Qu'est-ce qu'être humain ?
Hier je mangeais à Flunch avec un ami et il y avait à côté de nous une famille particulièrement inspirante, des assiettes pleines de mets furieusement diététiques. Le menu du gosse de 10 ans : entrée, viande en sauce et frites, coca, flan pour le dessert (je ne sais pas pour qui était la mousse au chocolat). C'était à peu près la même chose pour toute la famille, le père n'avait d'ailleurs plus l'air en très bon état. En fait on se demande comment à tel régime on n'est pas malade à 50 ans. Mais ce qui était impressionnant finalement c'était le vide existentiel. On voyait toute leur vie à travers ce repas à l'atmosphère incroyablement conviviale : manger, dormir, travailler, traîner et parler de choses sans intérêt. On pouvait voir que jamais la moindre cognition valide ne traverserait leur esprit de toute leur vie. En somme, on pouvait parfaitement ressentir qu'on avait affaire à des animaux en un peu plus compliqué. Surtout en lisant le blog du Drukpa et son article récent sur les animaux où il explique qu'ils ont tout à fait la même sensibilité que nous. Au final, on ne voit plus du tout ce qui les sépare des gens comme hier, qui mènent entièrement une vie d'animaux en un petit peu plus complexe. Mais cela fait aussi penser à une expérience menée avec un singe dans les années 70, une famille avait élevé un singe exactement comme s'il s'était agi d'un humain, il me semble qu'il faisait à peu près tout comme les gens, en un peu moins intelligent sans doute, mais il s'exprimait par signes, il connaissait environ 1000 mots (au moins autant que les racailles du Bronx).
Je me fais ces réflexions car cela fait finalement depuis que je suis petite que je cherche autour de moi la lueur d'une intelligence spécifiquement humaine, que je ne trouve pas vraiment. Les gens d'hier n'étaient pas différents de ma famille telle que je m'en souviens. On peut passer des jours entiers avec eux sans voir autre chose qu'un pur néant existentiel. On se demande vraiment à quoi sert leur vie, qui en substance ne semble différer en rien de ce que j'avais constaté des moutons qui logeaient l'an dernier dans notre bergerie, sauf que les moutons étaient un peu sales, n'avaient pas d'habits et ne travaillaient pas (mais on ne voit pas en quoi le travail est une amélioration de la condition animale). On sous-estime grandement les animaux en se croyant tellement supérieurs. Il est vrai qu'on a un potentiel supérieur, mais comme le disent les mystiques, s'il n'est pas utilisé, on en arrive finalement à mener une vie inférieure. Et l'utiliser, ça n'est finalement pas si simple. Car qu'est-ce qu'être humaine finalement ? Est-ce que c'est fabriquer des produits manufacturés compliqués, des centrales nucléaires ou parler politique ? Je ne vois pas en quoi cela nous rend supérieurs aux animaux. Le Drukpa dit qu'être humain, c'est vivre pour aimer, et pour une fois je suis d'accord avec lui. Mais qui vit pour ça ? Même mes parents qui se croient très malins et qui ont fait l'effort de développer un début de sphère intellectuelle, ne vivent pas du tout pour ça. Ils sont comme tout le monde : ils vivent pour manger, parler de sottises, travailler et se reposer quand ils sont fatigués de travailler.
Il suffit d'ailleurs de regarder la façon dont les parents élèvent les enfants pour savoir comment ils se traitent dans leur Ford intérieure, c'est-à-dire dans leur vie spirituelle, celle qu'on n'est pas censé pouvoir évaluer et dont on nous dit qu'il ne faut pas mal la juger car seule Dieu la connaît. En effet, telle vie intérieure on a, telle on la veut pour ses enfants, dont on voit très bien que ce sont de petits être réceptifs qui sont capables de tout apprendre. Si donc on laisse végéter ses gosses devant des jeux vidéos, il est bien évident qu'on n'a aucune vie intérieure. En fait, les gens peuvent nourrir leurs gosses, les habiller, leur apprendre deux ou trois petites choses, point final. Cela signifie qu'ils n'en savent pas plus pour eux-même. Une fois qu'ils leur ont appris à manger, à parler, à faire du vélo et à jouer au ballon, ils ont atteint la limite de leurs compétences, et ils les laissent traîner. Des professeurs vont ensuite leur apprendre un tas de trucs qui ne servent strictement à rien, histoire qu'ils aient l'impression de savoir quelque chose et de se prendre ensuite pour le sel de la terre, mais à 20 ans, ils ne savent toujours rien (C* Rinpoche disait qu'entre 2 ans et 80 ans, les gens restent les mêmes) . Même les gens qui veulent que leurs gosses soient plus développés que la moyenne appliquent des méthodes (par exemple la "méthode Montessori"), comme ils font pour eux-mêmes. Par exemple ils font une thérapie selon telle ou telle méthode. Et puis s'ils croient en Dieu, ils prient suivant une méthode, là aussi. Méthode chrétienne, on va à l'Eglise, on se confesse, on donne un peu de sous ou de temps aux pauvres. Méthode bouddhiste, on suit des enseignements, on récite de mantras, on lit des livres sur l'impermanence et la vacuité. Méthode hindoue, on chante des bhajans devant la photo d'un gourou et on fait un peu de yoga etc... Mais qu'est-ce qu'on sait, au final ? Et surtout, qu'est-ce qu'on sait sur soi ? Car ça n'est pas la thérapie qui nous apprend grand chose d'utile, il faut être lucide. C'est finalement dans les situations quotidiennes qu'on a des chances d'apprendre quelque chose sur soi, à condition de ne pas répéter tout ce que les autres nous ont dit, et d'observer.
On peut déjà observer qu'on passe 0% de son temps à faire quelque chose d'utile, c'est-à-dire 100% de son temps à répéter sempiternellement les mêmes schémas, ce qui fait des réponses tout à fait inappropriées aux situations puisqu'un schéma n'est jamais approprié à quoi que ce soit. On fait les choses en dormant, pas en se demandant ce qu'on pourrait en apprendre. Par exemple hier nous étions aux bébés-nageurs avec L*. Le réflexe habituel est ici de reproduire ce que montre le maître nageur, indépendamment de la façon dont le bébé se sent. On a un être absolument unique entre les mains, avec une sensibilité toute particulière, et déjà, on répète sur lui des schémas, au lieu simplement de le laisser être. Il est évident qu'il faut du temps au bébé pour "être", comme à n'importe qui d'ailleurs, mais si on a perdu son propre rythme, il est évident qu'on va briser celui du bébé et en faire un automate à court terme. Au lieu de le jeter dans une action sur laquelle il n'aura aucune prise, il faut le "poser", comme on est censé poser son esprit en méditation, et observer son interaction avec le monde. En un mot, lui donner une chance de développer une interaction, au lieu d'être agi. A mon avis, c'est parce que les bébés sont agis qu'ils deviennent névrosés quoi qu'il arrive. On ne respecte pas leur rythme d'apprentissage, on leur fait faire tout trop vite. Je ne dis pas qu'on leur apprend les choses trop vite, au contraire on les empêche d'apprendre en cassant leur rythme. On les fait aller à droite, à gauche, comme ci, comme ça, et ensuite on dit qu'on ne leur apprendra pas à nager avant 3 ans car c'est trop tôt. De mon observation, le bébé qu'on manipule dans tous les sens devient confus, il perd son sens de lui-même et effectivement devient incapable d'apprendre à nager. Mais la faute à qui ? Si on le "pose" dans l'eau, on se rend compte qu'il sait déjà nager, et qu'en réalité, il ne faut pas lui apprendre à nager, mais plus exactement lui apprendre à gérer les facteurs secondaires qui le perturbent (l'eau qui lui rentre dans le nez, dans les yeux, la peur etc), lui apprendre à se décontracter et à retrouver son sens naturel de lui-même. De là, on peut observer que personne n'a le sens naturel de soi-même, puisque nul ne traite son enfant de cette façon, on les jette dans une frénésie d'activité qui les rend définitivement idiots, et on déclare ensuite qu'ils sont trop petits pour tout.
Donc pour conclure temporairement, je dirais qu'être humain, c'est savoir éduquer son enfant selon ses propres rythmes, ce qui suppose déjà de savoir ce que c'est. Je ne parle pas des rythmes évoqués dans la méthode Montessori et autres, qui parle de phases d'apprentissage, à tel âge ceci, à tel âge cela, le laisser choisir lui-même. Ce n'est pas l'activité qu'il doit choisir, c'est sa façon de la gérer. Je parle de rythme de 10, 20 ou 30 secondes. Ce qu'il doit pouvoir choisir, c'est la façon dont il va réagir aux situations, non les situations. En effet les situations sont sans importance, elles font partie du monde de l'impermanence, aujourd'hui piscine, demain autre chose. Par contre, la façon dont le bébé se ressent lui-même, c'est quelque chose d'infiniment plus utile pour lui. C'est ça qu'il faut préserver chez lui. Eviter de le plonger dans des milieux qui vont générer de la confusion mentale, car pour ce que j'en sais, le bébé a l'esprit clair, mais il est facile de le perturber car il n'a aucune croyance sur rien.