La philosophie du criticisme intégral (réflexions en vrac)
Comme tout un chacun l'aura remarqué, je passe un peu ma vie à critiquer les autres, mais comme tout un chacun ne l'aura pas forcément remarqué, c'est finalement très constructif. Car en premier lieu cela détruit notre croyance la plus limitante, qui est qu'un maître va surgir dans notre intériorité et régler tous nos problèmes à notre place. Ou qu'une méthode facile va nous rendre heureux. Critiquer, c'est finalement se rendre compte que les maîtres ne sont pas comme nous, et qu'ils ne sont pas la solution à notre problème. Certes, le gourou c'est très bien, comme le dit Nisargadatta qui pourtant critiquait tout, c'est une bénédiction, mais encore faut-il savoir ce qu'on entend par là. Il est évident que le gourou extérieur n'est que le déclencheur du gourou intérieur, et qu'inversement le gourou intérieur n'a pas forcément besoin d'une contrepartie externe. Tout le monde dit le contraire, pourtant les saints catholiques nous prouvent le contraire, car jusqu'à nouvel ordre Jésus n'a pas actuellement de résidence ici-bas. Quant au Jésus en corps de lumière qui arpente éventuellement le monde (comme le dit Maître Philippe), il faut bien comprendre qu'il est à la fois universel et individuel. Henry Corbin a donné l'analyse de ce genre de personnalité-archétype avec Khidr, qui apparaît à tous les grands saints de l'Islam. Dans le bouddhisme, on trouvera le cas de Gourou Rinpoche. Ces figures ne peuvent définitivement pas être assimilées à des gourous humains - ceux dont on nous fait la pub en permanence. Quant à ceux-là ils sont une source d'inspiration, mais doivent définitivement subir le même sort que tout le petit peuple de nos relations : il nous faut intérieurement faire évoluer ces personnes vers l'état de Bouddha, sans pour autant confondre la personne et sa représentation. De même il nous faut évidemment faire évoluer notre gourou intérieur vers l'état de Bouddha, sans pour autant s'imaginer que cela doit forcément correspondre avec la réalité. Peut-être que c'est le cas, peut-être que ça n'est pas le cas, qu'en saurions-nous ? Mais si nous avons une confiance aveugle envers un être extérieur, le vrai Maître va finir par trahir cette confiance, afin de nous ramener à nous-mêmes.
Cela dit, nous avons aussi le droit de réaliser l'existence du gourou intérieur sans devoir en passer par toutes les complications d'une relation avec un être qui aura forcément son propre agenda (cf Dzongsar Khyentsé) et dont le but n'est pas le même que le nôtre. Si nous sommes assez bêtes pour ne pas vouloir voir la réalité, il est évident que le maître va se servir de nous pour réaliser ses propres buts, comme les tibétains qui gardent dans leur sangha des gens qui n'ont manifestement rien à y faire, mais ça les arrange bien, et ce n'est pas moi qui vais les en blâmer, je ne fais que constater au passage.
Bref, le criticisme nous montre qu'il n'y a rien à espérer de personne, et lorsque nous sommes fermement convaincus de cela, ayant abandonné la peur et l'espoir de pouvoir acheter les qualités d'un maître ou mériter ce qu'il ne peut nous donner, il est bien possible que nous devenions capables d'avoir des relations fondées sur la valeur, mais pas avant.
La critique ne doit pas être faite dans l'esprit de se sentir supérieur, mais uniquement dans l'esprit de souligner les points faibles après en avoir appris le plus possible, puisque pour critiquer, il faut d'abord connaître, un peu comme un critique d'art qui ferait bien son métier finalement. Ceci fournit d'ailleurs de nouvelles occasions de critiques : critiquer les critiqueurs qui ne connaissent rien à leur sujet, et alors on se rend compte que vraiment ils sont légion. On découvre que des individus pleins d'intelligence et de sensibilité peuvent dire des choses vraiment idiotes à certains moments. C'est un sujet de perplexité pour l'esprit. Par exemple Maharshi a critiqué Aurobindo d'une façon tout à fait imbécile. Ses défenseurs diront qu'il a dit ce qui était bon pour son interlocuteur, mais les statistiques disent que, comme tout le monde, il n'a pas pris la peine de se renseigner avant d'émettre une opinion. C'est une attitude tellement universelle, et son contraire est tellement rare, qu'on voit mal comment il y aurait échappé, surtout qu'on voit encore plus mal comment il aurait pu lire le Synthèse des yogas. Quant à sa prétendue omniscience, il est clair qu'elle n'enveloppait pas Aurobindo, car les grands esprits ne vivent pas dans le même univers, les natures de l'esprit étant séparées les unes des autres, chacun constituant son propre univers auquel il est seul à avoir accès. Autre exemple, une des rares fois où j'ai entendu C* Rinpoche dire des sottises, c'est quand il a parlé du jour où il était entré dans une église. Pour lui la transubstantiation c'est du pipeau. Il n'a évidemment lu aucune biographie de saint chrétien, et n'est pas à blâmer pour ça, mais ce qui n'est pas correct, c'est de donner son opinion sur un sujet auquel il ne connaît strictement rien, devant 40 personnes qui prennent tout ce qu'il dit pour parole d'Evangile. ça donne vraiment un mauvais exemple. Sous prétexte que lui, assistant à la messe, n'a pas vue l'hostie se transformer en corps du Christ, il en a déduit que ça ne marchait pas, et que le christianisme était fondé sur une fausse croyance.
J'énoncerai donc ici la première règle du Criticiste : "faire un avec l'objet de sa critique, apprendre à le connaître aussi complètement que possible". Ce qui veut dire que la critique est en constante évolution, puisqu'on progresse toujours dans la connaissance par identité, qui ne sera jamais totale puisqu'on n'est pas l'autre.
Par ailleurs le criticiste doit différencier les points faibles des spécificités. En tant que telle, peu de méthodes ont des points faibles, elles ont toutes des spécificités. Ce qui constitue le point faible de toute méthode, c'est généralement sa prétention à l'universalité. Par exemple, il existe des tas de méthodes pour régler ses problèmes psychologiques et elles ont toute de l'intérêt. Là où ça va mal, c'est quand elles disent toutes 1) qu'elles apportent le bonheur 2) qu'elles valent mieux que les autres. Ce 2è point surtout est forcément sujet à caution, à partir du moment où, précisément, les autres méthodes ne sont pas connues.
L'équivocité de la création fait que, par définition, il peut exister une infinité de méthodes excellentes. La critique va donc surtout porter sur le fait que la méthode qui manifeste le Nom Divin Duschmoll va prétendre posséder toutes les qualités de tous les Noms Divins, ce qui est impossible par définition. C'est aussi ridicule que la planche qui prétend posséder toutes les qualités du meuble.