres univers pour déployer leur activité. Il a dit encore une autre fois que les corps illusoires sont passifs (ils suivent les circonstances) alors que les corps d'arc-en-ciel sont actifs (dotés d'une volonté propre). Vous noterez qu'on ne trouve de corps d'arc-en-ciel que chez les bouddhistes. De là à en déduire que les différentes Régents ne veulent pas voir partir leurs meilleures troupes pour d'autres univers... et cela explique la prédestination. Les Dieux, qui peuvent créer des âmes, ont décidé à l'avance de ce qu'elles pourraient devenir dans le meilleur des cas, ce qui reste possible tant que ces âmes n'acquièrent pas les attributs d'Essence, car elles restent conditionnées. C'est ce que l'on voit de tous les saints qui continuent d'oeuvrer depuis le paradis au service de leur Maître.
Quoi qu'il en soit, il y a deux grandes étapes dans la Voie, dans toutes les traditions :
1) génération d'apparences pures : on dit génération, on pourrait dire engendrement. En effet, il s'agit d'un processus alchimique qui n'est pas la même que la création d'un nouvel être. Dans ce dernier cas, l'âme est en quelque sorte juxtaposée au corps. Mais dans le cas de la génération, ce qui est généré, ou engendré, c'est le corps d'immortalité, le Fils. Il est engendré par l'union de la Claire Lumière (le Père) avec la matière (plus exactement l'essence du corps physique, les gouttes) et l'âme ("corps d'état intermédiaire" chez les bouddhistes), selon une forme céleste (Jésus, Lumière du plérôme angélique, Nom divin, Yidam etc...). Vous dites qu'il n'y a pas d'âme chez les bouddhistes, mais que dire du corps d'état intermédiaire, ensemble de "vents impurs" qui naviguent dans les bardos, apparemment sans trop se mélanger à leurs voisins ? Car c'est ce corps, qui, une fois purifié, devient le corps illusoire (le corps de gloire des saints). Les chrétiens et musulmans ne disent rien d'autre.
2) résorption des apparences pures. ici, deux chemins : celui du corps illusoire, et celui du corps d'arc-en-ciel. Pour l'heure, je n'ai trouvé la pratique conduisant au second que dans le dzogchen. Bien que l'on puisse trouver chez Thérèse d'Avila (et d'autres saints) des visions qui lui correspondent clairement. Mais ne les ayant pas cultivées jusqu'au bout, ils n'ont pas obtenu le fruit.
Quant à la Trinité, il faudrait déjà la définir clairement avant de lui trouver un équivalent chez les bouddhistes. Mon point de vue est simple :
- Le Père : c'est la Déité, l'Essence unique, à laquelle s'adjoint un corps d'arc en ciel créateur, Allah, le père etc... L'Essence contient une infinité de Noms, de potentialités.
- Le Fils : c'est le corps d'immortalité. C'est en ce sens que je ne sais quel moine a dit que nous étions tous des Marie qui devions engendrer notre Jésus. Et il est bien clair que le Jésus qui vit en chaque Saint n'est pas un Jésus universel, chacun à le sien. Henry Corbin a parfaitement détaillé tout cela, comment Dieu doit s'engendrer en chacun de nous. L'union définitive est généralement scellée à la mort (ce qui évite aux saints d"évoluer vers des états plus élevés), car pour le faire avant, il faut une parèdre (ou connaître le dzogchen). L'autre jour, j'ai lu d'ailleurs que beaucoup de "bouddhistes" bien informés sont convaincus que le Bouddha avait une parède sous l'arbre où il a atteint l'Eveil. Cela semble en effet une obligation. (Au temps pour le célibat du Bouddha...)
- Le Saint Esprit : c'est la force qui permet cet engendrement, on peut l'appeler la Shakti je pense. Pour cette raison je dirais que les Orthodoxes ont raison de dire que le Saint Esprit procède du Père. Cela dit il scelle effectivement l'union du Père et du Fils.
Il est donc clair qu'on ne peut établir aucune équivalence entre Trinité et Trikaya. Le Trikaya, c'est le corps du Fils (comme vous l'avez d'ailleurs suggéré).
Maintenant, il, est évident qu'aucun lama bouddhiste ne va vous expliquer ce qu'est le stade de génération, dans ses tenants et ses aboutissants. Ils ne l'expliquent déjà pas aux disciples qu'ils ont depuis 20 ou 30 ans ! Ils vous expliquent bien sûr que vous devez pratiquer le gourou yoga, pratiquer un yidam etc... mais les gens croient qu'il s'agit de "visualisations", de concentration ou que sais-je. Alors qu'il s'agit de changer de monde, à proprement parler. D'échanger ce monde d'apparences vides au sens du rangtong (vide d'être propre) pour un monde d'apparences vides au sens du Shentong (vide d'autre que soi), qui est pure béatitude.
Ce monde (ce paradis) n'apparaît pas en dépendance de ses contenus, mais en dépendance de la structure de l'esprit qui le produit. Soit il possède les facultés qui lui permettent de le produire, soit il ne les possède pas, et ne peut le produire. Ces facultés sont données par la shakti, "informée" correctement par les Idées du monde intelligible, qui sont une réalité. Le contenu dépendra ensuite de ce qui a été choisi. Vous pouvez générer les paradis chrétiens ou la terre pure de Gourou Rinpoche, dans les deux cas il y a de toutes façons un Régent. (Quant aux tenants du new age ils génèrent toutes sortes d'aberrations, n'ayant aucune idée des mondes intelligibles). A votre mort vous irez dans ce que vous aurez généré. De même que ce sont nos "conceptions" qui nous font atterrir dans ce monde matériel, ce sont nos conceptions qui nous font atterrir dans tel ou tel paradis.
Je parle de conceptions au sens fort, c'est-à-dire de ce qui informe réellement notre corps/esprit. Beaucoup de gens disent être dans l'amour, qui sont dans la haine ou l'indifférence absolue. Lorsque l'on commence à concevoir réellement les Idées divines, de Bon, de Beau, de Vrai etc... c'est-à-dire à façonner un corps subtil selon les réalités intelligibles, on voit à quel point les discours sont creux. On commence à voir vraiment la différence entre la vue du rangtong, le monde qui est pur néant, et la vue du shentong, décrivant l'être absolu (et sa source).
Fort de tout cela, vous pouvez relire tous les textes bouddhistes. Vous constaterez que dans les faits, les Rinpoches ne vivent pas dans ce monde physique. C'est écrit en clair dans les biographies, ils passent leur vie à discuter avec des êtres invisibles, comme certains saints passent leur vie en compagnie des anges. Kelsang Gyatso donne la méthode, qui ne fonctionne que si on a les outils pour, outils qui sont jalousement gardés par les Rinpoches (ils n'ont aucun intérêt à ce que les Occidentaux deviennent comme eux, réfléchissons-y sérieusement)
Mais sachant à quel point les disciples occidentaux sont totalement incapables de concevoir cela, ils restent sur un discours psychologique qui est du pur matérialisme spirituel, et personne ne s'avise de l'escroquerie (il faudrait avoir pour cela un Oeil spirituel, denrée rare). Dans la mesure où le but final est de financer leurs centres, c'est-à-dire de recouvrer les terres qui leur ont été volées par les chinois sans que personne ne les aide, je pense que pour eux c'est bien suffisant.
Allez parler à un lama de tout ce que je vous ai dit, vous allez voir quels yeux ronds il va ouvrir.
Ils doivent bien rire de tous ces dialogues interreligieux, il est évident qu'ils ne prennent pas cela au sérieux, ce n'est qu'une façon de se faire une bonne réputation. J'ajoute d'ailleurs qu'ils ne comprennent absolument rien au christianisme et qu'ils s'en fichent complètement. Quand ils disent qu'ils sont athées, ça ne veut pas dire qu'ils sont athées. ça veut dire qu'ils assimilent le théisme à leur compréhension aberrante du christianisme, et que bien sûr ils se situent à l'opposé de cette conception aberrante, qui est une pure création de leur esprit.
Je peux vous parler de tout cela, parce que c'est mon expérience. Il n'y a que l'accès au monde intelligible et "l'information" de l'âme et du corps par les Idées divines, véhiculées par toutes les traditions, qui puisse conduire au bonheur véritable. Le reste n'est que néant, et vous avez bien raison que penser que le faux bouddhisme est un pur néant spirituel. Il dissimule cependant un vrai bouddhisme, qui est une véritable union à Dieu, qui ne se révèlera jamais aux profanes.